XLV

Maintenant, qu’était devenu Dagobert que nous avons laissé aux mains des deux serviteurs du chevalier Michel de Valognes ?

Dagobert avait eu le même sort que Benoît le bossu tout d’abord.

On l’avait descendu dans la cave, et là, le valet de chambre et le jardinier garde-chasse qu’on appelait Badinier s’étaient donné le plaisir, après avoir constaté la disparition de Benoît, de battre le forgeron de coups de pieds et de coups de poing.

Dagobert était garrotté ; de plus, il avait un bâillon dans la bouche.

Il ne pouvait donc ni se défendre, ni crier ; mais son œil parlait et protestait pour lui, et le regard qu’il leva sur les deux misérables semblait leur promettre un châtiment terrible, si jamais il recouvrait sa liberté.

Au bout d’une heure, le souci de leur prisonnier reprit les domestiques du chevalier.

– Si tu allais voir ? dit Jean.

– Volontiers, répondit Badinier qui prit à son tour la lanterne, et quitta la cuisine.

Jean profita de ce moment de répit pour tirer une pipe de sa poche, la charger et l’allumer à l’aide d’un tison. Cinq minutes après, Badinier revint.

– Est-ce qu’il crie toujours ? demanda Jean.

– Toujours. Il a le visage couvert d’écume.

Badinier était un peu pâle en parlant ainsi.

– Qu’est-ce que tu as donc ? demanda le valet de chambre.

– J’ai peur.

– Et de quoi donc ?

– Peur de cet homme. Sais-tu que si jamais, il nous échappe, il se vengera !

– Bah ! nous le tuerons.

– Mais nous ne le tiendrons pas toujours. Si tu savais comme il m’a regardé !

Jean haussa les épaules.

– Nous sommes grands et forts tous deux, poursuivit Badinier, mais il nous assommerait en deux coups de poing. Et puis…

– Et puis, quoi ?

– Et puis, reprit Badinier, j’aimerais autant que nous n’eussions pas exécuté les ordres du chevalier.

– Pourquoi donc ?

– Nous tombions d’accord tout à l’heure que M. le chevalier ne valait pas cher, hein ?

– Je ne dis pas non.

– Eh bien ! c’est l’opinion de tout le pays. On le craint et on le déteste rudement. Quelque jour, on mettra le feu ici.

– Bah !

– Et comme l’on ne nous aime pas plus que lui, on nous fera un mauvais parti.

– Nous n’y sommes pas encore, heureusement.

– Hé ! qui sait ? fit le jardinier. Est-ce que Benoît ne s’est pas sauvé ?

– Oui. Eh bien ?

– Qui nous dit qu’il n’a pas couru à Ingrannes ou à Sully et qu’il ne s’est pas mis à crier contre nous ? Ils ne sont pas bons les gens de par là… et s’ils savaient que Dagobert est ici, ils viendraient le délivrer.

Jean fronça le sourcil. La terreur de Badinier le gagnait peu à peu.

– Ma foi ! dit-il, nous ferions bien de nous débarrasser de Dagobert.

– Comment ?

– C’est facile. Tu vas voir.

– J’écoute.

– Je prends le couteau et je descends dans la cave.

– Bon. Après ?

– Je pose la lanterne par terre, de façon qu’elle éclaire bien notre homme, et je remonte.

– Tu me tiens la trappe ouverte ; je prends mon fusil, et je lui envoie une balle dans la tête.

– Silence ! dit tout à coup Jean le valet de chambre.

– Hein ! qu’est-ce qu’il y a ?

– J’entends le galop d’un cheval.

– Bah ! c’est peut-être M. le chevalier qui revient… Eh bien ! je te fais un pari, c’est que mon idée ne lui déplaira pas…

– C’est bien possible.

Badinier alla ouvrir la porte extérieure du manoir.

– C’est ma foi vrai ! dit-il, on entend le galop d’un cheval.

Et tous deux prêtèrent l’oreille, et attendirent.

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