La fausse blanchisseuse, c’est-à-dire Vanda, avait refermé la porte de la loge avec un petit air impertinent.
– Insolente, va, murmura la concierge.
Vanda était déjà au milieu de l’allée, elle revint sur ses pas.
– Hé ! dites donc, maman comme il faut, lui fit-elle, est-ce qu’il est à feu, votre cabinet ?
– Oui, il y a un fourneau.
– Voyons-le, alors ?…
Et elle posa son panier dans un coin de la loge.
– Je ne peux pas sortir, dit la concierge. Mon mari vient de partir en course chez le propriétaire. Mais si vous voulez monter, c’est au bout de l’escalier… la porte au fond du corridor. La clé est dessus.
– Alors on pourrait emménager tout de suite ?
– Pardienne, si vous avez de quoi garnir…
Vanda s’élança dans l’escalier. Un escalier en coquille, aux marches usées avec une rampe en corde, mais fort clair, et prenant jour sur la rue à chaque repos. Vanda put donc, en montant, étudier la topographie de la maison. Évidemment ce n’était pas dans le corps de logis principal que Timoléon tenait Antoinette enfermée. La maison était habitée par du petit monde, et sur chaque porte il y avait un nom. Ici c’était Bruno, tailleur ; à côté, Mlle Octavie, brunisseuse ; un peu plus haut, Germain Leroux, fabricant de parapluies. Au quatrième étage, Vanda se croisa avec un jeune homme, qui la regarda et murmura en passant :
– Jolie blonde, ma foi !
Elle se tourna et lui dit :
– Vous trouvez, voisin ?
– Tiens ! fit le jeune homme enhardi, vous demeurez donc dans la maison ?
– J’y demeurerai peut-être si le logis me convient.
Et elle continua à monter, fredonnant un couplet de vaudeville. Le jeune homme, qui n’était autre qu’un peintre en bâtiment, encouragé par la désinvolture assez libre de Vanda, au lieu de descendre, se mit à la suivre. En arrivant en haut de l’escalier, Vanda se retourna et le vit derrière elle.
– Tiens, vous avez de l’aplomb, vous, dit-elle.
– C’est mon métier qui le veut.
– Que faites-vous donc ?
– Je suis peintre, ma jolie demoiselle.
– Peintre d’histoire ? fit-elle en riant.
– Non, de façade.
– Je comprends que vous ayez besoin d’équilibre.
Et Vanda entra dans le corridor.
– Tiens, fit le peintre la suivant toujours, c’est le cabinet que vous allez voir ?
– Justement.
Et elle tourna la clé qui était sur la porte.
– Et vous, dit le peintre, qu’est-ce que vous faites, la belle enfant ?
– Je suis blanchisseuse.
– Comme ça tombe à pic ! dit-il ; je suis fâché avec la mienne. Je vais vous donner mon linge. En attendant, voici les arrhes du marché.
Et il prit Vanda par la taille et lui mit un baiser sur le cou. Vanda se dégagea en riant et dit :
– Voyons si la vue est belle…
En parlant ainsi, elle était entrée dans le cabinet, véritable mansarde avec une croisée en tabatière.
– Ça n’est pas grand, ricana le peintre.
– Mais la vue est bien, dit Vanda.
Et elle s’était dressée sur la pointe des pieds et regardait en dehors, par la croisée dont elle avait soulevé le châssis.
– Vous trouvez ? fit le peintre, qui se pencha câlinement sur elle pour voir à son tour.
Vanda ne se montrait pas farouche. Elle tenait même à apprivoiser complètement sa nouvelle connaissance. La mansarde donnait sur le jardin. De la fenêtre, on découvrait la moitié de Paris, et, tout auprès, la nouvelle rue La Fayette. Vanda embrassa tout d’un coup d’œil, et vit que le pavillon était comme suspendu au-dessus des terrains en construction. Le peintre avait arrondi ses mains autour de la taille de la jeune femme.
– Tiens, dit-elle tout à coup, elle est gentille, la maisonnette !
– Où ça ? fit le peintre.
– Là-bas, au bout du jardin… C’est un vrai nid d’amoureux.
– Vous trouvez ?
– Louez-moi ça, dit Vanda en riant, et je vous épouse.
– Vous avez de jolies quenottes, mam’zelle, répondit-il en riant, mais on n’a pas de biscuit à mettre dessous.
– Je parie bien, continua Vanda, qu’il y a là-bas deux amoureux mignons et gentils comme des amours.
Le peintre se prit à rire :
– Vous vous trompez, dit-il ; c’est un vieil Anglais qui loge là.
– Seul ?
– Je ne sais pas. Il y a une femme laide qui a l’air d’une bonne. Elle est grêlée comme une écumoire.
– Bah !
– Et puis il vient tous les jours un espèce de voyou qui a toujours un canon de trop dans les jambes. Tout ça, c’est des amis du portier.
– Vraiment ? dit Vanda qui ne se récria point à un troisième baiser.
– Le portier, la portière, l’Anglais… tout ça ne vaut pas cher, ajouta le jeune homme… Le portier a fait deux ans à Poissy pour vol…
– Excusez ! dit Vanda. C’est égal, la vue me plaît. Je vais louer.
– Vrai ?
– Mais sans doute…
– Quel bonheur ! dit le peintre, nous serons voisins…
– Où demeurez-vous ?
– Au-dessous la porte à gauche. Si vous voulez même, nous nous mettrons en ménage.
Et il eut soif d’un quatrième baiser. Mais, cette fois, Vanda lui glissa des doigts.
– En voilà assez pour aujourd’hui, dit-elle.
Et elle s’élança, légère et moqueuse, hors de la mansarde, et descendit l’escalier comme une flèche, sans pitié pour le jeune homme, qui essaya de la poursuivre. Elle entra dans la loge, prit son panier et se sauva en criant :
– C’est trop petit. Bonsoir, voisin.
Le peintre n’était pas encore au bout de l’escalier que Vanda était dans la rue. Au lieu de continuer son chemin vers la rue Rochechouart, elle redescendit dans le faubourg Poissonnière. Vanda savait tout ce qu’elle voulait savoir, grâce à la complaisance qu’elle avait mise à se laisser courtiser par le jeune peintre. L’Anglais habitait le pavillon. Or, l’Anglais, c’était Timoléon. Dans la femme grêlée, elle avait reconnu la Chivotte, et dans l’homme toujours ivre, Polyte. Enfin, du moment où le portier avait été prisonnier à Poissy, il était tout simple d’admettre qu’il avait favorisé la séquestration. Il est vrai que le peintre n’avait soufflé mot d’Antoinette. Mais c’était tout simple. On avait dû amener la jeune fille de nuit, et personne ne l’avait vue entrer. Or, du moment où le portier était ou devait être le complice de Timoléon, ce n’était pas du côté de la maison qu’il fallait agir pour délivrer Antoinette, mais bien du côté du jardin. Vanda alla se promener dans la rue La Fayette, marchant sur la pointe du pied pour ne pas se crotter dans le gâchis des démolitions ; elle vint jusque sous les murs du jardin. En examinant tout avec attention, elle remarqua une espèce de grille dans la cour, juste au-dessous du pavillon. Cette grille paraissait être celle d’un soupirail. Il y avait donc probablement une cave sous le pavillon. Au-dessous du mur, à présent suspendu entre ciel et terre, était une palissade en vieilles planches. On avait écrit dessus à la craie :
Terrain à vendre.
Vanda s’approcha le plus près possible, et put se convaincre qu’il serait facile de passer au travers des planches disjointes. Le soupirail était assez grand pour laisser passer le corps d’un homme : malheureusement il était grillé. Après avoir examiné tout cela dans les plus minutieux détails, Vanda monta dans une voiture de place et retourna rue Marie-Stuart. Marton s’y trouvait toujours gardant Polyte. La besogne était aisée. Polyte, vaincu par l’ivresse, s’était endormi.
– Il est inutile de le réveiller, dit Vanda.
– Pourquoi ?
– Il n’y a rien à faire avant ce soir.
– Mais c’était bien vrai… Elle est où il a dit ? demanda la belle Marton avec anxiété.
– Oui, rassure-toi.
– Mon Dieu, s’ils allaient la tuer, fit Marton avec effroi, je crains tout de la Chivotte.
– Moi aussi, dit Vanda, mais nous ne lui laisserons pas le temps d’agir.
Et après avoir enjoint à Marton de veiller sur Polyte et de le tuer plutôt que de le laisser sortir, car si pareille chose arrivait, il irait donner l’alarme à Timoléon, Vanda s’en alla.
– Rue Serpente, dit-elle au cocher de fiacre.
Vanda allait rejoindre Noël. Elle trouva celui-ci attendant sur le seuil de la porte.
– J’ai besoin de toi, lui dit Vanda qui, avant d’entrer, regarda si elle n’avait pas été suivie.
Heureusement la rue Serpente est déserte à midi comme à minuit.