I – CLASSIFICATION DES PROBLÈMES DE PROBABILITÉ

Pour classer les problèmes qui se présentent à propos des probabilités, on peut se placer à plusieurs points de vue différents, et d’abord au point de vue de la généralité. J’ai dit plus haut que la probabilité est le rapport du nombre des cas favorables au nombre des cas possibles. Ce que, faute d’un meilleur terme, j’appelle la généralité, croîtra avec le nombre des cas possibles. Ce nombre peut être fini ; comme, par exemple, si l’on envisage un coup de dés où le nombre des cas possibles est 36. C’est là le premier degré de généralité.

Mais, si nous demandons, par exemple, quelle est la probabilité pour qu’un point intérieur d’un cercle soit intérieur au carré inscrit, il y a autant de cas possibles que de points dans le cercle, c’est-à-dire une infinité. C’est le second degré de généralité. La généralité peut être poussée plus loin encore : on peut se demander la probabilité pour qu’une fonction satisfasse à une condition donnée ; il y a alors autant de cas possibles qu’on peut imaginer de fonctions différentes. C’est le troisième degré de généralité, auquel on s’élève, par exemple, quand on cherche à deviner la loi la plus probable d’après un nombre fini d’observations.

On peut se placer à un point de vue tout différent. Si nous n’étions pas ignorants, il n’y aurait pas de probabilité, il n’y aurait de place que pour la certitude ; mais notre ignorance ne peut être absolue, sans quoi il n’y aurait pas non plus de probabilité, puisqu’il faut encore un peu de lumière pour parvenir même à cette science incertaine. Les problèmes de probabilité peuvent ainsi se classer d’après la profondeur plus ou moins grande de cette ignorance.

En mathématiques, on peut déjà se proposer des problèmes de probabilité. Quelle est la probabilité pour que la 5e décimale d’un logarithme pris au hasard dans une table soit un 9 ? On n’hésitera pas à répondre que cette probabilité est 1/10. Ici nous possédons toutes les données du problème ; nous saurions calculer notre logarithme sans recourir à la table ; mais nous ne voulons pas nous en donner la peine. C’est le premier degré de l’ignorance.

Dans les sciences physiques, notre ignorance est déjà plus grande. L’état d’un système, à un instant donné, dépend de deux choses : son état initial et la loi d’après laquelle cet état varie. Si nous connaissions à la fois cette loi et cet état initial, nous n’aurions plus qu’un problème mathématique à résoudre et nous retomberions sur le premier degré d’ignorance.

Mais il arrive souvent qu’on connaisse la loi et qu’on ne connaisse pas l’état initial. On demande, par exemple, quelle est la distribution actuelle des petites planètes ; nous savons que, de tout temps, elles ont obéi aux lois de Képler, mais nous ignorons quelle était leur distribution initiale.

Dans la théorie cinétique des gaz, on suppose que les molécules gazeuses suivent des trajectoires rectilignes et obéissent aux lois du choc des corps élastiques ; mais, comme on ne sait rien de leurs vitesses initiales, on ne sait rien de leurs vitesses actuelles.

Seul, le calcul des probabilités permet de prévoir les phénomènes moyens qui résulteront de la combinaison de ces vitesses. C’est là le second degré d’ignorance.

Il est possible, enfin, que non seulement les conditions initiales, mais les lois elles-mêmes, soient inconnues ; on atteint alors le troisième degré de l’ignorance et, généralement, on ne peut plus rien affirmer du tout au sujet de la probabilité d’un phénomène.

Il arrive souvent qu’au lieu de chercher à deviner un événement d’après une connaissance plus ou moins imparfaite de la loi, on connaisse les événements et qu’on cherche à deviner la loi ; qu’au lieu de déduire les effets des causes, on veuille déduire les causes des effets. Ce sont là les problèmes dits de probabilité des causes, les plus intéressants au point de vue de leurs applications scientifiques.

Je joue à l’écarté avec un monsieur que je sais parfaitement honnête ; il va donner ; quelle est la probabilité pour qu’il tourne le roi ? c’est 1/8 ; c’est là un problème de probabilité des effets. Je joue avec un monsieur que je ne connais pas ; il a donné 10 fois et il a tourné 6 fois le roi ; quelle est la probabilité pour que ce soit un grec ? c’est là un problème de probabilité des causes.

On peut dire que c’est le problème essentiel de la méthode expérimentale. J’ai observé n valeurs de x et les valeurs correspondantes de y ; j’ai constaté que le rapport des secondes aux premières est sensiblement constant. Voilà l’événement ; quelle est la cause ?

Est-il probable qu’il y ait une loi générale d’après laquelle y serait proportionnel à x et que les petites divergences soient dues à des erreurs d’observations ? Voilà un genre de question qu’on est sans cesse amené à se poser et qu’on résout inconsciemment toutes les fois que l’on fait de la science.

Je vais maintenant passer en revue ces différentes catégories de problèmes en envisageant successivement ce que j’ai appelé plus haut la probabilité subjective et ce que j’ai appelé la probabilité objective.

Share on Twitter Share on Facebook