M. de la Roche-Maubert s'était fait ce raisonnement :
– Le chirurgien dit que je ne pourrai pas me lever avant quatre ou cinq jours ; le cardinal et le régent partagent cette opinion.
« Par conséquent, on ne s'avisera pas de me surveiller d'ici là, et je m'arrangerai bien de manière à retourner auparavant rue de l'Hirondelle.
Après que le chirurgien et l'hôtelier l'eurent mis au courant de tout ce qui s'était passé, le marquis n'avait plus qu'une idée fixe : être seul un moment.
Le chirurgien le pansa.
Il avait été homme de guerre en sa jeunesse, le vieux fou qu'on appelait le marquis de la Roche-Maubert, et il avait reçu plus d'une estafilade, soit sur les champs de bataille, soit en combat singulier.
Aussi, se connaissait-il quelque peu en plaies, contusions et autres inconvénients du métier des armes.
Ayant vu sa blessure, il se dit :
– La voilà aux trois quarts fermée ; dans deux jours, il n'y paraîtra plus.
Le chirurgien s'en alla, puis l'hôtelier, et le marquis demeura seul un moment.
Il ne perdit pas une minute et sauta à bas de son lit.
Puis, en chemise, il se mit à marcher, à agiter ses bras et ses jambes, à ployer ses genoux, à se rendre compte, enfin, de la force qui lui restait.
Son épée était dans un coin. Il la prit et se fendit deux ou trois fois contre le mur.
– Allons ! allons ! murmura-t-il, je ne suis pas aussi bas qu'ils le disent. Nous verrons demain.
Et il se recoucha et passa patiemment au lit le reste de la journée et la nuit qui suivit.
Le chirurgien vint de bonne heure, le lendemain, toujours accompagné de l'hôtelier qui, du reste, aidait aux pansements.
– Barbier de malheur, dit le marquis au chirurgien, est-ce que vous allez me tenir à la diète ? Je meurs de faim ce matin.
– Monseigneur pourra manger une aile de volaille et boire quelques gorgées de vin vieux, répondit le petit homme.
– J'ai faim et je m'ennuie profondément, continua le marquis.
– Vous vous ennuyez, monseigneur ? fit l'hôtelier.
– À mourir.
L'hôtelier se gratta l'oreille :
– Je ne sais pas trop, dit-il, comment parler de cela à Votre Seigneurie, mais…
– Mais quoi ?
– Peut-être pourrais-je proposer quelque distraction à monseigneur.
– Comment cela ?
– Il y a en ce moment chez moi un petit cadet de Gascogne qui est plein d'esprit.
– Il est chez toi ? fit le marquis.
– Oui, il vient à Paris pour solliciter, reprit l'hôtelier. Quand il a su que le Régent et le cardinal faisaient prendre tous les jours des nouvelles de Votre Seigneurie, il s'est intéressé très vivement à elle.
– Naturellement, fit M. de la Roche-Maubert en souriant.
– Ainsi, reprit l'hôtelier, serait-il très heureux, monseigneur, d'être admis à vous faire une visite.
– Comment s'appelle-t-il ?
– Le chevalier de Castirac.
– Fort bien ; quel âge a-t-il ?
– C'est un homme de trente ans.
– Bonne mine ?
– Et batailleuse, monseigneur.
– Sait-il jouer aux échecs ?
– Certainement.
– Eh bien, demande-lui s'il veut faire ma partie ?
Et tandis que l'hôtelier sortait avec le chirurgien, qui avait terminé le pansement, M. de la Roche-Maubert se disait :
– Un garçon qui vient de solliciter et croit à une haute influence peut au besoin me faire un utile auxiliaire.
Le chevalier de Castirac arrive.
C'était un grand jeune homme avec de grandes jambes et un grand nez.
Il était fort laid, mais plein d'esprit ; de plus, il avait une mine des plus résolues et sa rapière, qui lui battait les mollets, sonnait d'une façon toute conquérante.
– Il est assez laid pour que je ne redoute pas un rival en lui, pensa M. de la Roche-Maubert, et pour peu que son escarcelle soit plate et son épée hardie, je l'utiliserai.
Le chevalier de Castirac se montra infiniment reconnaissant de la faveur que lui faisait M. de la Roche-Maubert de le prendre pour partner dans une partie d'échecs.
Le marquis l'ayant invité à déjeuner, il accepta avec empressement, et au bout d'une heure, ils étaient les meilleurs amis du monde.
Alors le marquis lui dit :
– Vous venez à Paris pour solliciter ?
– Comme tous les Gascons, depuis le roi Henri, répondit le chevalier en souriant.
– Que désirez-vous ?
– Une casaque dans les mousquetaires.
– Avez-vous de l'argent ?
– Il me reste une dizaine de pistoles.
– Mon jeune ami, dit le marquis, que penseriez-vous d'un homme qui vous ferait entrer aux mousquetaires dans les huit jours et qui vous donnerait deux cents pistoles tout de suite.
Tout Gascon qu'il était, le chevalier de Castirac fut abasourdi et regardant le marquis :
– Mais, monsieur, lui dit-il, pourquoi donc vous moquez-vous de moi ?
– Je ne me moque nullement, répondit le marquis, et les deux cents pistoles seront à vous quand vous voudrez.
– Cornes du diable ! s'écria le chevalier, vous êtes donc Satan, monsieur le marquis, et vous voulez m'acheter mon âme ?
– Non, répondit le marquis en souriant, mais j'ai besoin de vous.
– Ah !
– Et de votre épée.
– C'est une gaillarde, allez ! fit le Gascon en frappant sur la coquille de sa rapière. De quoi s'agit-il ?
– Tel que vous me voyez, dit le marquis, je suis amoureux.
– En vérité !
– Et c'est en allant à la conquête de ma maîtresse que j'ai reçu le coup d'épée qui me tient au lit.
– Bon !
– Mais je n'y renonce pas, et je veux me mettre en campagne, reprit M. de la Roche-Maubert.
– Quand donc !
– Ce soir même. Voulez-vous m'accompagner ?
– Je suis votre homme, dit le Gascon.
– Alors les deux cents pistoles sont à vous. Mais écoutez-moi bien,
– Parlez…
– Je ne serais pas étonné qu'on me surveillât ici, et qu'on voulût m'empêcher de sortir.
– Ah ! ah ! Eh bien, on avisera. Fiez-vous à moi.
Et le Gascon, plein de suffisance, avala un grand verre de vin de Médoc et frappa de nouveau sur la coquille de sa rapière, ajoutant :
– Mamzelle Finette, il va y avoir de l'ouvrage pour vous, j'imagine !…