XXII. – C. PLINE SALUE SON CHER TIRON.

La confiance aveugle.

Il vient de se passer une affaire importante et d’un grand intérêt pour tous ceux qui sont destinés au gouvernement des provinces, pour tous ceux qui se fient aveuglément à des amis. Lustricius Bruttianus ayant découvert plusieurs actes coupables de son subordonné Montanius Atticinus, l’écrivit à l’empereur. Atticinus mit le comble à sa honte en accusant celui qu’il avait trompé, et sa demande d’enquête fut reçue.

Je fus parmi les juges. L’un et l’autre, ont plaidé leur cause eux-mêmes, mais en traitant les points essentiels séparément, ce qui permet à la vérité d’éclater aussitôt. Bruttianus présenta son testament, qu’il disait écrit de la main d’Atticinus. Ce fait prouvait bien et leur intimité secrète et la nécessité où s’était trouvé Bruttianus de dénoncer un ami si cher. Il énuméra ensuite des actes honteux, évidents ; Atticinus, ne pouvant se justifier, se défendit en accusant, mais sa défense prouva ses turpitudes, et son accusation ses crimes. Ayant corrompu l’esclave d’un secrétaire, il avait intercepté des registres, les avait altérés, et pour comble de scélératesse il tournait contre son ami son propre forfait. La conduite de l’empereur fut parfaite : ce n’est pas sur Bruttianus, mais tout de suite sur Atticinus qu’il demanda les avis. On l’a condamné et relégué dans une île. Bruttianus a obtenu un juste témoignage de son honnêteté, auquel s’est ajoutée une réputation de fermeté. Car après une défense fort habile, il a soutenu vivement l’accusation et a montré autant d’énergie que d’intégrité et de loyauté.

Je vous raconte cette affaire, pour vous avertir que, désigné comme gouverneur de province, vous devez compter surtout sur vous et ne vous reposer sur personne ; pour vous apprendre en outre, qu’au cas où l’on surprendrait votre bonne foi – puissent mes vœux vous en préserver – vous avez ici une vengeance toute prête ; mais appliquez tous vos efforts à ne pas en avoir besoin. Car le plaisir de se venger n’égale pas la douleur d’être trahi. Adieu.

Share on Twitter Share on Facebook