CHAPITRE VIII

Le père Clappier était dans la vie domestique ce qu’il était en affaires, un homme dur et sauvage.

Son fils l’avait effrayé d’abord, et, pendant plus d’une heure, il fut comme sous le coup d’une prostration morale qui lui ôta la possibilité de réfléchir.

Mais cet état fut de courte durée. Le courage lui revint et, avec le courage, cette énergie du mal qui, chez lui, était poussée aux dernières limites.

– Je lui ferai rentrer dans la gorge ce qu’il s’est permis de me dire, murmura-t-il en s’acheminant vers la Meunerie, et je le laisserai pourrir dans ses haillons, car il n’aura plus un sou de moi.

Il s’attendait presque à retrouver Hector à la Meunerie, car le jeune homme avait contourné la maison en s’en allant, et son père ne l’avait pas vu gagner la lisière du bois.

Mais Hector n’y était pas ; il s’en allait, à cette heure, rejoindre le Chambrion.

Ce fut la mère Clappier qui reçut l’orage.

Elle était occupée en ce moment, en bonne ménagère qu’elle était, à fondre du beurre dans une grande jarre de grès brun, et ne se doutait nullement de ce qui était arrivé.

– Où est donc Hector ? demanda le marchand de biens.

– Je le croyais avec toi, dit la grosse Lucinde, née Jousserand.

– Il n’est donc pas ici ?

– Non, notre maître, dit la Jeannette qui rentrait, apportant un seau d’eau ; il vient d’aller à la chasse.

– Ah ! le gredin ! ah ! le misérable ! dit Clappier.

– Qu’a-t-il donc fait ? exclama la mère Clappier, toute tremblante de la subite colère de son homme.

– Il a manqué de respect à son père ! et c’est ta faute à toi, femme, car tu l’as mal élevé, ce feignant, ce vaurien ! Il n’aura pas un sou de mon héritage !… Et je saurai bien l’empêcher de se marier !

La mère Clappier voulut parler, mais le marchand de biens continua :

– Je ne veux plus qu’il mette les pieds ici !

– Et où veux-tu donc qu’il aille ?

– Au diable, si ça lui plaît !

– Mais c’est notre fils… et nous ne lui avons pas donné d’état… Que veux-tu qu’il devienne ?

– Il se fera valet de charrue, berger ou soldat, comme il voudra !…

La mère Clappier n’avait jamais vu son mari dans une semblable irritation ; mais elle pensa que le meilleur moyen de le calmer était de se montrer de son avis.

– Si Hector t’a manqué de respect, dit-elle, il te demandera pardon…

– Je ne veux plus le voir !… Et si tu oses le défendre, ajouta le marchand de biens, je te chasserai comme lui !

Sur ces mots, le père Clappier quitta la cuisine, monta l’escalier de bois de la Meunerie, et bientôt la mère Clappier et Jeannette la servante entendirent un vacarme épouvantable.

C’était le marchand de biens qui, étant entré dans la chambre de son fils, jetait ses hardes par la fenêtre avec une malle, un fusil, un cor de chasse, une selle anglaise et un harnais de cabriolet.

Tout cela tombait pêle-mêle sur le pavé de la cour, et l’on entendait le vieillard qui criait :

– Je ne veux rien de lui ici, rien de rien ! il emportera ses frusques où il voudra !…

La mère Clappier et la Jeannette se regardaient avec une sorte de terreur.

Heureusement, il survint un événement qui força le père Clappier à se calmer momentanément.

Il vit déboucher, par le chemin creux qui venait de Salbris, un homme monté sur une jument blanche qui trottait l’amble, et il reconnut un de ses fermiers, qu’on appelait le grand Jacques, et dont la ferme se trouvait sur la route de Vierzon.

Comme on était aux approches de Toussaint, le père Clappier, en dépit de sa colère, se fit le raisonnement suivant :

« Le grand Jacques est un fermier exact, il vient me payer sa rente. »

Or, rien ne calmait le père Clappier comme les écus.

Il redescendit donc et dit à la Jeannette :

– Mets dans un coin tout ce que j’ai jeté par la fenêtre. Il faut laver son linge en famille, et voici le grand Jacques qui apporte de l’argent.

Cinq minutes après, la mère Clappier et la servante avaient fait disparaître les traces de la colère du maître, que le grand Jacques, en entrant dans la cour, trouva souriant et de belle humeur.

Le fermier descendit de cheval, attacha sa bête à un anneau fiché dans le mur, et ôta sa casquette de peau de loutre avec l’obséquiosité que les pauvres gens contractent, dans les campagnes, vis-à-vis de ceux qui possèdent le sol.

– Tu es exact, mon garçon, dit le père Clappier. Viens par ici, je vais te faire ta quittance.

– Faites escuse, not’ maître, dit le grand Jacques, je vous payerai la semaine qui vient, c’est-à-dire le lundi de Toussaint, en revenant d’Orléans.

– Eh ! dit le marchand de biens, je croyais que tu m’apportais de l’argent.

– Nenni da ! not’ maître. Je venais vous causer d’un malheur qui m’est arrivé.

– Ah ! fit le Clappier avec indifférence, tu as enterré quelqu’un, peut-être…

– Non pas, not’ maître.

– Ou la picote est sur tes bêtes…

– C’est pire, nous avons brûlé !

– Brûlé ? exclama Clappier que le sentiment de propriété domina. Tu as brûlé ?… La ferme des Regrattières !…

– Pas la ferme, mais la bergerie… il ne reste que les quatre murs.

– Eh bien ! dit le marchand de biens d’un air tranquille, tant pis pour la compagnie !… La bergerie et les bâtiments qui en dépendent étaient assurés pour dix-sept mille francs.

– Juste le double de ce que ça valait, dit le grand Jacques, et pour neuf ou dix mille francs, je me chargerais bien…

– Alors, fit le père Clappier, il y a tout profit à brûler. Je mettrai huit mille francs dans ma poche.

– C’est que, reprit le fermier d’un ton timide, j’ai été moins prudent que vous, not’ maître.

– Tu n’avais pas assuré tes bestiaux ?

– Hélas ! non… Et j’ai perdu cinq vaches, une paire de bœufs et trente-quatre moutons. C’est un coup qui me ruine, not’ maître, si vous ne me venez pas en aide… sur l’argent que vous toucherez de l’assurance.

– Mon garçon, dit le père Clappier sentencieusement, quand on est puni par où l’on a péché, faut pas se plaindre. Si tu avais assuré tes bestiaux, la compagnie te payerait ; moi, ça ne me regarde pas !…

– Alors, dit le pauvre homme, faudra que vous me donniez du temps…

– Du temps, pourquoi ?

– Mais dame, pour mon fermage.

– Comment ! exclama le marchand de biens, tu n’es pas en mesure ?

– Hélas ! non, je comptais vendre mes vaches et mes moutons.

– Tu t’arrangeras avec Maupert, dit Clappier.

Et il tourna le dos au fermier.

Quand Clappier disait à un de ses fermiers ou à un de ses locataires : « Tu t’arrangeras avec Maupert », le malheureux savait d’avance que huit jours après, il aurait la visite d’un huissier, et qu’on lui ferait vendre son outillage, ses récoltes et ses charrues, jusqu’à concurrence de parfait payement. Il s’en alla la mort dans l’âme, ne se doutant pas qu’il venait d’apporter une déviation à la colère du marchand de biens.

– Ces brigands, ces misérables, disait Clappier en se mettant à table, ne pas assurer leurs récoltes et leurs bestiaux, c’est-à-dire ma garantie !… Oh ! je lui ferai vendre jusqu’à son dernier poulain pour qu’il s’en aille… je ne veux pas d’un homme comme ça chez moi…

Mais la colère du père Clappier ne l’empêchait pas d’être inquiet et de songer de temps à autre aux mystérieuses paroles de son fils ; et à mesure que la soirée s’avançait, si ses nerfs se distendaient et se calmaient peu à peu, son esprit travaillait, comme on dit, et il se rappelait à merveille l’accent moqueur d’Hector.

Hector n’était pas revenu souper. Àdix heures du soir, la mère Clappier, ne le voyant pas revenir, commença à s’inquiéter sérieusement.

– Tu l’auras peut-être battu ? dit-elle.

– Non, dit Clappier. Je ne lui ai seulement rien dit. Mais sois tranquille, il ne perdra rien pour attendre !

Maupert revint. Il était de retour de Romorantin. Son arrivée apporta quelque distraction à l’esprit inquiet du marchand de biens.

– Qu’as-tu fait ? demanda-t-il.

– J’ai vu le procureur impérial.

– Et il n’a attaché aucune importance à la plainte, n’est-ce pas ?

– Au contraire, il a fait appeler le brigadier de gendarmerie.

– Ah ! ah ! fit Clappier en souriant.

– Et il lui a donné un mandat d’arrestation. Ah ! dame, faut vous dire, ajouta Maupert, que j’ai fièrement appuyé sur la chanterelle. Vous savez, on a commis un vol à Salbris le mois dernier.

– Oui, et on n’a pas su qui était le voleur.

– J’ai laissé entendre que ce pourrait être le Brocard…

Clappier regarda son garde et se prit à rire.

– J’aurais plutôt dans l’idée que c’est toi, dit-il.

Maupert supporta cette plaisanterie assez bien et fit chorus avec son maître : comme lui, il se mit à rire.

La Jeannette, en ce moment, ouvrit la porte qui allait de la salle à manger à la cuisine.

– Tiens ! dit-elle, voilà Jacomy qui ramène Flambant, le chien à M. Hector.

Clappier se leva et vit le chien qu’on débarrassait de sa corde.

– Est-ce qu’il s’était perdu ? est-ce que tu l’as trouvé dans le bois ? demanda-t-il au bûcheron.

– Non point, not’ maître. C’est M. Hector qui m’a dit de le ramener, répondit Jacomy.

– Pourquoi donc qu’il ne l’a pas gardé avec lui ? fit Mme Clappier, étonnée.

– Parce qu’il a dit qu’un chien d’arrêt, ça gênerait à l’affût.

– Il allait donc à l’affût ?

– Oui, avec le Chambrion, François Véru.

Certes, en ce moment, si le Mane, thecel, pharès biblique s’était tout à coup montré en lettres de feu sur l’un des murs de la salle à manger, le père Clappier n’eût pas éprouvé une sensation plus terrible.

Le Chambrion !

Ce nom devenait pour lui toute une révélation.

C’était le Chambrion qui avait dit à Hector qu’il avait touché deux fois son argent…

Et la mémoire du père Clappier fit soudain un brusque et lointain retour vers le passé…

Il se souvint que, pendant la nuit du crime, il avait vu cet enfant que son malheureux père tenait par la main, et qu’il ne s’en était point défié… Le Chambrion savait tout !

 

Ce fut une nuit terrible que celle que passa le père Clappier, attendant avec anxiété que son fils revînt.

Il l’eût pris à la gorge, il l’eût questionné… il eût voulu savoir jusqu’à quel point le Chambrion l’avait mis dans la confidence.

Mais Hector ne revint point.

Alors, mille circonstances oubliées se présentèrent à son esprit.

Il se souvint que jamais le Chambrion ne venait à la Meunerie ; qu’il évitait de se trouver sur son chemin ; qu’il le saluait à peine, lui, Clappier, devant qui tout s’inclinait, sinon par respect, du moins par terreur.

« Ah ! se dit-il enfin, cet homme a mon secret, cet homme sait que je suis un assassin… cependant, il s’est tu pendant quinze ans. Pourquoi parle-t-il aujourd’hui ? »

Certes, Clappier ne dormit pas comme la nuit précédente ; mais il rêva tout éveillé, et ce rêve qu’il fit les yeux ouverts eut la cour d’assises pour théâtre et l’échafaud pour dénouement. D’abord, il s’était mis au lit ; mais il ne put dormir et se leva. Enfin, au petit jour, après avoir erré dans le jardin, dans la cour, dans la pépinière d’acacias, fiévreux, tourmenté, il prit une grande résolution.

La résolution d’aller au danger, tête haute, c’est-à-dire de se rendre chez le Chambrion.

« J’achèterai cet homme, se dit-il, il ne s’agit pas d’être ladre aujourd’hui ! »

Et il partit, espérant toujours rencontrer son fils en chemin.

Mais il arriva jusqu’à la clairière où s’élevait la maison de François Véru sans avoir vu Hector.

En revanche, le Chambrion, les bras nus, cerclait fort tranquillement une futaille en chantant, devant sa porte.

Il était fort tranquille et avait l’apparence d’un bon ouvrier qui commence sa journée à la première heure sous le regard de Dieu.

Àla vue du père Clappier, il ôta sa casquette et lui dit :

– Je sais pourquoi vous venez, notre maître.

– Oh ! fit le père Clappier, qui s’arrêta et sentit son cœur tressauter dans sa poitrine, tu sais… pourquoi…

– M. Hector n’est pas rentré à la Meunerie cette nuit.

– C’est vrai, dit encore le père Clappier, qui fixait sur le visage placide et souriant du Chambrion un regard étrange.

– C’est peut-être un peu ma faute, reprit François Véru, mais vous savez, les jeunes gens, quand cela a quelque chose en tête…

– Ah ! fit Clappier, à qui le calme du Chambrion rendait quelque assurance ; et qu’avait-il dans la tête ?

– Il est venu hier matin, il voulait tuer un chevreuil et m’a supplié de le mener à l’affût.

Le père Clappier fit un pas encore, et, voyant l’attitude insouciante de François Véru, il se rassura plus encore.

– Ah ! il voulait tuer un chevreuil ?

– Oui, pour l’offrir à la demoiselle des Sapinières.

Clappier reçut ce nom en pleine poitrine et ne sourcilla pas.

– Car, poursuivit le Chambrion, il en est toqué, de la demoiselle des Sapinières, et, à toute force, il veut l’épouser.

L’accent du Chambrion était si tranquille que le père Clappier se dit : « Ou cet homme est plus fort que moi, ou il ne sait rien du tout. »

– Eh bien, qu’est-ce que tu penses de ça, toi, Chambrion ?

– Moi, répondit François, je pense que ce n’est pas une raison parce que la mère de la demoiselle s’est mal conduite et que son père s’est tué, pour qu’elle ne trouve pas un mari ; et, ma foi ! si M. Hector en veut bien, vous avez assez d’écus pour arranger ça.

Le Chambrion s’exprimait avec une certaine indifférence.

Clappier en fut comme dérouté.

– Mais, dit-il, où est Hector maintenant ?

– Ah ! j’ai oublié de vous dire qu’il avait manqué un brocard superbe.

– Et puis ?

– Et il est allé coucher à votre ferme, dont le fermier a deux bons bassets. Il va se rattraper ce matin, pour sûr. Et puis, ajouta François Véru, paraît que vous avez eu des mots hier soir ; il m’a conté ça.

– Que t’a-t-il dit ? demanda vivement Clappier, que toutes ses angoisses reprirent.

– C’est encore un peu ma faute, peut-être, répondit le Chambrion, qui avait un naïf sourire aux lèvres. Figurez-vous qu’hier au matin, quand il est venu me demander de le conduire au chevreuil, il m’a dit : « Croirais-tu que mon père ne veut pas aller aux Sapinières ? Il ne doit pourtant pas d’argent à la demoiselle, ni elle non plus. On lui a payé le château. »

– Ah ! fit Clappier, dont le sang se figeait, il t’a dit cela !

– Oui, dit le Chambrion, et moi qui avait toujours entendu dire que M. de Méreuil avait payé les Sapinières trop cher, je lui ai dit sans penser à mal : « Oh ! sans doute que votre père a été payé… et deux fois plutôt qu’une. »

Tandis que le Chambrion parlait, le père Clappier cherchait à le fouiller du regard jusqu’au fond de l’âme. Mais François Véru demeurait impassible.

– Alors, acheva-t-il, il paraît que M. Hector a pris ces paroles en mauvaise part, qu’il vous les a répétées et que vous vous êtes fâché.

– Dame ! dit le père Clappier, on se fâcherait à moins.

– Faut pas lui en vouloir, dit encore le Chambrion. C’est ma faute pure à moi, monsieur Clappier.

– Et tu dis qu’il est à la ferme ?

– Oui.

– Eh bien, j’y vais, dit Clappier, qui reprit son ton dur et arrogant.

Et il s’éloigna, satisfait de l’explication du Chambrion.

« Ah ! se dit-il, j’ai eu une fière peur… Ce garçon ne sait absolument rien… C’est égal, il me le payera… Je lui lâcherai Maupert un jour ou l’autre. »

 

Le Chambrion regarda le père Clappier s’éloigner ; alors, un sourire silencieux lui vint aux lèvres.

– Il a eu peur, dit-il. L’heure n’est pas loin où il se trahira.

Tandis que le marchand de biens causait avec lui, le Chambrion était demeuré devant sa maison dont la porte était fermée. Et l’idée d’y entrer n’était point venue au père Clappier.

Quand ce dernier fut loin, le Chambrion poussa la porte et entra dans sa cabane ; Hector était fort tranquillement assis au coin du feu, et il avait écouté la conversation de son père avec le Chambrion sans y rien comprendre.

– Ah çà ! lui dit-il, qu’est-ce que tout cela signifie ?

– Monsieur Hector, dit le Chambrion, est-ce que vous avez toujours les deux cent mille francs à cœur ?

– Toujours, dit le fils Clappier, et si j’épouse la demoiselle, il les rendra.

– Eh bien, je sais un moyen, moi, pour qu’il les rende.

– Quel est ce moyen ?

– Avez-vous de quoi écrire sur vous ?

– Oui, j’ai mon portefeuille et un crayon.

– Écrivez alors ce que je vais vous dicter.

Et le Chambrion dicta à Hector, qui écrivit :

Mon cher père,

» Avec toute votre finesse, vous êtes plus simple qu’un enfant. Allez donc voir le Chambrion tout de suite ; il sait tout, et en y mettant le prix, en ne liardant pas, vous vous tirerez peut-être d’affaire.

– Bien, dit le Chambrion lorsque Hector eut écrit et signé ; vous pouvez vous tenir tranquille, maintenant.

– C’est-à-dire rester ici ?

– Oh ! non pas, répliqua le Chambrion. Reprenez votre fusil et allez chercher les bassets du fermier ; on fera votre affaire bien mieux que si vous étiez là.

– Tu crois ? fit Hector, qui avait une grande confiance dans le Chambrion depuis le résultat obtenu la veille.

– J’en suis sûr, dit François Véru. Vous voyez bien que ce que je vous ai dit s’est réalisé. Et, tenez, savez-vous où il est allé, votre père ?

– Àla ferme, où il me croit.

– Non, il a pris le chemin des Sapinières. Il est allé faire la demande.

– Vraiment ! tu es sûr !

– Vous verrez…

– Mais que vas-tu faire de cette lettre que je viens d’écrire ? demanda Hector.

– Ne vous inquiétez pas, c’est mon affaire.

Hector Clappier, comme on a pu le voir, s’il était doué de mauvais instincts, ne jouissait pas d’une grande intelligence. Il avait fini par considérer le Chambrion comme un être qui lui était supérieur, et il le croyait sur parole.

Il lui laissa donc la lettre qu’il venait d’écrire, reprit son fusil, et, quittant la maison, il gagna le chemin qui descendait à l’étang, afin d’y reprendre l’allée forestière qui menait à cette ferme où il avait passé la nuit.

Alors, le Chambrion leva la tête et siffla.

Aussitôt, la trappe du grenier se souleva, et le Brocard, qui s’y tenait tapi et dont M. Hector n’avait pas soupçonné la présence, montra sa mine éveillée.

– Mon garçon, lui dit le Chambrion, écoute-moi bien.

– Parle, Chambrion.

– Tu vas rester où tu es… Tu as à boire et à manger, n’est-ce pas ?

– Sans doute.

– Je reviendrai ici. Quand ? je n’en sais rien… peut-être ce soir… peut-être dans une heure… peut-être demain seulement… Si tu entends venir, tu ne bougeras pas.

– C’est bon, dit l’enfant, tu sais bien que je fais tout ce que tu veux.

Le Chambrion s’en alla.

Quelques minutes après, il était sur le chemin des Sapinières et passait comme une ombre auprès de maître Clappier, qui ne l’aperçut point, séparé de lui qu’il était par d’épaisses broussailles.

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