XLI

Il y eut entre Tippo-Runo et la Belle Jardinière un moment de silence.

Tous deux s’observaient, et chacun d’eux, sans doute, se disait : « Serai-je le plus fort ? »

Enfin Tippo-Runo reprit :

– Ainsi, chère belle, je suis un aventurier !

– On le dit, du moins.

– Et je dévore quelques poignées d’or péniblement amassées, continua-t-il d’un ton moqueur.

Cependant, je vous l’ai dit, il n’est pas un grand seigneur de Paris ou de Londres qui ait autant d’or que moi.

– C’est possible, mais votre parole ne me suffit pas.

– Vous voulez voir mon or ?

– Oui.

– Prenez garde !

– À quoi donc, s’il vous plaît ?

– À une chose bien simple, comme vous allez voir. Je crains les voleurs.

– C’est votre droit.

– Jusqu’à présent un seul homme est dans la confidence du lieu où j’ai caché mon trésor.

– Puisque vous avez un confident, dit-elle d’un ton railleur, vous pouvez fort bien en avoir deux.

– Ce confident, poursuivit Tippo-Runo, est devenu mon esclave. J’ai sur lui droit de vie et de mort. Cette situation-là vous conviendrait-elle ?

– Si j’ai les trésors à ma disposition, oui.

– Mais, chère belle, reprit Tippo-Runo avec calme, il faut d’abord que je vous dise comment cet homme est devenu une chose que je puis briser comme un jouet.

– Je vous écoute.

Et la Belle Jardinière attendit, calme et souriante, la confidence de son terrible adorateur.

– L’homme dont je vous parle a commis un crime qui peut le conduire à l’échafaud. J’ai la preuve de son crime.

– Ah !

– Si cet homme me trahissait, sa tête tomberait. Un mot adressé à l’attorney général suffirait pour cela.

– Bon ! dit Roumia, je comprends.

– Vous, au contraire, dit Tippo-Runo, vous n’avez sans doute jamais commis de crime.

– Qu’en savez-vous ?

– En eussiez-vous commis, je n’en aurais pas la preuve.

– Et cette preuve, si je vous la donnais ?

Elle parlait résolument, et Tippo-Runo tressaillit.

– Mais non, reprit-elle, tout cela est parfaitement inutile. Vous me faites, d’ailleurs, des contes à dormir debout. Ce qu’on m’a dit de vous est la vérité… et je vais vous parler franchement.

– Voyons, dit froidement Tippo-Runo.

– L’homme qui est venu ici cette nuit a une fortune au grand soleil. Je le trouve, suffisamment riche et je tiens pour sage que le connu doit toujours être préféré à l’inconnu.

Ceci posé, Gaston, – il se nomme ainsi, – est un fort beau cavalier, un homme de cœur et un galant homme.

Je ne l’aimais pas hier, mais le coup de poignard qu’il m’a donné m’a réconciliée avec lui. La femme aime qui elle craint.

J’ai donc l’intention de vous serrer cordialement la main quand j’aurai dormi quelques heures, car je dois être affreuse ce matin, et de vous dire un au revoir qui ne sera qu’un adieu déguisé.

Tippo ne sourcilla pas.

– Et si je vous montrais mon trésor ?

– Voilà précisément ce dont je vous défie.

– Eh bien ! le défi est accepté.

– Sans conditions ?

– Ah ! pardon, dit Tippo-Runo ; une fois que vous saurez où est mon or, vous ne me quitterez plus.

– Puiserai-je à même ?

– Naturellement.

– J’accepte. Et, dit Roumia en souriant, comme je ne suppose pas que vos trésors soient enterrés ici, partons ?

– Ah ! pas tout de suite, fit-il.

– Encore une défaite ?

– Non, mais il faut que je prenne mes précautions.

– Contre qui ?

– Contre vous.

Sur ces mots, Tippo sonna.

Un des deux domestiques parut.

Celui-là était le même qui s’était embarqué avec lui à Calcutta.

Nature passive, obéissante, cet homme, qui était un Anglo-Indien, était dévoué corps et âme à Tippo-Runo.

Si Tippo lui avait commandé de mettre, en plein jour, le feu à la ville de Londres, il l’eût fait sans hésiter.

Il se nommait Neptuno.

– Neptuno, lui dit Tippo en lui montrant la Belle Jardinière, tu vois madame ?

– Oui, maître.

– Tu vas demeurer auprès d’elle jusqu’à ce que je revienne.

– Oui, maître.

– Non pas dans cette chambre, mais dans le couloir qui se trouve là.

L’Anglo-Indien s’inclina.

– Si elle fait mine de sortir, tu la tueras, ajouta Tippo-Runo avec calme.

Et il lui remit le poignard qu’il avait à la main.

– Maintenant, madame, ajouta Tippo-Runo en se tournant vers la Belle Jardinière, prenez patience quelques heures seulement.

– Jusqu’à quand ? demanda-t-elle.

– Jusqu’à ce soir.

– Ah !

– À la nuit, je viendrai vous prendre.

– En voiture ?

– Non, dans une barque.

– Et d’ici là ?…

– Neptuno est une brute qui ne connaît que moi et exécute mes ordres avec une aveugle obéissance. Je lui ai commandé de vous tuer, si vous tentiez de vous échapper. Il le fera, le cas échéant. Vous voilà avertie… Adieu, madame.

– Monsieur, dit Roumia, le retenant d’un geste, j’accepte tout cela, mais à une condition cependant.

– Laquelle ?

– Cet homme demeurera dehors.

– Soit.

– Vous pensez bien que je n’ai nulle envie de sauter par la fenêtre.

– Cela doit être, répondit Tippo-Runo, car elle est à quinze pieds du sol, et vous vous tueriez certainement.

Et sur ces mots, il sortit.

* *

*

Roumia demeura seule.

Neptuno était dans le couloir son poignard à la main, mais il ne pouvait voir ce qui se passait dans la chambre.

Or, Roumia, une heure après le départ de Tippo-Runo, caressait une jolie colombe blanche parfaitement apprivoisée, et qu’elle avait achetée, disait-elle, à un oiseleur de Londres.

La colombe voletait par la chambre, se posait çà et là sur les meubles, sur les dressoirs et sur le dossier du lit.

Roumia s’assit alors devant un guéridon, et écrivit le billet suivant :

« Surveillez la maison. Ce soir, Tippo m’emmène dans une barque. Suivez cette barque ; nous sommes sur la trace. »

Ce billet écrit, elle le plia menu et le glissa sous le ruban qui servait de collerette à la colombe.

Puis elle ouvrit la fenêtre, et la colombe s’envola.

– Voilà, murmura la Belle Jardinière avec un sourire, une combinaison que cet imbécile de Tippo-Runo n’avait point prévue.

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