V

Le rayon de clarté qui venait de frapper le marquis au visage était un rayon de lune.

Il nagea quelques secondes encore et se trouva tout à coup hors du chenal souterrain et en pleine Seine.

Alors il se mit à respirer bruyamment, et il était libre.

La nuit régnait, la lune brillait sur les maisons du vieux Paris et les deux rives du fleuve étaient désertes.

Le marquis chercha un moment à s'orienter.

Traverserait-il le fleuve ? ou bien reviendrait-il s'accrocher à quelqu'un des bateaux amarrés sur la rive gauche.

Mais comme il délibérait avec lui-même sur le parti à prendre, une barque se détacha et vint droit à lui.

Trois hommes la montaient.

Le marquis entendit ces paroles :

– Enfin, nous en tenons un !

Des trois hommes, deux tenaient les avirons et nageaient vigoureusement ; le troisième était debout à l'arrière.

Cependant le marquis, pensant qu'il avait affaire à des gens de Janine ou du chevalier d'Esparron, essaya de se dérober à cette poursuite.

Mais si bon nageur qu'il fût, il ne pouvait échapper longtemps à ceux qui le poursuivaient.

La barque le gagnait de vitesse, et bientôt il entendit un bruit sec qui dominait celui des avirons tombant à l'eau.

C'était le bruit d'un pistolet qu'on armait.

En même temps l'homme debout dans la barque lui cria :

– Si tu ne t'arrêtes, tu es mort !

Mais le marquis ne tint compte de l'injonction et continua de tirer au large.

Alors un éclair brilla, une détonation se fit entendre et une balle siffla.

Soudain le marquis disparut sous l'eau.

Mais ce fut pour aller reparaître à deux brasses plus loin.

Il avait plongé habilement et la balle avait passé par dessus sa tête sans le toucher.

– Arrête ! arrête ! cria la voix irritée.

Alors le marquis se retourna à demi et répondit :

– Par la mort-dieu ! aussi vrai que je me nomme le marquis de la Roche-Maubert, vous ne m'aurez pas vivant !

Un triple cri lui répondit.

Un cri d'étonnement et presque de joie.

Et la voix, tout à l'heure en colère, s'étant subitement radoucie, lui répondit :

– Mais monsieur le marquis, nous sommes vos amis, et voici quinze jours que nous vous cherchons.

Il y avait un tel accent de sincérité dans ces paroles que M. de la Roche-Maubert, au lieu de fuir, se mit au contraire à nager vers la barque et, deux minutes après, il se cramponnait à un aviron qu'on lui tendait.

Alors il regarda les gens qui se disaient ses amis.

Tous trois lui étaient parfaitement inconnus.

Mais celui qui était debout et qui paraissait le chef lui dit :

– Vrai ? vous êtes le marquis de la Roche-Maubert ?

– Puisque vous êtes mes amis, vous devez le savoir, répondit le marquis.

Et il se hissa dans la barque.

– Nous ne sommes pas précisément vos amis, dit l'homme qui était debout, mais nous sommes payés par vos amis pour vous retrouver, et voici trois nuits que nous cernons cette maison mystérieuse…

– Dites une maison infernale ! s'écria le marquis dont toute la colère revint.

– Aussi, reprit cet homme, avons-nous cru d'abord que c'était un des suppôts de la sorcière qui s'échappait.

Alors le marquis raconta aux trois hommes, qui n'étaient autres que Porion et deux de ses agents, comme il était parvenu à s'échapper.

Puis quand il eut fini :

– Oh ! dit-il, quelque protection que leur accorde monseigneur le Régent…

– Monseigneur le Régent ne protégera plus personne, répondit Porion.

– Hein ! fit le marquis. Que voulez-vous dire ?

– La vérité.

– Quoi ! le Régent aurait résigné le pouvoir ?…

– Le Régent est mort, cette nuit, en sortant de souper, dans le boudoir de madame de Phalaris, répondit Porion.

M. de la Roche-Maubert jeta un cri.

– Et M. le duc de Bourbon, Régent de France depuis ce matin, ajouta Porion, a donné des ordres pour que la sorcière et ses complices soient arrêtés.

* * * *

Le marquis était grelottant et les émotions par lesquelles il avait passé depuis quelques heures avaient développé chez lui une sorte de fièvre nerveuse.

– Où faut-il vous conduire, monsieur le marquis ? demanda Porion.

– Où vous voudrez, répondit-il, pourvu que je me chauffe et que je change de vêtements.

Porion donna un ordre, et la barque, remontant rapidement le courant, vint passer sous le pont Saint-Michel, longea la cité et s'arrêta à cet endroit qu'on nomme le terre-plain.

Il y avait là un cabaret fort connu des pêcheurs et des mariniers qui avait pour enseigne :

À la Pomme d'or.

Comme le marquis était raidi par le froid, Porion et un de ses hommes lui donnèrent le bras et ils allèrent frapper à la porte du cabaret.

Une demi-heure après, le marquis était couché dans un lit bien chaud, et Porion lui disait :

– Vous ferez bien, monsieur le marquis, de dormir quelques heures. Demain, au jour, M. le président Boisfleury viendra recueillir votre déposition.

– Qui est-ce que le président Boisfleury ? demanda M. de la Roche-Maubert.

– C'est le magistrat qui s'est chargé de vous retrouver, et sans le zèle duquel vos ennemis auraient pu peut-être échapper au châtiment qui les attend.

– Ah ! dit le marquis.

Puis regardant Porion :

– Mais, dit-il, au lieu de cerner la maison, pourquoi ne l'avez-vous pas prise d'assaut ?

– Parce que nous avions peur que la sorcière ne vous fît assassiner.

– C'est juste, dit le marquis, j'étais en otage.

– Mais à présent, acheva Porion, je puis vous promettre que dans une heure la sorcière et ses complices, que le Régent ne peut plus protéger, seront sous la main de la justice.

Et Porion s'en alla pour mettre sa promesse à exécution.

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