Mais si terrible que fût cette reprise d'armes, elle n'empêcha pas néanmoins les deux adversaires d'échanger quelques mots.
– Vous m'avez reconnu, disait le marquis, mais je vous ai reconnu aussi, moi. Vous êtes le chevalier d'Esparron, l'amant de la sorcière, du vampire qui fait de l'or avec du sang humain.
– En vérité, ricana l'homme au masque, vous savez trop de choses, marquis.
– Ah ! vous trouvez ?
– On dit que les enfants précoces vivent peu, poursuivit l'homme au masque, mais les vieillards qui ont trop de mémoire finissent mal.
– C'est ce que nous verrons bien, dit le marquis avec rage.
Et son épée se tordait et sifflait comme une couleuvre, cherchant toujours le chemin de la poitrine de son adversaire, et rencontrant sans cesse le fer.
– Je ne m'étonne pas, disait encore celui-ci, que vous ayez conservé des passions de jeune homme, marquis. Tudieu ! vous êtes une rude lame.
– J'espère bien vous tuer, vociféra M. de la Roche-Maubert qui perdait tout son sang froid.
– Bon ! parlons-en…
– Et quand je vous aurai tué…
– Ah ! oui, quand vous m'aurez tué, que ferez-vous ?
– J'entrerai dans cette maison.
– Et puis ?
– Et puis je mettrai sur la gorge du bonhomme, avec qui je causais tout à l'heure, mon épée toute ruisselante de sang, et il faudra bien qu'il parle.
– Que voudriez-vous donc qu'il vous dît ?
– Je veux qu'il m'indique le passage souterrain qui mène chez Janine.
– La femme immortelle ?
– Oui.
– Vous y croyez donc ?
– Si j'y crois !… mais, vous aussi, vous y croyez.
– Peut-être…
– Puisque vous êtes son amant.
L'adversaire du marquis continuait à ricaner à travers son masque.
– Mais, que lui voulez-vous donc, à cette femme ? dit-il.
– Je veux la voir.
– Pourquoi ?
– Je l'aime.
– Encore ?
– Et je veux l'épouser.
– Marquis, vous êtes fou !…
– Que vous importe ?
Et M. de la Roche-Maubert pressait de plus en plus son adversaire.
Mais celui-ci parait toujours et semblait invulnérable.
– Marquis, disait-il encore, vraiment à votre âge, c'est de la pure folie. Vous n'avez plus vingt ans, comme au temps où vous dénonçâtes la pauvre sorcière qui vous aimait et la livrâtes au bûcher. Croyez-moi, entre la femme que vous cherchez et celle dont vous avez causé la mort, il n'y a aucun rapport.
– C'est la même ! hurla le marquis.
– Soit, admettons-le. Mais alors, cette femme ne vous aime plus.
– Oh !
– Elle vous hait même.
– Pourtant, reprit M. de la Roche-Maubert, je ne suis pas le plus coupable, moi.
Ces mots arrachèrent un cri d'étonnement à l'homme au masque.
– Vraiment ? dit-il.
– Non, celui qui a véritablement perdu Janine c'est le prince margrave de Lansbourg-Nassau.
– Vous savez cela ?
– Oui.
– Ah ! ah ! vous savez bien des choses.
– Je sais encore que le prince est à Paris.
L'homme au masque tressaillit de nouveau.
– Et que ses gens, sinon lui, ont renoué des relations avec la rue de l'Hirondelle, acheva le marquis.
– Ah ! cette fois, vous en savez trop, dit l'homme au masque, et changeant subitement de jeu, laissant la défensive pour l'attaque, il se mit tout à coup à presser le marquis, le forçant à rompre et il le poussa ainsi jusqu'au mur.
– Tant pis pour vous ! dit-il.
Et il allongea le bras, fit une feinte et se fendit.
Un cri échappa au marquis, sa main s'ouvrit et laissa tomber son épée.
Puis il s'affaissa sur lui-même en rendant une gorgée de sang.
– Je crois que j'ai mon compte, dit-il.
Puis ses yeux se fermèrent, et il s'allongea sur le sol ensanglanté et ne bougea plus.
– Entêté ! murmura l'homme au masque.
En même temps, il prit un petit sifflet d'argent qu'il portait suspendu à son cou et l'approcha de ses lèvres.
Au bruit, la porte de la maison s'ouvrit, et trois hommes en sortirent.
Deux étaient vêtus comme des laquais, le troisième n'était autre que le bonhomme Guillaume Laurent.
Ce dernier fit un geste d'étonnement douloureux en voyant le marquis baigné dans son sang.
– Comment, dit-il, le vieux fou était donc resté là ?
– Oui. Et j'ai bien peur de l'avoir tué ; regarde.
Le bourgeois se pencha sur le marquis évanoui, dégrafa son pourpoint, déchira sa chemise et se mit à examiner la blessure au clair de lune.
– Est-il mort ? demanda l'homme au masque.
– Non.
– Sa blessure est-elle mortelle ?
– Je ne crois pas.
– Tant pis ! Mieux vaudrait pour lui passer ainsi de vie à trépas.
Puis l'homme au masque se tourna vers les deux laquais.
– Prenez-le sur vos épaules, vous autres, leur dit-il, et emportez-le.
– En quel endroit ? demanda l'un des laquais.
– Rue Saint-Jacques, à l'auberge du Cheval rouan.
– Que dirons-nous ?
– Rien. Vous le laisserez à la porte.
Les deux hommes s'éloignèrent, emportant dans leurs bras le marquis évanoui, mais sur la blessure duquel, en déchirant son mouchoir, le bourgeois Guillaume Laurent avait posé un premier appareil pour empêcher le sang de couler.
Puis l'homme au masque poussa la porte et tous deux disparurent dans les profondeurs de la maison mystérieuse.