IV

La trappe résista d'abord. Puis elle oscilla légèrement ; puis une nouvelle attaque plus vigoureuse la souleva d'environ trois pouces et elle retomba.

Alors M. de la Roche-Maubert eut peur de son succès.

Qui sait si on n'avait pas entendu tout ce vacarme, et si au moment où il croyait avoir trouvé un moyen de fuite, le chevalier d'Esparron n'allait pas apparaître suivi de deux ou trois laquais qui se jetteraient sur lui, le garrotteraient et le changeraient de cachot ?

L'amour de la liberté donne à l'homme l'instinct et les ruses de certaines bêtes fauves prises au piége.

Le marquis savait maintenant une chose, c'est que la trappe se soulèverait tout à fait quand il ferait un grand et suprême effort.

Il reposa la pierre à la place où il l'avait prise, alla se coucher sur son grabat et attendit.

De deux choses l'une : ou l'on avait entendu les coups frappés contre la trappe, ou le bruit n'était pas parvenu à ses geôliers.

Dans le premier cas, on ne pouvait tarder à descendre.

Dans le second, le marquis aurait toujours le temps de recommencer sa tentative d'évasion.

Il attendit donc ; et bien que son cœur battît violemment, il passa près de deux heures couché sur son lit, prêtant l'oreille au moindre bruit.

Un silence de mort régnait dans la cage et dans l'escalier.

Le marquis pensa que peut-être Janine et le chevalier avaient déserté la maison.

Et c'était assez probable, s'il songeait qu'on lui avait apporté des provisions pour plusieurs jours et une lime qui devait lui servir à reconquérir lentement sa liberté.

M. de la Roche-Maubert n'hésita plus.

Nous l'avons dit, le plafond du cachot était si bas que le marquis le touchait de la tête quand il se tenait debout.

Il eut alors une autre idée.

Au lieu de reprendre la pierre à deux mains et de s'en servir pour battre la trappe en brèche, il la traîna sur le sol, verticalement et au dessous.

Puis il s'en servit comme d'un marchepied et se courbant, il arc-bouta ses épaules contre la trappe.

On sait que le marquis était robuste.

C'était bien un de ces Normands de haute taille, aux épaules carrées, aux bras musculeux, qui descendent des compagnons de Guillaume le Conquérant, et qui semblent être nés pour la bataille éternelle.

Et puis le marquis avait soif de liberté, soif de vengeance, et haïssait d'autant plus Janine qu'elle aimait le jeune et brave chevalier d'Esparron.

Pareil à Samson qui, sentant repousser sa chevelure, renversa d'un coup d'épaule les piliers de la salle qu'emplissaient les Philistins, le marquis fit un effort gigantesque, et la trappe ne retomba point et demeura ouverte.

Le marquis se baissa alors et prit la chandelle qu'il avait laissée à terre.

Puis il l'éleva au dessus de sa tête, pour explorer la cavité qu'il venait de mettre à découvert.

Il reconnut alors une sorte de corridor supérieur, dont l'extrémité se perdait dans les ténèbres.

Le marquis ne pouvait plus hésiter.

Il laissa la chandelle au bord de la trappe, mit la lime dans sa poche, se suspendit par les mains, comme un gymnaste qui fait son trapèze, et se hissa jusqu'au plancher supérieur.

Il se trouvait maintenant dans le corridor dont la chandelle était impuissante à éclairer l'extrémité.

Mais une fois debout dans le corridor, le marquis était libre relativement.

Où était-il ? peu lui importait ! il n'était plus dans cette cage où il avait passé de longues heures de rage et de désespoir, et c'était l'essentiel.

Comme on le pense bien, il n'avait plus ni épée, ni pistolets ; et son arme unique était cette petite lime que Janine lui avait jetée au travers des barreaux.

Mais il avait au bout de ses bras robustes des poings énormes, et il comptait bien s'en servir et assommer quiconque lui barrerait le passage.

Il prit donc la chandelle et se mit à marcher droit devant lui.

Le corridor suivait une pente inclinée et contournait légèrement sur lui-même.

Comme il avait une certaine sonorité, le marquis se mit à marcher sur la pointe des pieds.

Tout à coup, le corridor fit un coude brusque, et le marquis se trouva à l'entrée d'un escalier.

Cet escalier descendait.

Le marquis s'y engagea et, arrivé à la dernière marche, il reconnut qu'il en rejoignait un autre, sans doute celui qui passait devant la cage.

Or, Janine lui avait dit :

– Quand vous aurez scié vos barreaux, quand vous serez dans l'escalier, vous le descendrez. Il aboutit à la Seine, et comme vous êtes bon nageur, vous vous tirerez d'affaire aisément.

M. de la Roche-Maubert crut donc nécessaire de s'assurer que c'était bien là l'escalier qui passait devant la cage ; et au lieu de descendre encore, il se mit à remonter.

À la trentième marche, il trouva un repos et devant ce repos, le grillage d'énormes barreaux qui formait la prison qu'il venait d'abandonner.

Dès lors, il était fixé : et cependant il eut une tentation, celle de monter encore et d'arriver jusqu'à l'endroit probable où se tenaient Janine et le chevalier d'Esparron. Mais il était sans arme, et la prudence parla plus haut, en ce moment, que la haine violente qu'il avait au cœur.

Il redescendit donc les degrés.

Il descendit longtemps ; les marches succédaient aux marches et il semblait que cet escalier était l'échelle de Jacob.

Enfin, un bruit sourd parvint à ses oreilles.

Le marquis écouta et il eut bientôt reconnu le clapotis de l'eau.

Janine avait dit vrai.

Le marquis continua à descendre.

Tout à coup, une bouffée d'air humide éteignit la chandelle.

Mais cet accident n'arrêta point le marquis dans sa marche et, quelques minutes après, ses pieds plongèrent dans l'eau.

Il se trouvait au niveau de la Seine.

Le marquis descendit deux marches encore et se trouva avoir de l'eau jusqu'à la ceinture.

En même temps son pied foula un sol boueux et, levant les mains, il reconnut qu'il était dans une sorte de boyau souterrain envahi par les eaux.

Après il marcha droit devant lui et, peu après, il perdit pied.

Mais il était bon nageur, on le sait, et il se mit à fendre l'eau au milieu des ténèbres.

Quelquefois sa tête se heurtait aux pierres de la voûte.

Le marquis nageait toujours…

Et soudain, un pâle rayon de clarté frappa son regard.

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