XLIV

Dom Jérôme était dans sa cellule, au moment où Benoît le bossu se pendit à la cloche du couvent.

Dom Jérôme ne s’était pas couché la veille au soir, après sa prière, comme il avait coutume de le faire.

Il avait attendu, agenouillé sur la dalle glacée de sa cellule, l’heure des « Matines ».

L’heure des « Matines » était venue.

Alors dom Jérôme était descendu à la chapelle. Puis, les « Matines » chantées, il avait regagné sa cellule.

Les premières clartés de l’aube glissaient indécises dans le ciel.

Comment Dagobert ne revenait-il pas ?

Pour faire trêve à son inquiétude, espérant plus que jamais que l’évêque ne refuserait pas ce qu’il lui demandait, dom Jérôme avait fait alors ses préparatifs de départ.

Et, comme il étalait ses vêtements sur sa couche de moine, la cloche de la porte d’entrée se fit entendre enfin.

– Ah ! dit dom Jérôme, voici Dagobert !

Et il eut un battement de cœur sous sa robe de moine, et il redressa la tête comme s’il eût eu vingt ans encore. Peu après, des pas retentirent dans le corridor.

Dom Jérôme courut à la porte de sa cellule et l’ouvrit.

Hélas ! ce n’était pas Dagobert. C’était le frère portier qui venait dire à dom Jérôme que Benoît le bossu insistait pour entrer.

Dom Jérôme fronça le sourcil.

Bien que les moines vécussent familièrement avec les paysans du voisinage, ceux-ci ne pénétraient que rarement et pour des motifs fort sérieux dans l’intérieur du monastère.

Dagobert seul jouissait du singulier privilège d’y venir à toute heure.

Mais dom Jérôme pensa que si Benoît se présentait c’est qu’il venait de la part de Dagobert, et il donna l’ordre au frère portier de l’introduire sur-le-champ.

Benoît entra, le visage bouleversé, la sueur au front.

Dom Jérôme devina un malheur.

– Où est Dagobert ? dit-il.

– Je ne sais pas, répondit Benoît ; il est mort, peut-être.

– Mort !

– Oui, les misérables l’ont pris dans un collet à chevreuil. Qu’en ont-ils fait ? je l’ignore… C’est pour cela que je viens.

– Mais de quels misérables parles-tu ? s’écria dom Jérôme.

– Le chevalier de Valognes… l’ami du comte des Mazures.

Ce dernier nom fut toute une révélation pour dom Jérôme, qui fit brusquement un saut en arrière.

Benoît continua :

– C’est Mlle Aurore qui m’envoie.

– Qu’est-ce que Mlle Aurore ?

– La demoiselle du château de Billardière.

Et comme dom Jérôme paraissait ne pas savoir ce que c’était que Mlle Aurore, Benoît ajouta :

– Elle m’a dit : « Cours au couvent, supplie dom Jérôme de te suivre et dis-lui que la fille de Gretchen a besoin de lui. »

– La fille de Gretchen ! exclama le pauvre abbé qui devint tout tremblant. Elle a dit cela ?

– Oui, répondit Benoît.

– Et où est-elle, cette demoiselle ?

– À la forge.

Dom Jérôme n’en entendit pas davantage et s’élança hors de sa cellule.

Les moines répandus dans les corridors demeurèrent stupéfaits en le voyant passer, tant ce visage austère et plein de sérénité d’ordinaire était flamboyant et bouleversé. En cinq minutes, sur les pas de Benoît, dom Jérôme eut traversé les salles, le préau et la cour extérieure du couvent.

Il entra dans la forge et vit Aurore qui tenait Jeanne dans ses bras et essuyait avec ses baisers les larmes de la jeune fille.

À la vue du vieux moine, Aurore se leva et vint à lui.

– Mon père, dit-elle, je suis la seconde fille de Gretchen, je suis la sœur de cette enfant.

Aurore ne ressemblait pas, comme Jeanne, à Gretchen ; mais elle avait sa voix, et cette voix fit revivre le passé tout entier dans l’âme de dom Jérôme.

– Oui, dit-il, vous devez être sa fille, car vous avez sa voix…

Aurore reprit :

– Mon père, hier Jeanne n’avait d’autres protecteurs que Dagobert et vous, et elle a couru un grand danger, car on a voulu l’enlever cette nuit.

Dom Jérôme frissonna.

– Je l’ai sauvée, reprit Aurore, et désormais je veillerai sur elle comme une mère sur son enfant. Mais Dagobert est aux mains de nos ennemis, et il faut que j’aille le délivrer. C’est pour cela, mon père, que je vous ai prié de venir.

Quand je ne serai plus là, les misérables qui ont juré la perte de ma sœur, reviendront peut-être…

– Oh ! fit dom Jérôme, ne craignez rien. Je veillerai.

Et il fit un signe à Benoît qui s’était respectueusement tenu à l’écart.

Benoît s’approcha.

– Retourne au couvent, lui dit dom Jérôme, et ramène-moi le frère-portier et l’économe.

Benoît obéit. Cinq minutes après, dom Jérôme avait placé les deux moines en sentinelle à la porte de la forge.

Alors le bossu alla chercher dans l’écurie le cheval de la jeune comtesse ; elle sauta lestement en selle.

– Nous allons prendre au plus court, mademoiselle, dit Benoît le bossu, et, mort ou vivant, nous retrouverons Dagobert !

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