XVII

Vanda reconnut alors qu’elle se trouvait dans une sorte de caveau de sept ou huit pieds de large. À première vue, on n’y voyait d’autre issue que le soupirail par lequel elle venait d’entrer. Cependant, à force de regarder, elle aperçut dans un coin une portion de mur qui paraissait plus noire. Vanda reconnut que ce n’était plus le mur, mais bien une porte, et que cette porte, qui paraissait être en chêne d’une forte épaisseur, était garnie de grands verrous et d’une grosse serrure. Vanda avait bien une lime. Mais combien de temps lui faudrait-il pour entamer les gonds et les scier ! D’un autre côté, si elle voulait appeler Noël, il fallait qu’elle fît sauter un second barreau du soupirail afin qu’il pût entrer. Elle y songea un moment ; mais deux difficultés matérielles l’arrêtèrent, dont la première lui parut tout à fait insurmontable. Le soupirail était à huit ou dix pieds au-dessus de sa tête. Il n’y avait dans le caveau ni une futaille, ni une planche, ni rien qui pût l’aider à y atteindre. La seconde difficulté, en admettant que cette première eût pu être vaincue, était presque aussi grande. Comment, du dehors, Noël atteindrait-il lui aussi le soupirail ? Quand elle eut pesé tout cela, Vanda résolut d’attaquer la porte. Elle avait un marteau, elle avait une lime. Avec le marteau, elle pouvait essayer de briser la serrure. Avec la lime, elle pouvait couper les gonds. Mais la besogne du marteau est bruyante ; celle de la lime est sourde. Les geôliers d’Antoinette entendraient les coups de marteau ; ils n’entendraient peut-être pas les grincements de la lime. Vanda se mit bravement à l’ouvrage.

Son rat-de-cave était assez long pour durer environ deux heures. Cependant, quand la lime eut tracé une rainure dans l’un des gonds, et qu’elle s’y trouva pour ainsi dire emboîtée, Vanda souffla le rat-de-cave et se mit à travailler dans les ténèbres, par prudence d’abord, par économie ensuite ; car il pouvait se faire que cette porte ne fût pas la seule dont elle eût à franchir le seuil avant d’arriver jusqu’à Antoinette. Il lui fallut plus de deux heures pour scier le premier gond. Quand celui-ci fut détaché, elle ralluma le rat-de-cave et introduisit le manche de son marteau entre la porte et la pierre, puis elle donna une secousse. La porte céda, s’inclina un peu en arrière, et par ce mouvement fit sortir de la gâche le pêne de la serrure qui n’était fermé qu’à un tour. Le pêne dégagé, plus n’était besoin de scier l’autre gond, la porte tourna et s’ouvrit. Alors Vanda se trouva au seuil d’un escalier, un véritable escalier de cave, étroit, humide, tournant et fait de marches usées et glissantes. Elle avait remis son marteau et sa lime dans la poche de son pantalon d’où elle avait tiré un revolver, objet plus utile, comme on le pense, pour cette expédition de découverte qu’elle entreprenait. Le rat-de-cave à la main gauche, le revolver au poing droit, elle monta. L’escalier avait un repos. Vanda vit une sorte d’encadrement et reconnut une porte murée, mais murée grossièrement avec une simple bâtisse de planches de sapin sur lesquelles on avait passé un lit de chaux et de plâtre. L’humidité avait fait tomber le plâtre. Les planches étaient disjointes çà et là. À un endroit on y pouvait passer le doigt. Vanda y colla son œil d’abord et ne vit rien. Elle avait espéré qu’un rayon de lumière filtrerait au travers. Elle passa ensuite son doigt. Le doigt rencontra quelque chose de mou comme une draperie clouée sur un mur. Elle ne poussa pas plus loin ses investigations de ce côté. L’escalier montait encore. Vanda le suivit et atteignit la dernière marche. Là, non plus une porte murée, mais une trappe. La trappe était fermée. Cependant la Russe allait peut-être essayer de la soulever avec ses épaules lorsqu’elle entendit du bruit. Ce bruit était un pas d’homme, un pas qui allait et venait au-dessus de la tête de Vanda. Une seconde fois elle éteignit son rat-de-cave, et, plongée dans une obscurité profonde, elle écouta. Or, le pas que Vanda avait entendu était celui de Timoléon. Timoléon venait de rentrer. Il était deux heures du matin. La Chivotte attendait patiemment et ne s’était point couchée. Elle regarda son maître d’un œil interrogateur. Timoléon paraissait radieux.

– Maître, dit-elle, vous avez l’air content ?

– Mais oui, fit Timoléon.

– Vous donnera-t-on l’argent ?

– On me l’a donné.

Les yeux de la Chivotte étincelèrent d’une joie féroce.

– Alors, dit-elle, la petite est à moi ?

– À toi et à Polyte.

– Ah ! mais non, dit la Chivotte ; à moi seule !

– Pourquoi ?

– Polyte l’aime…

– Eh bien !

– Il ne voudra pas que je l’assomme.

– Tu as peut-être raison, murmura Timoléon.

– Polyte gâterait tout.

– C’est possible.

– Et puisque vous avez l’argent…

Timoléon frappa d’un air satisfait sur la poche de côté de son paletot.

– Là, dit-il.

C’était le prix de la vie d’Antoinette, que M. de Morlux s’était décidé à lui payer. La Chivotte s’élança vers la porte.

– Prends garde ! dit Timoléon en l’arrêtant.

– À quoi ?

– Si tu fais du bruit, on finira par t’entendre, malgré le capiton.

– Je l’étranglerai… ça ira plus vite. Puis, quand elle sera morte, ajouta le monstre, je la piétinerai pour achever de me venger.

– Et qu’en feras-tu après ?

– Dame !… ça vous regarde… et non pas moi…

– Heureusement qu’il y a une cave ici, murmura Timoléon.

Puis, le misérable donna une tape amicale sur la joue de l’horrible Chivotte, et lui dit :

– Allons ! va… mignonne… et fais ça gentiment… sans tapage.

La Chivotte s’élança dans l’escalier, ses sabots à la main. Elle arriva à la porte de cette chambre dans laquelle Antoinette était prisonnière depuis sept jours. La jeune fille avait été réveillée au milieu de la nuit par un bruit singulier. Bruit singulier… Quelque chose qui grattait une porte ou un mur. Était-ce un rat perçant le plafond ? Était-ce un compagnon de captivité qui cherchait la liberté ? Était-ce un libérateur ? Antoinette se posa successivement ces trois questions et eut de violents battements de cœur. Au bout de deux heures, le bruit cessa. Alors Antoinette sentit s’évanouir l’espoir qu’elle avait eu un moment. Pendant sa captivité à Saint-Lazare, alors que Vanda et elle couchaient dans la même pistole, la Russe lui avait souvent raconté la surprenante évasion méditée et accomplie par Rocambole au bagne de Toulon. Quand elle avait entendu ce bruit qu’elle ne pouvait définir, Antoinette s’était dit :

– Peut-être Rocambole est-il de retour à Paris ? Peut-être vient-il me délivrer ?

Mais lorsque le bruit eut cessé, la jeune fille retomba dans son morne désespoir. Tout à coup un autre bruit se fit. Cette fois, c’était celui de la porte qui s’ouvrit et livra passage à un flot de clarté. La Chivotte entrait. Elle avait son caban d’une main, un flambeau de l’autre. Elle posa le flambeau sur la cheminée, ferma la porte, puis marcha vers le lit. Antoinette fut effrayée de l’expression de férocité répandue sur tout le visage de l’horrible Chivotte. Elle se leva en jetant un cri et se réfugia demi-nue dans la ruelle.

– Ah ! ma petite, ricana la Chivotte, cette fois nous allons régler nos comptes, et le maître ni Polyte ne te défendront… C’est ta vie qu’il me faut !

Elle franchit le lit d’un bond et saisit Antoinette à la gorge.

– Le maître le veut ! dit-elle.

Et ses doigts noueux s’arrondirent comme un étau autour du cou blanc d’Antoinette. Antoinette jeta un nouveau cri.

– Tu peux crier, dit la Chivotte, tu ne crieras pas longtemps.

Et elle serra plus fort… Antoinette se débattit, s’arracha un moment à cette horrible étreinte, appela au secours… Mais les doigts de la Chivotte la reprirent et s’enfoncèrent dans la chair comme les griffes d’une bête féroce. Tout à coup, et comme Antoinette ne pouvait plus se débattre ni crier, il se fit un grand bruit… Le mur s’effondra et s’entrouvrit… C’était Vanda qui, d’un vigoureux coup d’épaule, avait jeté bas le bâti en planches qui en tombant arracha le capiton qui le couvrait. Et au seuil de cette brèche Vanda apparut comme un ange libérateur. En même temps un éclair se fit, suivi d’une détonation… Et la Chivotte, frappée d’une balle en pleine poitrine, tomba et se tordit en blasphémant sur le parquet !

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