XXI

Paris est la ville où tout s’improvise, comme en un conte de fées.

À neuf heures du matin, une voiture s’était arrêtée rue de Grenelle, à la porte de cette maison où le trésor était enfoui. Deux hommes en étaient descendus : le major Avatar et Milon. Il y avait au-dessus de la porte plusieurs écriteaux de location. Le major dit au concierge, en lui montrant Milon :

– Voici monsieur qui est mon parent et qui arrive de province ; il désire trouver un appartement modeste tout près de chez moi, car j’habite le quartier. Qu’avez-vous à louer ?

– L’entresol et le deuxième, répondit le concierge. Le major se prit à sourire.

– Y a-t-il une cave avec, au moins ?

– Oui, dit Milon, qui avait sa leçon faite ; je tiens surtout à une bonne et grande cave, car j’ai du vin de chez moi qu’on doit m’expédier prochainement.

Puis, se rengorgeant un peu, le bon Milon ajouta :

– Tel que vous me voyez, je suis propriétaire d’un des meilleurs vignobles du Blaisois.

Le concierge, au mot de propriétaire, se leva respectueusement, puis il répondit :

– Quant aux caves, il y en a cinq ou six libres : monsieur pourra choisir celle qui lui conviendra.

– Voyons d’abord l’appartement, dit le major qui craignait que Milon ne trahît son émotion. De combien est l’entresol ?

– De seize cents francs.

Cent dix-sept et Milon visitèrent l’appartement, le trouvèrent à leur goût et déclarèrent qu’ils voulaient entrer en jouissance de suite.

– Voyons les caves, répéta Milon.

On redescendit, le concierge prit une lanterne et ouvrit la porte d’un large escalier en coquille qui conduisait aux caves. Une fois dans le corridor souterrain, Milon rassembla ses souvenirs et s’orienta. Le caveau était à gauche ; le concierge paraissait vouloir prendre à droite.

– Et par ici ? demanda Milon.

– Par là, si vous voulez, dit le concierge, il y en a trois à la file l’une de l’autre.

Dans les trois se trouvait le fameux caveau. Milon, que son compagnon contenait du regard, parut hésiter entre les deux. Puis il dit :

– Je crois que celui-ci est un peu plus grand.

– Cousin, dit le major, pourquoi ne prenez-vous pas les deux ?

– Ce serait deux cents francs de plus, dit le concierge.

– Cela m’est égal, avait répondu Milon, je prends les deux.

Pour aller plus vite en besogne, et éviter la question des renseignements, le major Avatar avait tiré de sa poche un billet de cinq cents francs, disant au concierge :

– Nous n’avons pas de temps à perdre. Voici un terme d’avance. Vous garderez le surplus pour le denier à Dieu.

C’était un peu plus de cent francs pour lui. Le concierge, ébloui, répondit que le propriétaire faisait tout ce qu’il voulait, approuvant toutes les locations qu’il faisait, et que ces messieurs pouvaient emménager quand ils voudraient.

Deux heures plus tard, un tapissier se présenta, prit ses mesures, envoya une voiture de meuble, et, le soir, avant huit heures, M. Joseph Baudoin, propriétaire, s’installa dans son nouveau domicile. Il n’y avait pas encore de rideaux aux fenêtres, ni de tapis sur le parquet, mais les gros meubles étaient en place et le lit dressé. Le major Avatar était venu voir comment son parent était installé. Dans une petite malle que Milon avait apportée lui-même dans une voiture se trouvaient les fameux outils. C’était une maison fort tranquille, que celle de la rue de Grenelle, au Gros-Caillou. Le portier se couchait à onze heures. À minuit, l’escalier était éteint.

Milon et Cent dix-sept attendirent jusqu’à cette heure-là ; puis ils descendirent sans bruit et sans lumière. L’ancien Valet de cœur, l’homme aux noms et aux visages multiples, était doué d’une singulière faculté, il voyait la nuit et dans les ténèbres, absolument comme un chat. Il guida Milon qu’il tenait par la main, passa devant la loge du concierge, où il ne se fit aucun bruit. Tous deux descendirent. Milon disait tout bas à son compagnon :

– J’ai bien remarqué les murs, ils sont intacts.

Une fois dans le corridor, le major tira de sa poche un rat-de-cave et battit le briquet. Milon avait sous son bras les ciseaux à froid et le marteau, et, dans sa poche, la clé du caveau. C’était là ! là que, dix ans auparavant, il avait enfoui l’argent des deux orphelines. Il n’y avait dans le caveau qu’une vieille futaille abandonnée, sans doute, par son dernier locataire. Le major posa dessus son lumignon, et dit à Milon :

– Voyons ! oriente-toi… où est la pierre ? Milon se plaça auprès de la porte qu’ils avaient refermée, puis il compta les jointures des pierres de taille en marchant lentement. Puis il s’arrêta.

– C’est celle-là, dit-il.

Et il prit le ciseau et le marteau. Mais le major les lui arracha des mains. – Mon bon ami, lui dit-il, si tu frappes sur le ciseau, tu produiras un bruit sourd qui finira par éveiller le concierge. Tu as beau être locataire de la cave, tu n’as pas le droit de déparer les murs.

– Cependant, dit Milon, on ne peut pas faire autrement, ce me semble.

– Je connais quelqu’un, répondit le major en souriant, qui a percé un mur de six pieds de profondeur avec une lime à ongles de trois pouces, sans faire autant de bruit qu’un rat, et ce quelqu’un, c’est moi.

Donne-moi ton ciseau et éclaire-moi. Milon prit le lumignon, tandis que le major introduisait le ciseau dans un interstice formé entre la pierre qui masquait la cassette et la pierre voisine. Puis, par un mouvement régulier de va-et-vient, il entama le ciment romain, qui se mit à jaillir en poussière menue sur la lame du ciseau et sur la main qui le tenait.

– Avant une heure, dit-il, la pierre glissera comme sur des roulettes. Le cœur de Milon battait à rompre sa poitrine au fur et à mesure que la besogne avançait.

– Maître, dit-il enfin, nous avons déjà trouvé les meurtriers de Madame ; nous allons bientôt avoir la cassette. Quand donc nous occuperons-nous de retrouver les petites ?

– Demain, dit Cent dix-sept.

Et il continua sa besogne. Cet homme avait dans l’esprit un véritable chronomètre ; il avait annoncé que la besogne durerait une heure ; il ne se trompa point de cinq minutes. La pierre descellée, il fallait la faire glisser et la sortir du creux. Ce fut Milon qui, avec sa force herculéenne, s’en chargea. Il se servit du ciseau comme d’un levier et exerça une forte pesée. La pierre avança de quelques lignes ; il pesa plus fort, elle avança encore. Quand elle fut assez hors du mur pour qu’il pût la saisir, le colosse s’arc-bouta avec le genou contre le mur et tira à lui. La pierre était énorme et pesait plus de deux cents livres ; mais Milon la soutint un moment dans ses bras et la posa ensuite sur le sol, sans faire le moindre bruit. Alors il se précipita vers le trou béant, y enfonça la main et le bras, et étouffa un cri de joie.

– Elle y est ! dit-il.

– Tais-toi, dit le major, qui, lui aussi, n’avait pu se défendre d’une légère émotion.

Milon retira alors de la cachette un petit coffre de fer d’un pied de long sur un demi-pied de large.

– Mais, dit le major, il n’y a pas un million là-dedans ?

– En or, non, mais en papier… et le papier est toujours bon, je suppose.

– Surtout les billets de la Banque, dit le major, qui était devenu tout pâle.

– À quoi songez-vous donc, maître ? demanda Milon.

– Je songe, répondit Cent dix-sept, que je me suis appelé Rocambole, et qu’autrefois, me trouvant seul ici avec toi et te voyant un million dans les mains, je t’aurais tué tranquillement pour avoir le million à moi tout seul.

Milon tressaillit.

– Oh ! maître… dit-il, c’est l’argent des petites !

– Aussi, dit Rocambole – car il venait de reprendre son nom redoutable –, je veux être vertueux… Viens ! fuyons !…

– Où irons-nous… maintenant ? fit Milon inquiet.

– En haut donc, vérifier si la cassette est intacte.

– J’en avais la clé autrefois, dit le colosse.

– Et tu l’as perdue ?

– On me l’a prise au bagne.

– Eh bien ! nous ferons sauter la serrure avec un coup de couteau. Ça me connaît, ça ! ne suis-je pas Rocambole ?… acheva le major en riant.

Et ils sortirent de la cave en emportant la cassette.

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