VI. – C. PLINE SALUE SON CHER MACRINUS.

Le procès de Varenus.

Il est arrivé à Varenus une aventure curieuse et digne d’attention, quoique l’issue en soit encore incertaine. On raconte que les Bithyniens abandonnent leur accusation contre lui, la déclarant mal fondée. On raconte ? dis-je. Il est arrivé un député de la province, il a apporté un décret de l’assemblée de cette province, il l’a remis à l’empereur, il l’a remis à plusieurs personnages importants, il nous l’a remis même à nous, les avocats de Varenus. Pourtant le même Magnus, dont je vous ai parlé, persiste et même il pousse obstinément cet excellent Nigrinus ; par sa bouche il demandait aux consuls de forcer Varenus à produire ses comptes.

Je n’assistais désormais Varenus qu’à titre d’ami et j’avais résolu de garder le silence. Quelle maladresse en effet, si, désigné par le sénat comme avocat, je traitais dans ma défense en accusé, celui à qui il importait de ne plus paraître accusé. Cependant, à la fin de la demande de Nigrinus, les consuls ayant tourné les yeux vers moi : « Vous saurez, dis-je, que notre silence a de solides motifs, quand vous aurez entendu les véritables députés de la province. » – « À qui ont-ils été envoyés ? » répliqua Nigrinus. – « À moi-même », dis-je, « j’ai en main, le décret de la province. » – « Vous pouvez donc voir clair dans l’affaire », reprit-il. Et moi : « Si vous y voyez clair dans un sens opposé, il n’est pas impossible que ce soit moi qui y voie le mieux. » Alors le député Polyenus exposa les raisons du désistement et demanda qu’on ne préjugeât rien de la décision de César. Magnus répondit, Polyenus répliqua. Et moi intervenant rarement et en peu de mots, je me confinai dans le silence. L’expérience en effet m’a appris qu’il est parfois aussi habile pour un orateur de se taire que de parler et je me rappelle avoir dans certaines accusations capitales servi les accusés plus par mon silence que par le discours le mieux apprêté. Une mère avait perdu son fils (qui empêche, en effet, bien que j’aie commencé cette lettre dans une autre intention, de parler de nos travaux ?), elle avait dénoncé au prince pour crime de faux et d’empoisonnement les affranchis de ce fils, qui étaient en même temps cohéritiers avec elle, et elle avait obtenu pour juge Julius Servianus. J’avais défendu les accusés devant une nombreuse assemblée, car la cause avait fait du bruit, et des deux côtés il y avait des orateurs illustres. On la termina, en ordonnant la question, qui décida en faveur des accusés. Plus tard la mère se rendit auprès du prince, et lui assura qu’elle avait trouvé de nouvelles preuves. Suburanus fut invité à entendre sa demande en revision, si elle apportait quelque fait nouveau. La mère était assistée de Julius Africanus, petit-fils de ce fameux orateur, qui avait fait dire à Passienus Crispus : « Bien, par ma foi, fort bien ; mais pourquoi si bien ? » Son petit-fils, jeune homme de talent, mais encore peu roué, après avoir parlé beaucoup, et rempli le temps assigné : « Je vous prie, Suburanus, dit-il, de me permettre d’ajouter une seule phrase. » Alors moi, sous les regards de tout l’auditoire qui attendait une longue réponse : « J’aurais répondu, dis-je, si Africanus eût ajouté cette unique phrase, qui contenait, je n’en doute pas, tous les faits nouveaux. » Je ne me souviens pas d’avoir obtenu en plaidant des applaudissements pareils à ceux que je recueillis alors en ne plaidant pas.

Aujourd’hui j’ai obtenu, la même approbation et le même succès, en gardant encore en faveur de Varenus à peu près le silence. Les consuls, comme le demandait Polyenus, ont réservé au prince l’affaire dans son intégralité, et j’attends sa décision avec anxiété. Car ce jour-là m’apportera pour Varenus la sécurité et le repos, ou m’obligera à reprendre la tâche avec de nouveaux soucis. Adieu.

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