XVIII

Vanda posa un doigt sur sa bouche :

– Chut ! dit-elle.

Puis elle entraîna la belle Marton dans un coin du préau :

– Je suis ici depuis hier, dit-elle, et je ne me suis fait arrêter que pour voir Antoinette et favoriser son évasion.

La belle Marton secoua la tête :

– On ne s’évade pas de Saint-Lazare, dit-elle.

– Ordinairement, non ; mais, pour cette fois, ce sera une exception à la règle, dit Vanda avec un calme qui impressionna vivement la belle Marton.

– Qui donc êtes-vous ? fit-elle avec un étonnement mêlé d’admiration.

– Une femme qui veut sauver Antoinette, répondit Vanda ; et pour cela il faut que je la voie : où est-elle ?

– À la pistole. C’est moi qui fais son ménage, dit la belle Marton avec fierté.

– Pouvez-vous me conduire auprès d’elle ?

– Non, mais elle peut descendre dans le préau.

– Alors, allez la chercher.

– Dites-moi vite votre nom.

– C’est inutile. Dites-lui seulement que je viens de la part de Milon ; elle saura ce que cela veut dire.

La belle Marton ne se fit pas répéter le nom ; elle quitta le préau tandis que Vanda, que l’on considérait maintenant avec un respect mêlé de crainte, reprenait sa promenade solitaire. Les détenues ordinaires ne peuvent pas monter aux pistoles, mais celles des pistoles peuvent, à certaines heures, descendre dans le préau. La belle Marton se fit ouvrir, en sa qualité de femme de ménage d’une pistolière, et monta précipitamment auprès d’Antoinette. Antoinette lisait un livre de piété que lui avait donné sœur Marie. Marton entra d’un air de mystère.

– Ma chère demoiselle, dit-elle, votre lettre est partie…

– Ah ? fit Antoinette dont le sourire s’illumina.

– Mais ce n’est pas de votre lettre qu’il s’agit, en vérité !

– Et de quoi donc ?

– Il y a ici, depuis hier, une femme qui vous connaît.

– Moi ?

– Et qui veut vous faire évader. C’est difficile ; mais c’est égal, j’ai une fière confiance en elle, moi, dit naïvement la belle Marton.

– Je ne connais aucune femme, dit Antoinette étonnée et pleine de défiance. C’est quelque nouveau piège qu’on me tend.

– Cependant, reprit Marton, elle m’a dit qu’elle venait de la part de Milon.

Ce nom produisit sur Antoinette un choc électrique :

– Milon ! s’écria-t-elle, Milon ! Elle vient de sa part ?

– Oui.

– Où est-elle donc, mon Dieu ?

– Au préau, où elle vous attend.

Antoinette se leva vivement.

– Est-ce que je puis y descendre ? dit-elle.

– Oui, en demandant la permission à sœur Marie, qui ne vous la refusera pas.

– Mais, fit Antoinette avec inquiétude, si cette horrible femme vient encore m’insulter ?

Elle faisait allusion à Madeleine la Chivotte.

– N’ayez pas peur, dit-elle. Elle a reçu une rude tripotée tout à l’heure ; et elle est à l’infirmerie où on lui bassine le nez.

Antoinette suivit la belle Marton et toutes deux obtinrent facilement l’autorisation de descendre dans le préau. Vanda avait toutes les peines du monde à tenir à distance, non plus des prisonnières qui lui étaient hostiles, mais des enthousiastes et des fanatiques, désireuses de se lier avec une femme qui avait sous son apparence délicate une si magnifique vigueur. Il avait fallu son ton sec, son regard hautain, son geste de femme supérieure pour les empêcher de se grouper en masse autour d’elle.

Cependant, depuis que la belle Marton était partie, Vanda, qui avait sur son visage le calme menteur de son maître Rocambole, était en proie à une vive impatience. Elle voulait voir Antoinette, et se figurait une grande jeune fille, noyée de larmes et en proie au plus violent désespoir. Tout à coup Antoinette parut, appuyée au bras de Marton. Les femmes se jugent d’un coup d’œil et avec une merveilleuse rapidité. Vanda respira en voyant le visage calme et presque souriant de cette jeune fille, et fit cette réflexion :

– À la bonne heure ! je devine par avance que je serai secondée. Il y a dans ces sourcils noirs, dans ce regard assuré, dans ces lèvres rouges une énergie dont nous aurons besoin.

Par contrecoup, Antoinette n’eut pas plutôt envisagé Vanda qu’elle se sentit dominée par ce regard presque despotique. En même temps, Vanda fit quelques pas à sa rencontre, et sous sa robe brune et la triste coiffure de la prisonnière, la grande dame reparut. Elle tendit la main à Antoinette et lui dit :

– Bonjour, mon enfant.

– Bonjour, madame, répondit Antoinette, qui subit aussitôt le charme de la voix, comme elle avait subi la fascination du regard.

La belle Marton se tenait respectueusement à l’écart.

– Mon enfant, reprit Vanda, vous ne m’avez jamais vue et cependant je suis ici pour vous.

– Vous venez de la part de Milon ?

– Oui.

– Ah ! c’est donc vrai qu’il est à Paris… et je ne m’étais pas trompée, il y a trois jours ! dit vivement la jeune fille.

– Il y était, mais il n’y est plus.

– Ah ! fit Antoinette qui eut une exclamation de douleur.

– Il est parti pour la Bretagne, à la poursuite de M. Agénor de Morlux.

À ce nom, le visage d’Antoinette s’éclaira.

– Vous le connaissez aussi ? dit-elle.

Vanda ne répondit point à cette question, mais elle poursuivit :

– Car on vous a dit la vérité chez le commissaire de police. M. Agénor de Morlux était parti pour la Bretagne. Tandis que vous tombiez dans un piège, on lui en tendait un autre.

– Mon Dieu ! murmura la pauvre fille, mais il y a donc des gens qui veulent empêcher notre mariage ?

– À tout prix.

– Et c’est par de semblables moyens ? Oh ! c’est infâme !… Puis la jeune fille eut foi dans Agénor :

– Oh ! mais, dit-elle, il va revenir, et Milon et lui me feront sortir d’ici. Vanda secoua la tête.

– Non, dit-elle, ce n’est pas lui, c’est moi.

Puis, comme un éclair de défiance semblait traverser l’esprit de la jeune fille, Vanda reprit :

– Écoutez-moi bien, votre mère a été spoliée d’une grande fortune.

– Je le sais, dit Antoinette.

– Ce n’est pas à cause de votre mariage avec M. de Morlux que vous êtes ici.

– Ah !

– Ce sont les spoliateurs qui vous ont fait enfermer, craignant vos réclamations ; et ils espèrent faire de Saint-Lazare votre tombeau. Il faut donc que vous sortiez d’ici sans bruit, sans éclat, et que, hors d’ici, on ne puisse retrouver vos traces.

– Mais comment ?

– Je vous ferai évader.

– Est-ce possible ? Vanda eut un fin sourire.

– Tout m’est possible, à moi, et à ceux que je sers. Antoinette la regarda avec un étonnement respectueux.

– Qui donc êtes-vous, madame ? demanda-t-elle.

– Une amie d’un homme assez puissant pour avoir tiré Milon du bagne ; d’un homme qui a juré de vous faire rendre votre fortune.

– Mon Dieu !

– D’un homme, acheva Vanda, qui vous est complètement inconnu, et qui cependant se dévoue à votre cause, par amitié pour le vieux Milon.

– Mais, dit Antoinette, cet homme que vous dites puissant ne peut-il pas faire ouvrir devant moi les portes de cette prison ?

– Il le pourrait, dit Vanda.

– Alors, pourquoi dois-je m’évader ?

– Parce qu’il faut que vos ennemis perdent momentanément vos traces. L’heure où les meurtriers et les voleurs seront démasqués n’est point encore sonnée.

Un soupçon traversa l’esprit d’Antoinette.

– Les meurtriers, dites-vous, madame ?

– Oui, ils ont empoisonné votre mère…

Antoinette étouffa un cri et chancela. Vanda la soutint dans ses bras, puis de cette voix sonore et presque métallique qu’elle savait faire vibrer jusqu’au fond des cœurs :

– Mon enfant, reprit-elle, ce n’est plus seulement la liberté que vous devez désirer, c’est la vengeance !

– Oh ! madame, dit Antoinette avec douceur, ce mot n’est pas chrétien…

– Eh bien ! dit Vanda, le châtiment des coupables.

– Qui sait, fit la jeune fille, si ma mère n’a point pardonné à son lit de mort ?

– Peut-être… Mais la société doit-elle pardonner aux frères qui empoisonnent leurs sœurs ?

Antoinette jeta un cri d’horreur.

– C’est la vérité, dit froidement Vanda.

Les détenues, toujours à distance, observaient curieusement ces deux femmes, qui semblaient n’avoir rien de commun avec elles.

– Ces dames font salon, comme au faubourg Saint-Germain, ricana la Simonne.

La belle Marton entendit ce sarcasme, bondit vers la Simonne, se déchaussa et, brandissant son sabot comme une massue au-dessus de la tête de cette petite vieille, elle lui dit :

– Je vais faire de toi de la purée de marrons !

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