Maintenant, voyons ce que devenait le marquis de la Roche-Maubert.
Il n'est rien de si tenace, a-t-on dit, que la fantaisie amoureuse d'un vieillard.
On a pu voir par sa conduite depuis huit jours que le marquis se chargeait de justifier pleinement cette sentence.
Retrouver Janine, la femme immortelle, la sorcière qui faisait de l'or, était désormais pour lui l'unique but de sa vie.
Il s'était donc aventuré bravement, un flambeau à la main, dans cet escalier que la plaque mobile de la cheminée venait de démasquer.
Où conduisait cet escalier ?
Très certainement au laboratoire, se disait le marquis.
Et le flambeau d'une main, son épée nue de l'autre, le marquis continuait à descendre.
L'escalier tournait sur lui-même, en forme de vrille.
Des bouffées d'air humide montaient de ses profondeurs et fouettaient le marquis au visage.
Mais il descendait toujours.
À la quarantième marche environ, il entendit un bruit sourd.
Alors il s'arrêta et tendit l'oreille.
Le bruit avait quelque chose du roulement lointain du tonnerre.
Mais le marquis eut bientôt reconnu ce qu'il en était.
C'était le clapotement de l'eau contre un rocher qui parvenait jusqu'à lui, et M. de la Roche-Maubert comprit que cet escalier descendait à la rivière.
Un moment, il songea à rebrousser chemin et à chercher ailleurs la route qui devait conduire au laboratoire.
Mais alors il se souvint que pendant son procès, il y avait quarante ans, Janine avait dit à ses juges :
– On arrive chez moi par eau aussi bien que par terre.
Les juges n'avaient point compris ces paroles sans doute, puisque les enquêtes et les perquisitions ordonnées par le parlement dans la maison de la rue de l'Hirondelle, n'avaient amené aucun résultat.
Mais le marquis, en se remémorant cette réponse, pouvait en conclure qu'il trouverait, en descendant toujours, quelque corridor latéral, quelque porte pratiquée dans la cage de l'escalier et qui le conduirait là où il voulait aller.
Il se remit donc en marche et continua à descendre.
Le bruit devenait plus distinct, l'air plus humide.
Le marquis ne s'était pas trompé cependant.
À la soixantième marche il trouva un repos.
La cage s'élargissait et une galerie s'ouvrait sur la gauche.
– Voilà mon chemin, dit le marquis.
Et, quittant l'escalier, il entra dans la galerie.
À peine avait-il fait vingt pas que l'air devint plus vif et qu'une bouffée de vent souffla sur son flambeau et l'éteignit.
Alors le marquis se trouva plongé dans d'épaisses ténèbres.
Tout autre que l'entêté vieillard eût, en ce moment, perdu tout son calme et toute sa présence d'esprit.
Peut-être même n'eût-il osé bouger.
Ou bien, essayant de revenir en arrière, il n'eût plus eu qu'un but, retrouver l'escalier et remonter à la surface du monde vivant.
En aucun cas, tout autre que le marquis n'eût songé à aller en avant.
Mais le marquis, lui, n'hésita pas longtemps.
Il était dans les ténèbres, mais peu lui importait ! Il se remit donc en marche, étendant son épée devant lui pour sonder les obstacles, et murmurant :
– Quand ce chemin conduirait à l'enfer, j'irais jusqu'au bout !
La galerie avait un sol humide, un peu boueux ; en outre elle suivait un plan incliné et le marquis comprit qu'elle descendait toujours.
Mais en descendant et s'enfonçant sous terre elle tournait légèrement sur elle-même, M. de la Roche-Maubert le comprit, car tout à coup les ténèbres qui l'environnaient devinrent moins épaisses, et quelque chose comme la lueur d'une étoile à demi perdue dans un nuage, ou un bout de tison couvert de cendres, lui apparut dans le lointain.
– Ah ! ah ! fit-il avec une joie d'enfant.
Et il doubla le pas.
À mesure qu'il avançait, le point lumineux se rapprochait de lui, mais ne grandissait pas.
Et quand il fut tout auprès, le marquis put se rendre un compte exact de ce qu'il voyait.
La galerie qu'il venait de suivre était fermée par une porte ; au milieu de cette porte, il y avait un petit trou, et par ce trou s'échappait un rayon de lumière.
Le marquis colla son œil à ce trou.
Il aperçut une seconde galerie.
Celle-là était éclairée par une lampe suspendue à la voûte.
Mais comment y pénétrer ?
La porte qui le séparait de la première était fermée et paraissait très épaisse.
Le marquis lui donna un coup d'épaule et ne parvint qu'à se meurtrir inutilement.
La porte résista.
Alors le vieillard se mit à promener sa main dessus, en hauteur et en largeur, et tout à coup il étouffa un cri de joie.
Sa main avait rencontré une corde : et cette corde qui pendait, il la tira et aussitôt une cloche fut mise en mouvement.
– Bon ! se dit le marquis, voici la sonnette des visiteurs.
Et il tira sur la corde une seconde fois.
Puis il attendit.
Quelques secondes s'écoulèrent.
Le marquis avait appliqué de nouveau son œil au trou de la porte et il explorait la galerie éclairée.
Soudain la clarté devint plus vive et une autre lumière apparut au marquis dans le lointain.
Puis encore, derrière la lumière qui était celle d'un flambeau, le marquis aperçut un homme.
Cet homme s'avançait, le flambeau de la main gauche, un trousseau de clefs de la main droite.
Il était drapé dans un grand manteau.
Et quand il fut tout près, le marquis sentit son sang affluer à son cœur et ses lèvres se crisper de colère.
L'homme au trousseau de clefs était masqué.
Le marquis n'en douta pas un seul instant, c'était son adversaire, celui qui l'avait galamment couché, d'un coup d'épée, dans le ruisseau de la rue de l'Hirondelle.
Et cet adversaire ne pouvait être que le chevalier d'Esparron, l'amant actuel de Janine.
– Ah ! cette fois, rugit le marquis, j'aurai une revanche.
L'homme au masque arriva jusqu'à la porte et dit :
– Qui donc a sonné ?
– Moi, fit le marquis d'une voix étouffée par la colère.
– Comment vous nommez-vous ?
– La Roche-Maubert.
L'homme ricana à travers son masque.
Mais il mit une clef dans la serrure et la porte s'ouvrit.
– Je vous attendais, marquis, dit alors l'homme au masque d'un ton railleur.
En même temps, il posa la main sur la garde de son épée, qui relevait son manteau par un coin.