Marmouset hésita cependant un moment.
Pourquoi l’Irlandaise qui l’avait conduit jusque là s’en retournait-elle précipitamment ?
Un soupçon traversa même son esprit.
Ne pouvait-il se faire que l’Irlandaise ne fût pas la femme que lui avait annoncée Rocambole mais bien un émissaire de sir Edwards Linton ?
Cette supposition, qu’il accueillit l’espace de quelques secondes, lui parut absurde.
– Allons ! se dit-il, quoi qu’il arrive, en avant !
Et il introduisit la clé qu’on venait de lui remettre dans la serrure de la petite porte.
La clé tourna, la porte s’ouvrit et Marmouset se trouva dans le jardin.
La lumière brillait toujours dans le lointain au premier étage de la maison.
Lueur discrète, mystérieuse, qui annonçait le rendez-vous.
Marmouset caressa le manche de son revolver et, refermant la porte, il se mit résolument en marche.
Une allée d’arbres conduisait directement de la porte du jardin au perron.
Quand il toucha la première marche, Marmouset, qui ne quittait pas des yeux cette lumière qui lui avait servi de guide, frappa trois coups dans sa main.
Tout aussitôt, la lumière changea de place ; et passa d’une croisée à l’autre.
Alors Marmouset monta les marches du perron, et, en même temps, la porte de la maison s’ouvrit.
Un corridor plongé dans l’obscurité se présenta alors à notre héros.
Mais une voix de femme se fit entendre disant :
– Par ici, monsieur, par ici.
Marmouset avait reconnu la voix de Roumia et il entra dans le corridor.
Tout aussitôt une main prit la sienne et la voix dit encore :
– Venez, suivez-moi.
Marmouset se laissa entraîner dans les ténèbres.
C’était bien la Belle Jardinière qui le conduisait par la main.
Au bout du corridor, ils trouvèrent un escalier dont les marches étaient couvertes d’un épais tapis.
Mais, comme si cette précaution n’eût pas suffi, Roumia dit tout bas :
– Marchez sur la pointe du pied.
– Nous ne sommes donc pas seuls ici ?
– Non, le major est là-haut.
– Dans la pièce où j’ai vu une lumière ?
– Oui.
Marmouset observa la recommandation.
Ils arrivèrent au premier repos de l’escalier et la Belle Jardinière poussa une porte sur sa gauche.
Marmouset se trouva dans une petite salle également plongée dans les ténèbres, mais au milieu de laquelle brillait un point lumineux de la largeur, d’une pièce de vingt francs.
C’était un trou pratiqué dans le mur ; et, par ce trou, passait un rayon de cette lampe que Marmouset avait-aperçue d’en bas.
– Collez votre œil à ce judas et regardez, dit Roumia.
Marmouset obéit.
Il put voir alors, de l’autre côté du mur, une sorte de large ottomane en cuir couleur noisette sur laquelle un homme était étendu de tout son long.
Cet homme dormait, les vêtements en désordre, son gilet blanc souillé de quelques taches de vin.
Auprès de l’ottomane une table supportait deux couverts, les restes d’un plantureux souper et un certain, nombre de flacons vides.
– Il dort, dit Roumia.
Marmouset se pencha vers elle :
– Grâce, sans doute, à quelqu’un de ces parfums mystérieux que vous aimez à employer ?
– Non, il est ivre.
– D’opium ?
– De vin.
S’ils n’eussent été dans les ténèbres, bien certainement-Roumia aurait vu glisser un sourire dédaigneux sur les lèvres de Marmouset.
Il semblait à celui-ci que la Belle Jardinière se relâchait sensiblement de ses excentriques habitudes pour recourir à des moyens, tout à fait vulgaires.
Mais elle devina sans doute sa pensée :
– Cela vous étonne ? dit-elle.
– Sans doute.
– C’est que le major Linton n’est pas le marquis de Maurevers.
Elle prononça ce nom d’une voix sourde qui apprit à Marmouset que, si elle était devenue l’esclave de Rocambole, elle n’avait cependant point renoncé à sa haine pour le meurtrier de Perdito.
Et comme Marmouset ne répondait pas, elle reprit :
– Le major a vécu dans l’Inde trop longtemps pour n’en pas savoir aussi long que moi sur les parfums, les narcotiques et les poisons. C’est par mes charmes seulement que je dois opérer et lui arracher son secret.
– Ah ! il a un secret ?
– Sans doute.
Puis étonnée de cette question, Roumia dit encore :
– Le maître ne vous a donc rien dit ?
– Il m’a dit qu’on me conduirait ici.
– Et puis ?
– Et puis que je vous trouverais…
– Alors écoutez, dit Roumia. Le major a apporté une fortune immense de l’Inde.
– Je sais cela.
– Cette fortune, le maître la veut.
– Je le sais encore.
– Mais où est-elle ? Voilà ce que nous ne savons pas.
– Il vous sera facile de le savoir.
– Non, poursuivit Roumia, le major est défiant. Il a enfoui ses trésors. Où ? Personne à Londres ne le sait. Il est fou de moi, et pourtant je n’ai pu obtenir la moindre confidence à ce sujet.
– Il n’a pourtant pas gardé son or en lingots, dit Marmouset.
– Au contraire. Seulement où l’a-t-il enterré ? Voilà ce que nous cherchons à savoir, le maître et moi.
– Mais puisque le major vous aime…
– Il m’aime parce que je suis belle ; mais son amour jusqu’à présent ressemble à la satisfaction de l’homme qui a payé un prix fou un cheval de race. Son cœur n’y est encore pour rien.
– Eh bien ?
– S’il était jaloux, il m’appartiendrait, continua Roumia.
– Ah ! vous croyez ? Cependant il vous montre dans Londres ?
– Oui, certes.
– On vous admire…
– Il en est flatté, mais voilà tout.
– Et vous croyez qu’il peut devenir jaloux ?
– J’en suis sûre.
– Comment ?
– Si vous jouez le rôle que le Maître vous a destiné.
– Je suis prêt, dit Marmouset.
– Alors, écoutez-moi.
Et la Belle Jardinière fit asseoir Marmouset auprès d’elle, sur un canapé, à deux pas de ce trou par lequel on apercevait le major endormi.