L’amitié de Pline pour Atilius Crescens.
Atilius Crescens est connu et aimé de vous ; car de quel personnage un peu en vue n’est-il pas connu et aimé ? Moi, j’ai pour lui non pas l’affection de beaucoup de gens, mais une tendresse profonde. Nos villes natales ne sont distantes que d’une journée de marche. Nous, notre amitié mutuelle est née, et ce sont les amitiés les plus ardentes, dès notre première adolescence. Elle a persisté depuis et le jugement, loin de la refroidir, l’a fortifiée. Ceux qui nous voient familièrement l’un et l’autre le savent bien ; car lui publie partout l’amitié qu’il a pour moi, et moi je me vante du souci que je prends de sa bonne conduite, de son repos et de sa tranquillité. Voyez même ! Comme l’insolence d’un futur tribun de la plèbe l’inquiétait et comme il m’en avait fait part, je lui répondis : « Nul n’oserait, tant que je vivrai. »Où tendent ces détails ? À vous apprendre que, de mon vivant, on ne fera tort à Atilius.
« Encore une fois, direz-vous, où voulez-vous en venir ? » Valerius Varus lui devait une somme. Son héritier est notre ami Maximus, avec lequel vous êtes encore plus lié que moi. Je vous prie donc, j’exige même, au nom des droits de l’amitié, que vous assuriez à mon cher Atilius le paiement intégral non seulement du capital, mais encore des intérêts de plusieurs années. C’est un homme respectueux du bien d’autrui, soigneux du sien, sans emploi lucratif, sans revenu autre que ceux de son économie ; car ses travaux littéraires, qui ont beaucoup de valeur, n’ont pas d’autre but que son plaisir et la renommée. La moindre perte lui est d’autant plus lourde qu’il a plus de peine à remplacer ce qu’il a perdu. Délivrez-le, délivrez-moi de cette inquiétude. Laissez-moi jouir de ses agréments, de son charme ; car je ne puis voir dans la tristesse, celui dont la gaieté dissipe mes chagrins. Enfin vous connaissez son enjouement ; prenez garde, je vous en prie, qu’une injustice ne le tourne en mauvaise humeur et en amertume. Mesurez la vivacité de ses ressentiments à celle de sa tendresse ; une âme si grande et si fière ne supportera pas un dommage aggravé d’un affront. Mais, s’il le supportait, je considérerais le dommage et l’affront comme personnels, et je m’en indignerais non pas comme s’ils m’atteignaient moi-même, mais bien plus vivement encore. Mais qu’ai-je besoin de déclarations et presque de menaces ? Il vaut mieux user, comme je l’ai fait en commençant, de prières et vous supplier de veiller qu’Atilius ne croie pas, ce que je redoute très fort, que j’ai négligé ses affaires, ni moi, que vous avez négligé les miennes. Or vous y veillerez, si vous êtes aussi sensible à ce dernier reproche, que moi au premier. Adieu.