Porion avait dit la vérité au marquis de la Roche-Maubert. Le Régent était mort.
Cet événement que tout Paris savait, depuis le matin, les hôtes de la mystérieuse maison de la rue de l'Hirondelle, l'ignoraient. Comment cela pouvait-il se faire ?
C'est ce que nous allons expliquer en quelques mots.
Comme on s'en souvient le président Boisfleury, éconduit par le lieutenant de police, d'abord, par le Régent ensuite, avait fait grand tapage.
Mais le Régent à qui Janine avait fait des confidences et qui aimait fort son ami le chevalier d'Esparron, s'était juré de les protéger.
Il avait donc dit à d'Esparron, la veille au matin :
– Je te donne huit jours encore, et pendant ces huit jours, le lieutenant de police aidant, je te promets qu'on ne pénétrera point dans la maison de la rue de l'Hirondelle, mais au bout de ce temps, je ne réponds plus de rien. Arrange-toi donc pour que, votre œuvre accomplie, Janine et toi vous puissiez vous sauver.
De son côté, le lieutenant de police avait mandé Porion auprès de lui.
Porion qui s'était mis corps et âme au service du président s'était présenté d'un air insolent.
– Drôle, lui avait dit alors le lieutenant de police, écoute bien ce que je vais te dire. Tu sers le parlement contre nous, mais nous disposons, nous, de la Bastille et voici une lettre de cachet toute prête pour toi.
– Monseigneur, avait répondu Porion, je suis sous la protection du parlement.
– Hors d'ici, c'est possible. Mais tu vas voir que je vais te faire arrêter.
Ce disant, le lieutenant de police avait appelé deux exempts qui étaient venus se placer aux côtés de Porion.
– Je suis pris, avait murmuré l'agent de police avec dépit.
– À moins que tu ne veuilles composer avec moi. Tu sers qui te paie, n'est-ce pas ?
– Oui, répondit Porion, et si Votre Seigneurie me donnait de la besogne, je n'irai pas en chercher ailleurs.
Alors le lieutenant de police avait proposé à Porion cette singulière transaction :
« Pendant huit jours, il s'engageait à ne pas pénétrer, lui et ses hommes, dans la rue de l'Hirondelle et à amuser le président Boisfleury par des rapports insignifiants.
Au bout de huit jours, il pourrait faire ce que bon lui semblerait.
En échange de cette concession, il toucherait une somme de deux cents pistoles, le huitième jour. »
Cependant Porion avait ce qu'on nomme le tempérament d'un homme de police.
Tout en travaillant pour de l'argent, il avait l'amour de son art, et il s'était juré de prendre la prétendue sorcière et son complice, de savoir ce qu'était devenu le marquis de la Roche-Maubert et ce que deviendrait le margrave, et il n'eût pas renoncé à sa mission pour tout l'or du monde.
Aussi, avant de souscrire aux conditions du lieutenant de police, fit-il cette restriction :
« Il n'entrerait pas dans la maison, mais il aurait le droit de la cerner et d'arrêter quiconque en sortirait ou tenterait d'y pénétrer. »
Le lieutenant de police avait consenti à cette clause.
La raison de cette concession était toute simple, du reste.
Le lieutenant était sûr de sauver le chevalier d'Esparron et Janine le dernier jour.
Comment ? De la manière la plus naturelle comme on va voir.
Le lieutenant de police savait, par le Régent, qu'un chenal souterrain creusé sous la maison de la rue de l'Hirondelle aboutissait à la Seine.
Ni le président Boisfleury, ni Porion ne s'en doutaient encore.
Il ne s'agissait donc que de deux choses : d'abord convenir avec le chevalier d'Esparron qu'il ne sortirait plus de la maison.
Ensuite fixer d'avance l'heure où Janine et lui s'échapperaient par le chenal souterrain, dans une barque.
À cette époque, la police avait établi un service de sûreté sur la Seine.
Un lourd bateau, monté par une troupe de sergents et d'archers, faisait une ronde de nuit pour surveiller les nombreuses embarcations amarrées sur les deux rives.
Le bateau avait ordre de stationner, à l'heure dite, auprès du chenal et recueillerait ainsi deux fugitifs, à la barbe de Porion et de ses hommes, qui ne seraient pas en nombre suffisant pour tenter leur arrestation.
Comme on le voit, tout cela avait été assez bien combiné.
Malheureusement, le chevalier d'Esparron, à qui le Régent avait fait part du plan conçu par le lieutenant de police, répondit qu'il avait besoin de se concerter avec Janine.
Il avait été convenu alors qu'on enverrait un homme sûr prendre ses ordres, et que cet homme entrerait par le chenal au lieu de se présenter à la porte de la rue de l'Hirondelle.
Quelques heures après, en effet, que le chevalier fut entré et eut délivré Guillaume, qu'il avait trouvé garrotté, l'homme se présenta.
C'était un vigoureux gaillard qui nageait comme un poisson et dont le lieutenant de police était sûr.
Cet homme pénétra dans le chenal, et le chevalier d'Esparron, qui l'attendait au bas de l'escalier par lequel le marquis de la Roche-Maubert devait se sauver le lendemain, lui dit :
– Nous serons prêts samedi, à minuit.
L'homme s'était remis à la nage ; mais il faisait clair de lune, et Porion, qui était en surveillance sur le pont Saint-Michel, l'aperçut.
Alors Porion avait compris que la maison avait une seconde issue sur la rivière.
Seulement, fidèle à ses conventions avec le lieutenant de police, il s'était borné à placer un bateau et deux hommes à portée de l'entrée du chenal, se disant :
– M. le lieutenant de police sera bien penaud, les huit jours expirés.
Personne n'était donc plus sorti de la maison.
La nuit suivante, le Régent mourut subitement en sortant de souper.
Alors Porion se trouva dégagé, d'autant mieux que le premier soin du duc de Bourbon, proclamé premier ministre, avait été de destituer le lieutenant de police.
Et pourtant la journée tout entière s'était écoulée sans qu'il osât envahir la maison de la rue de l'Hirondelle.
Mais, comme il l'avait dit à M. de la Roche-Maubert, il avait été arrêté jusque-là par la crainte qu'on ne se défît du marquis.
Le marquis sauvé, Porion n'avait plus à hésiter, et c'est ce qu'il fit, comme on va le voir.