Résumons en quelques mots la situation posée dans le chapitre précédent.
On se rappelle le traquenard tendu par Timoléon à Rocambole et à ses deux fidèles, Jean le Boucher et le Bonnet vert. Ils doivent être le soir arrêtés par la police qui veille autour de la maison où le croque-mort leur donne asile en sa chambre, chambre où se trouve le lit dans lequel Timoléon a fait cacher par le traître chiffonnier Le Merle le portefeuille volé chez M. de Morlux. À l’heure dite, Rocambole arrive, transformé en mulâtre.
– Ferme la porte de la maison, dit-il au croque-mort, devenu son esclave depuis qu’il sait que le maître s’intéresse à la jeune fille qui a sauvé son enfant.
Pendant que ce dernier obéit, Rocambole fouille le lit, et, à la grande surprise du Bonnet vert et de Jean le Boucher, en retire le portefeuille accusateur, qu’il met dans sa poche. Il leur explique le piège qui leur était tendu.
– Maintenant, dit-il, en s’adressant à Rigolo, n’as-tu pas une cave ?
– Oui, maître.
Aucune apparence de trappe ou d’issue n’existe dans la chambre qui puisse indiquer l’entrée de cette cave.
À ce moment, on frappe, c’est la police. Alors Rocambole saisit ses pistolets qu’il avait placés sur une table en entrant. Le Bonnet et Jean le Boucher crurent que la maison s’apprêtait à résister. Jean avait toujours un poignard sur lui et il s’en arma. Le Bonnet prit une table et la plaça devant la porte. Mais Rocambole dit à Rigolo :
– Eh bien ? où est ta cave ?
On avait une seconde fois frappé à la porte de la rue et ces mots : « Au nom de la loi ! » se faisaient entendre. Rigolo était aussi calme que Rocambole.
– Avant qu’ils aient enfoncé la porte, dit-il, nous serons loin.
En même temps, il ouvrit les deux battants d’une armoire en noyer dans laquelle Marceline, avant sa condamnation, serrait sa vaisselle. Cette armoire était large comme un bahut de salle à manger, et atteignait le plafond. Elle paraissait même avoir été faite pour un appartement plus élevé, car on avait été obligé de scier les pieds, de telle sorte que l’on n’eût pu passer la main entre elle et le sol. Entre le plafond de l’armoire et la première tablette chargée de vaisselle et d’ustensiles de ménage, il y avait un espace de trois pieds de haut dans lequel un homme pouvait se tenir accroupi.
– Faites comme moi, dit Rigolo, et ne perdons pas de temps. Il se plaça sous la tablette et soudain, ô miracle ! il disparut.
Le fond de l’armoire était à bascule, comme une trappe de théâtre.
– À vous, maître, à vous ! dit le Bonnet vert.
– Non, dit Rocambole, à toi d’abord. Le capitaine quitte son bord le dernier.
Le Bonnet vert imita Rigolo. La planche s’abaissa, laissa tomber son fardeau dans un abîme inconnu et remonta.
On entendait au-dehors les coups de crosse de mousquet qui battaient la porte en brèche.
– À toi, Jean, dit encore Rocambole.
Jean obéit. Une seconde après Rocambole était seul.
La porte extérieure venait de céder et les sergents de ville envahissaient le corridor.
Rocambole ne se pressa pas davantage. Seulement il remit en place la table que le Bonnet vert avait placée devant la porte.
Puis il alla s’accroupir sur le fond de l’armoire et le fond fit la bascule au moment même où la porte du logement de Rigolo volait en éclats. Rocambole tomba de sept ou huit pieds de haut dans une obscurité profonde sur un sol humide et gras.
– Sauvé ! dit alors une voix à son oreille. Avez-vous des allumettes, les uns ou les autres ?
Cette voix était celle de Rigolo.
– J’ai un rat-de-cave, répondit Rocambole un peu étourdi de sa chute.
Et il tira de sa poche un briquet à allumettes-bougies et soudain une vive clarté brilla et dissipa les ténèbres. Alors, Rocambole allumant son rat-de-cave put voir ses deux compagnons et Rigolo autour de lui et se rendre compte du lieu où il était.
C’était une cave, une véritable cave parisienne avec ses tonneaux contre les murs, une voûte noire, un sol humide.
Rocambole leva les yeux et ne vit aucune ouverture à la voûte. Rigolo se prit à sourire.
– Regardez bien la grande pierre d’en haut, dit-il, tout au-dessus de votre tête.
– Eh bien ?
– Elle est en bois, comme le fond de mon armoire.
– Mais, c’est très ingénieux, cela, dit Rocambole. Est-ce toi qui l’as imaginé ?
– Moi et les camarades, quand nous avons voulu sauver Pignolet. Il y en avait un parmi nous qui avait travaillé dans la charpente du théâtre à la Porte-Saint-Martin. Il nous a fait ça en deux nuits. Ce qui fait que Pignolet venait, quand les portes du cimetière étaient fermées, boire un coup et manger avec nous à la maison. On le montait avec une corde.
– Mais, dit Rocambole, qui, après avoir allumé son rat-de-cave, sorte de bougie en cire roulée en corde, examinait les murs et la voûte, cela correspond donc avec le cimetière, et Noël m’avait dit vrai ?
– Oui, monsieur.
– Par cette porte ?
Et Rocambole désignait la porte de la cave.
– Non, dit Rigolo. Cette porte donne sur un escalier, et cet escalier monte dans le corridor. Après avoir tout fouillé chez moi, ils finiront par trouver le chemin de la cave, et il ne faut pas moisir ici.
– Par où donc sortir ?
– Ah ! dame ! la route n’est pas commode, mais je pense que vous n’avez rien à gâter. Vous avez vu la première moitié du truc, voici la seconde.
Il y avait un tonneau plus grand que les autres, de ceux qu’on nomme, en Bourgogne, une double pièce. Il était appliqué contre le mur.
Rigolo donna un coup de genou dans le milieu, et le fond s’ouvrit comme une porte. En même temps, une bouffée d’air vif vint fouetter Rocambole au visage.
– Entrez, dit Rigolo.
Cette fois Rocambole passa le premier et s’aperçut qu’il était, non dans un tonneau, mais dans un couloir souterrain, semblable à un terrier de renard, et qui se prolongeait indéfiniment, traversant le mur de la cave et passant à quinze pieds de profondeur sous le Chemin-des-Dames, en ce moment envahi par les sergents de ville.
– Rampez droit devant vous, dit Rigolo. Je passe le dernier pour refermer le tonneau.
Cependant, sur l’ordre du chef de la sûreté, les portes avaient été enfoncées. Dans le corridor, il y eut un moment d’hésitation. Un vieux sergent de ville qui avait entendu parler de Rocambole fut le premier à dire :
– Prenez garde ! si c’est lui, il descendra quelques-uns de nous à coups de pistolet, avant que nous lui mettions la main dessus.
Mais le chef de la sûreté ne tint pas compte de ses appréhensions.
– Ceux qui ont peur, dit-il, peuvent quitter le service. On les remplacera.
Et comme on ébranlait la porte du logement de Rigolo, il donna lui-même un coup d’épaule, et, la porté tombée, il entra le premier. Le double fond de l’armoire venait de se refermer sur Rocambole.
Le logement était vide. Deux sergents de ville avaient allumé des torches et pénétraient sur les pas de leur chef.
– Nous sommes volés ! dit ce dernier ; il n’y a personne.
On fit le tour du logement, on bouleversa les deux lits, on sonda les murs, le plafond, le plancher qui était carrelé. Partout, au coup de crosse, répondit ce bruit mat qui ne trahit aucune cavité.
La maison avait plusieurs étages, et tous étaient habités. Mais c’était un lundi, et la population ouvrière de la maison était dans les cabarets. Deux femmes furent trouvées toutes tremblantes dans une chambre au premier étage. C’étaient des femmes de mauvaise vie qui avouèrent que, depuis six mois, elles s’étaient soustraites à toute surveillance, et que c’était pour cela que, lorsqu’on avait frappé, elles n’avaient pas osé ouvrir. Enfin tout en haut, on trouva le père La Joie qui était ivre mort sur un tas de vieille paille qui lui servait de lit.
Cependant, comme il paraissait matériellement impossible que les trois hommes qu’on avait vus entrer eussent quitté la maison, on songea aux caves, sur l’indication même des deux femmes. Les caves furent visitées sans résultat. On ne soupçonna pas le secret du tonneau plus qu’on avait deviné celui de l’armoire à bascule.
M. de Morlux et Timoléon avaient fini, grâce au tumulte, par pénétrer dans la maison, à la suite des sergents de ville. Timoléon était pâle et suait à grosses gouttes. Le Merle ne comprenait plus rien à ce qui se passait.
Timoléon lui fit un signe, et Le Merle s’écria :
– Je sais pourtant qu’ils ont caché l’argent dans la paillasse !
Sur un ordre du chef de la sûreté, on fouilla dans la paillasse et on ne trouva rien.
– Volés ! murmura Le Merle.
– Mais qu’est-ce que tout cela signifie ? murmura M. de Morlux.
Timoléon l’entraîna hors de la maison, sans que le chef de la sûreté eût paru faire attention à lui :
– Cela signifie, dit-il, que nous sommes perdus, et que je ne vais pas moisir à Paris, moi… Gare à Rocambole !…
Et Timoléon prit la fuite, suivi par M. de Morlux.