XXXVII

Le chevalier de Castirac était brave, ceci est incontestable, mais il était Gascon ; et, par tempérament, le Gascon exagère toutes choses.

Or donc, le chevalier, dix minutes auparavant, croyant avoir à faire à un paisible bourgeois, frappait sur la coquille de sa rapière avec des rodomontades à faire frémir.

Cette rapière, on l'eût juré, était de taille à faire une seconde brèche de Roland, comme la fameuse Durandal.

Eh bien, lorsque le prétendu bourgeois reparut, avec un justaucorps de gentilhomme et une épée au poing, la rapière du chevalier perdit quelque peu de son prestige, et le chevalier de son assurance.

Néanmoins il ne cessa pas, en se mettant en garde, de protester.

– Drôle, disait-il, je crois que tu te moques de moi.

– Vraiment ! ricanait Guillaume.

– Tu n'es pas gentilhomme.

– Bah ! vous croyez ?

– Et puisque tu oses me braver…

– Pardon, pardon, disait Guillaume, je comprends qu'un pauvre bourgeois sans armes, tremblant et se mettant à vos genoux eût bien mieux fait votre affaire. Mais enfin, mon bon petit monsieur, on fait comme on peut, et faute de lard on prend du beurre.

– Je saurai bien te corriger, hurlait le Gascon.

Les deux épées étaient engagées jusqu'à la garde et, dès la première seconde, le chevalier avait senti qu'il avait affaire à forte partie.

Guillaume tirait bien, avec un grand calme et une remarquable vitesse de poignet, en dépit de son gros ventre et de son apparence lourde.

– Me corriger ? disait-il en riant. Mais vous n'en pensez pas un mot, mon jeune ami.

– Ah ! tu crois ?

– Et tenez, en ce moment, vous avez bien autre chose à faire. Vous ne songez qu'à vous couvrir, et vous avez raison.

En effet, le chevalier parait de son mieux et avait fort à faire, car Guillaume le poussait avec vigueur.

Cependant le chevalier n'était pas Gascon pour rien :

– Sandis ! s'écria-t-il, tout cela va finir par ta mort, mon pauvre ami.

– C'est bien possible, répondit Guillaume, mais, alors, il ne faut pas rompre éternellement.

Et Guillaume disait vrai.

Le chevalier rompait, rompait constamment, et Guillaume le pressait si vivement qu'il lui avait fait faire deux fois le tour de la salle.

Ce qui n'empêchait pas le chevalier de crier :

– Je finirai bien par te clouer contre un mur, maroufle.

– Je ne dis pas non, répliqua Guillaume toujours calme et plein d'ironie ; seulement…

– Ah ! tu demandes grâce ?

Et le Gascon rompait toujours devant la terrible épée de Guillaume.

– Je n'en ai pas l'air, dit celui-ci, mais il est fort possible que vous me logiez votre rapière en plein corps.

– Tu peux y compter, sandis.

Et le chevalier, néanmoins, rompait toujours.

– Seulement, poursuivait Guillaume, je pense avoir le temps de causer avec vous.

– Ah ! ah !

– Et de vous faire une petite proposition.

– En vérité !

– Précédée d'une question.

– Plaît-il ?

– Je me suis laissé dire que vous n'étiez l'ami de ce pauvre marquis que depuis ce matin.

– Cela est vrai ; mais il est des vins assez généreux pour qu'on les puisse boire au sortir des tonneaux de vendange. Mon amitié est comme cela.

– Il est riche, le marquis, poursuivit Guillaume.

Le chevalier tressaillit, fit une faute, se découvrit un moment, et l'épée de Guillaume effleura sa poitrine.

– Si je l'avais voulu, je vous tuais, dit celui-ci avec calme. Mais, causons toujours. Donc le marquis est riche…

– Que vous importe !

Et le chevalier écumait, et son front était baigné de sueur, tandis que Guillaume paraissait avoir le calme d'un maître d'armes.

– Je voudrais savoir de quelle promesse il a stimulé votre jeune amitié.

– Misérable !

– Bah ! bah ! entre nous… on peut tout se dire… Voyons ! est-ce cent, deux cents, trois cents pistoles ?

Le chevalier eut un cri de rage.

– Si vous voulez vous en aller, poursuivit Guillaume, il faut me jurer de garder le secret sur cette aventure, et vous bien persuader que vous n'avez rien à gagner maintenant par le commerce du marquis de la Roche-Maubert, que, d'ailleurs, vous ne reverrez peut-être plus… Mais, prenez donc garde, interrompit Guillaume, voilà que, pour la seconde fois, je viens d'avoir votre vie entre mes mains… Donc, je reprends, si vous voulez garder le secret, et vous en aller, ce n'est pas deux cents pistoles, c'est le double que je vous offre…

Le chevalier rompait toujours, et s'il n'eût été Gascon, il se fût écrié sur-le-champ qu'il acceptait.

Mais ce diable de sang des bords de la Garonne qui lui coulait dans les veines…

– Ah ! gredin, dit-il, je crois que tu m'insultes !

– Mais non, dit Guillaume.

– Ou que tu te moques de moi ?

– Pas davantage.

– Il me faut tout ton sang.

Et le chevalier, ivre de colère, se fendit à fond. Guillaume esquiva le coup, et, par contre, le chevalier, en se redressant, sentit son épée sur sa poitrine.

– Bah ! fit Guillaume, j'aurai toujours le temps de vous tuer. Voyons si nous ne pouvons pas nous entendre.

Et il releva son épée.

Le chevalier se trouvait, en ce moment, acculé dans l'angle de la porte.

– Voulez-vous quatre cents pistoles ? répéta Guillaume.

– Jamais.

– Alors, finissons-en.

Et Guillaume lia l'épée du Gascon tierce sur tierce, donna un vigoureux coup de fouet, et l'épée, échappant à la main du chevalier, alla sauter à vingt pas.

– Cette fois, dit le prétendu bourgeois en portant la pointe de la sienne à la gorge du Gascon, cette fois, mon jeune ami, il faut choisir… ou passer dans l'autre monde sans bruit ni trompette, ou prendre mes quatre cents pistoles et s'en aller.

– Oh ! vous m'en direz tant ! murmura le Gascon tout confus.

– Vous acceptez ?

– Parbleu !

– Et vous serez muet ?

– Comme la tombe.

– À la bonne heure ! Je savais bien que les Gascons sont gens d'esprit.

Et Guillaume remit son épée au fourreau, et, ramassant celle du chevalier, il la garda, pour ôter à son adversaire vaincu toute tentation de recommencer une lutte inégale, comme on a pu le voir.

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