XXXIII

Il y avait bien une quinzaine de jours que le chevalier de Castirac, le Gascon, était descendu à l'hôtel du Cheval rouan.

Il en connaissait, par conséquent, les us et les mœurs, et il apprit à M. de la Roche-Maubert, qui en était persuadé, du reste, que le Régent ou Dubois avaient dû donner à son endroit quelque consigne mystérieuse.

En effet, chaque soir, le chevalier, qui logeait au même étage, mais à l'autre extrémité, avait pu voir qu'un solide gaillard, qui était valet d'écurie, dressait un lit de camp devant la porte même du marquis, et s'y couchait.

Or l'hôtellerie n'était pas assez encombrée de voyageurs, en ce moment, pour que le valet d'écurie n'eût aucun autre endroit où coucher.

Le chevalier fit donc part de cette remarque à M. de la Roche-Maubert.

Celui-ci se dit :

– Je l'aurais parié ! on me surveille…

Puis il eut un accès de colère.

– Je passerai mon épée au travers du corps de ce drôle, pensa-t-il.

Le Gascon se mit à rire.

– C'est inutile, dit-il. J'ai un moyen bien plus simple de nous en débarrasser.

– Lequel ?

– Chaque soir, je reste à la cuisine, occupé à boire à petites gorgées un flacon de vin de Jurançon.

« L'hôte et sa femme vont se coucher et je demeure quelquefois seul avec le valet d'écurie.

« C'est un garçon de mon pays, et bien que je sois gentilhomme et un peu fier, comme tout gentilhomme sans sou ni maille, je ne dédaigne pas de trinquer avec lui.

M. de la Roche-Maubert se prit à sourire.

– Jusqu'à présent, poursuivit le Gascon, je ne lui ai offert qu'un verre de vin, je lui en ferai boire une bouteille ce soir et je le griserai.

– Bon !

– Puis je viendrai vous chercher.

– Parfait.

M. de la Roche-Maubert, comme on le voit, avait trouvé un auxiliaire.

Les choses se passaient comme le chevalier de Castirac l'avait annoncé.

Le marquis eut, du reste, la précaution de se montrer plus souffrant et plus faible que la veille, il dit au chirurgien qui vint le panser qu'il avait peur de ne pas dormir.

Le chirurgien lui prépara une potion calmante, que le marquis feignit de boire et qu'il jeta dans la ruelle du lit.

L'hôte vint, comme à l'ordinaire, aider au pansement et souhaita le bonsoir à M. de la Roche-Maubert.

Il sortit avec le chirurgien, et le marquis l'entendit qui disait :

– Ce n'est pas aujourd'hui encore qu'il nous donnera du souci.

Une heure plus tard, un autre bruit, auquel il n'avait jamais fait attention jusque-là, parvint à son oreille, et il reconnut que c'était sans doute le garçon d'écurie qui dressait son lit dans le corridor.

Enfin, peu après, il entendit un ronflement sonore.

Son geôlier dormait.

Alors le marquis se glissa sans bruit hors de sa couche.

Il faisait clair de lune et les rayons de l'astre nocturne entraient à profusion dans la chambre.

M. de la Roche-Maubert n'eut donc pas besoin d'allumer une lampe.

Grâce au clair de lune, il s'habille, ouvrit ses petits pots et ses fioles et se mit à teindre de nouveau ses cheveux et sa barbe et à couvrir son visage d'un enduit destiné à en faire disparaître les rides.

Puis il s'assura que son épée jouait aisément dans son fourreau ; et il visita le bassinet de deux pistolets qu'il passa à sa ceinture.

Après quoi il attendit.

Il s'écoula environ une heure.

Les ronflements du garçon d'écurie se faisaient toujours entendre et les autres bruits de la maison s'éteignaient un à un.

Enfin on frappa doucement à la porte.

Le marquis ouvrit.

– Ouf ! dit le Gascon en entrant, j'ai cru que l'hôte ne se coucherait pas ce soir. Il bavardait comme une pie borgne. Êtes-vous prêt ?

– Oui.

– Alors, venez.

– Mais le garçon d'écurie ?

– Il est ivre comme un Suisse et nous allons pouvoir lui prendre au cou la clef de l'écurie, car c'est par là que nous sortirons, l'hôte couchant trop près de l'autre porte.

– Comme il vous plaira, dit le marquis.

Le chevalier, qui connaissait parfaitement les êtres, le prit par la main et ils gagnèrent le corridor. Le lit du garçon d'écurie était en travers de la porte, tout à l'heure, mais le Gascon l'avait dérangé sans façon.

Avec non moins d'audace, il rejeta la couverture dans laquelle le rustre avait enfoui son nez et il s'empara de la clef qu'il avait au cou.

Puis ils longèrent le corridor à pas étouffés, gagnèrent l'escalier, descendirent à la cuisine, traversèrent la cour et entrèrent dans l'écurie.

L'écurie avait une porte qui donnait sur une ruelle, et c'était de cette porte que le Gascon avait pris la clef au cou du valet.

Quelques minutes après, les deux fugitifs étaient hors de l'hôtellerie, et un quart d'heure plus tard, ils entraient dans la rue Gît-le-Cœur.

Il était alors près de minuit et le paisible quartier était désert.

Cependant à l'angle de la rue de l'Hirondelle, une forme humaine s'agita sur une borne où elle était assise.

Le marquis de la Roche-Maubert s'arrêta.

La forme humaine se dressa et tendit la main :

– La charité, s'il vous plaît, dit-elle.

Rassuré, le marquis s'approcha et vit une vieille mendiante.

– La charité, répéta celle-ci, en échange d'un bon conseil.

– Plaît-il ? fit le marquis.

Et il mit une pistole dans la main de la vieille femme.

– Vous êtes généreux, répondit-elle, et il ne doit pas vous arriver malheur.

– Que parles-tu de malheur, vieille sorcière ?

– N'allez pas rue de l'Hirondelle, répliqua la mendiante.

Et elle prit la fuite.

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