Le poignard de Nadir n’effraya point Koureb outre mesure.
– Maître, dit-il, un homme aussi sage que toi ne saurait refuser à un autre de s’expliquer.
– Parle.
– Comme prêtre de Sivah, je suis ton esclave, toi qui es notre chef à tous, dit Koureb. Comme homme, j’ai mes amitiés et j’ai fait des serments de fidélité.
Tu peux commander au prêtre, mais si tu demandes à l’homme un secret qui ne lui appartiendra pas, tu frapperas inutilement. Sa langue ne parlera point.
Nadir ne se montra point irrité de cette hardiesse de langage :
– À ton tour, écoute-moi, dit-il.
– Parlez, maître.
– Le rajah Osmany était l’ami de l’homme que tu vois là.
Et Nadir jeta une main sur mon épaule.
Koureb me regardait avec défiance.
– Osmany, poursuivit Nadir, lui a donné son anneau.
– Où est cet anneau ? demanda Koureb.
– Je ne l’ai plus, répondis-je.
Un sourire d’incrédulité vint aux lèvres de Koureb.
– Tippo-Runo le lui a volé, dit Nadir.
Ce nom fit passer un nuage sur le front de Koureb.
– C’est possible, dit-il, et je vous crois, mais si je ne vois pas l’anneau, je ne parlerai pas.
– Peut-être en verras-tu l’empreinte, me hâtai-je de dire.
Et je mis une main sous les yeux du vieux prêtre.
En effet, l’annulaire de ma main gauche conservait trois empreintes rouges qui étaient le résultat de la pression exercée par la bague, qui avait à l’intérieur trois petites pointes de diamant.
– Cela peut être la marque de la bague d’Osmany, me dit-il. Mais cela peut aussi être autre chose.
– Si tu ne veux pas nous croire, dit Nadir, je te dirai quelque chose de plus.
– J’écoute.
– Nous avons découvert les trésors d’Osmany confiés à la garde du vieil Hassan.
Koureb pâlit.
– Rassure-toi, reprit Nadir, nous sommes les amis du rajah mort, et c’est pour soustraire ces trésors à l’avidité de Tippo-Runo que nous sommes ici.
– Alors, dit Koureb, si vous savez où sont ces trésors que j’étais chargé de garder, de concert avec Hassan, je n’ai plus rien à vous apprendre.
– Tu te trompes, dit Nadir.
Koureb le regarda étonné.
– Il faut que tu nous aides à les enlever de l’endroit où ils sont.
Koureb sentit renaître ses défiances.
– Si je te demandais un serment, maître, dit-il à Nadir, me le ferais-tu ?
– Parle.
– Si je te priais d’étendre la main sur la statue de notre dieu qui est là…
– Je suis prêt, dit Nadir.
– Et de me jurer que cet homme avait bien en sa possession l’anneau d’Osmany.
– Par le dieu Sivah, je te le jure.
Koureb parut soulagé d’un poids immense.
– Alors, dit-il, ordonne, je suis prêt à obéir.
– Je veux, reprit Nadir, enlever les trésors. Hassan est fou. Tippo veille, et finira par les découvrir.
– Il est facile de leur faire reprendre le chemin qu’ils ont déjà parcouru.
– Oui, répondit Nadir, mais quand ?
– La nuit prochaine.
– Et d’ici là la porte de fer restera ouverte ?
– Mais comment avez-vous pu l’ouvrir ?
Nadir raconta à Koureb ce qui s’était passé.
– Je ne sais pas le secret d’Hassan, dit-il, et si la porte se refermait, je ne pourrais l’ouvrir. Mais je sais ouvrir la mienne.
– Comment, la tienne ?
– Sans doute. Vous avez fait jouer un verrou à l’intérieur de la cachette, n’est-ce pas ?
– Oui.
– Eh bien ! je puis, de l’intérieur du corridor souterrain, faire mouvoir ce verrou et ouvrir la seconde porte.
– Viens avec nous, alors, dit Nadir.
Et il souleva la dalle en glissant entre elle et sa voisine la lame de son poignard.
Tous trois nous descendîmes l’un après l’autre dans la chambre qui se trouvait au-dessous de la pagode. Puis, suivant la corde qui était demeurée à terre, nous reprîmes le chemin que nous avions suivi, en passant, de nouveau sous le bassin de carénage et entendant mugir la mer au-dessus de nos têtes.
Nous revînmes ainsi dans le premier boyau souterrain, et nous regagnâmes cette cachette aux trésors dont nous avions laissé les deux portes ouvertes.
Koureb nous dit alors :
– Je vais rester dans le souterrain. Fermez la porte sur vous.
Nadir fit ce qu’il demandait et tira le verrou, mettant ainsi entre lui et nous l’épaisseur de cette porte.
Nous entendîmes alors un peu de bruit.
C’était la main de Koureb se promenant sur la surface extérieure de cette porte et cherchant sans doute un ressort invisible.
Tout-à coup, le verrou courut de lui-même dans la gâche et la porte se rouvrit.
– Vous voyez, dit Koureb.
– C’est bien, répliqua Nadir. Maintenant viens avec nous.
Koureb entra dans la cachette, et la porte du souterrain fut refermée pour la seconde fois.
Puis nous entrâmes dans la cave où nous avions laissé Hassan.
Hassan s’était endormi, ivre d’opium.
– Nous pouvons maintenant, dit Nadir, laisser-retomber cette porte.
Et il poussa celle qu’Hassan avait ouverte et qui se referma tout seule.
Puis il replaça la pierre qui cachait la serrure.
Et enfin il nous dit, car Koureb était resté avec nous :
– Hassan est fou, il faut se défier des fous.
– Qu’allons-nous faire de lui ? demandai-je.
– Nous allons l’emmener d’ici, me répondit-il.
– Mais il dort.
– Nous l’emporterons dans un palanquin.
Et il le prit à bras-le-corps et nous le remontâmes dans la maison.
Puis, comme Nadir ne voulait pas me quitter, il envoya Koureb chercher un palanquin, ces sortes de véhicules étant aussi communs à Calcutta que les cabs dans les rues de Londres.