Maître Guillaume Laurent, le paisible bourgeois, avait reculé précipitamment, mais il n'avait pas laissé échapper le flambeau qu'il portait à la main, et il n'avait poussé aucun cri.
– Ah ! coquin, disait le marquis, cette fois tu parleras.
Guillaume reculait toujours, et il arriva ainsi dans cette salle où il avait reçu, quelques jours auparavant, la visite du vieil amoureux.
– Marquis, marquis, dit alors le chevalier de Castirac, je vois que le bonhomme ne paraît pas vouloir nous opposer la moindre résistance. Par conséquent, je crois que nous pouvons remettre l'épée au fourreau.
– Oui ; mais le drôle parlera ! répéta le marquis.
Guillaume, la sueur au front, hors d'haleine, s'était adossé au mur, après avoir toutefois placé son flambeau sur la cheminée.
Le marquis remit l'épée au fourreau, mais, en même temps, il ferma la porte.
Puis il se planta devant le bourgeois.
– Ça, drôle, dit-il, causons un peu. Tu m'as dis que cette maison t'appartenait ?
– Oui, monseigneur.
– Depuis plus de vingt ans ?
– Oui, monseigneur.
– Tu as fait le niais avec moi, et tu as prétendu que tu n'avais pas de locataire.
Guillaume ne répondit pas.
– Tu avais même l'air de si bonne foi, quand nous visitions les caves, que je suis sorti persuadé que tu ne savais absolument rien.
Un sourire glissa sur les lèvres de Guillaume, qui paraissait se remettre d'un premier moment d'effroi.
Le marquis continua :
– Cependant, au lieu de m'en aller, je suis resté dans la rue et me suis mis en observation devant ta maison. Peu après, un gentilhomme s'est présenté, il a mis une clef dans la serrure et…
– Monseigneur, dit alors Guillaume, il est inutile que vous alliez plus loin. Je sais le reste.
– Bon ! fit le marquis, alors tu sais tout ?
– Tout absolument.
– Et tu parleras ?
Guillaume regarda le chevalier de Castirac.
– Ce jeune homme est votre ami sans doute, fit-il.
– Je m'en vante, dit le Gascon.
– Alors je puis parler devant lui ?
– Sans doute.
Le bourgeois parut alors subitement transfiguré.
Une lueur de sourire lui vint aux lèvres et son visage niais s'éclaira d'une expression de finesse ; en même temps, il prit une chaise et se mit à califourchon dessus, sans plus de respect pour un homme à qui, jusque-là, il avait prodigué du monseigneur.
Mais le marquis paraissait si pressé de savoir qu'il passa sur ce manque de convenances.
– Monsieur le marquis, reprit alors Guillaume, un gentilhomme de province aussi riche que vous ne saurait n'être pas chasseur.
– Après ? fit le marquis.
– Qui dit chasseur dit un peu braconnier, et Votre Seigneurie doit savoir comment on pose des collets pour le lièvre et le lapin.
– Sans doute, je le sais. Mais où veux-tu en venir ?
– Le lièvre et le lapin courent tête baissée ; la bécasse, plus circonspecte, poursuivit Guillaume, lève de temps en temps la tête et si, d'aventure, elle voit un petit carreau de papier blanc attaché à un bâton, elle rebrousse chemin.
– Mais que me chantes-tu donc là, drôle ?
– Attendez encore, monseigneur. Le bout de papier dont je parle a été placé là par un braconnier qui fait fi de la bécasse et ne veut pas qu'elle se prenne dans le collet qu'il réserve à un lièvre.
– As-tu bientôt fini de me conter des sornettes ! s'écria le marquis, impatienté.
– J'ai fini, dit Guillaume. Cette maison ressemble à un collet, monseigneur.
– Bon !
– Et je suis le morceau de papier blanc.
– Ce qui veut dire ?…
– Que le collet ne vous est point destiné…
– En vérité !
– Le collet est pour un autre que vous, et c'est pour cela que je vous dis ce que d'autres vous ont dit déjà, monseigneur ; si vous étiez sage, vous vous en iriez.
– Drôle ! exclama le marquis, je te jure que si tu ne m'indiques pas sur-le-champ le passage qui conduit à la partie souterraine de la maison, je te planterai mon épée dans la gorge.
Un soupir souleva la poitrine de Guillaume.
– Ma foi ! dit-il, il est des gens à qui on crie vainement : casse-cou !
– C'est possible.
– Ainsi vous le voulez ?…
– Oui, je le veux.
– Eh bien, soyez satisfait.
En même temps, Guillaume quitta la place où il était et se dirigea vers la cheminée, dans laquelle il n'y avait point de feu.
Alors le chevalier de Castirac et le marquis stupéfaits, le virent prendre un des chenets et en frapper trois coups sur la plaque du foyer.
Il s'écoula environ une minute.
Puis, soudain, la plaque du foyer tourna sur ses gonds invisibles, comme une porte, et le marquis et son jeune compagnon virent apparaître une sorte de trou noir et béant.
Le marquis eut un cri de triomphe.
Il s'empara du flambeau et s'approcha de ce mystérieux corridor.
– Je vois un escalier, dit-il.
– Un escalier qui vous mènera où vous voulez aller, dit Guillaume.
– Je l'espère bien.
– Mais d'où vous ne reviendrez pas, ricana Guillaume.
– Tu crois ?
– J'en suis sûr.
– Eh bien, moi, je suis sûr du contraire.
– Ah ! ah !
– Chevalier, dit alors le marquis en tirant sa montre, il est une heure du matin. Vous allez rester ici, avec maître Guillaume.
– Fort bien, fit le chevalier.
– Si, à trois heures, je ne suis pas revenu…
– Je logerai ma rapière dans la poitrine du bonhomme, n'est-ce pas ? dit froidement le chevalier.
– Précisément, dit le marquis.
Alors il prit le flambeau et, l'épée à la main, il s'aventura dans le mystérieux escalier.