XXVI

Qu’était devenu Benoît le bossu ?

Badinier le jardinier et le valet de chambre le cherchèrent vainement dans tout le château, après s’être bien assurés qu’il n’était pas dans la cave.

Il avait l’usage de ses jambes, mais il n’avait pas celui de ses bras ; et ses bras lui étaient peut-être encore plus nécessaires pour tenter une évasion.

Ses yeux furent attirés par deux points lumineux.

Ces deux points, semblables à des étoiles qui se détacheraient d’un ciel couleur d’encre, se prirent à voltiger, à bondir, à raser le sol ou à passer au niveau de son visage.

Quelques rats crièrent ; puis le silence se fit, et les deux points lumineux s’arrêtèrent, et il sembla à Benoît qu’ils étaient fixés sur lui.

Dès lors, il sut à qui il avait affaire.

C’était un chat qui s’était introduit dans la cave.

Ce chat venait de délivrer Benoît.

Il se tenait tout au haut de l’échelle, de telle façon que Benoît aurait pu croire qu’il était suspendu à la voûte de la cave.

L’arrivée de cet auxiliaire inattendu avait rendu à Benoît toute sa présence d’esprit. Il comprit que le chat était au haut de l’échelle.

Et alors il eut une idée sublime.

À force de tâtonner, il toucha l’échelle et posa le pied sur la première marche.

Le chat disparut.

Sans doute, l’animal, se croyant poursuivi avait fui par quelque fissure de la voûte, par quelque trou que l’obscurité empêchait Benoît de découvrir. Benoît continua à monter.

Soudain sa tête rencontra un obstacle.

C’était la trappe de la cave.

En même temps une bouffée d’air frais le frappa au visage.

Alors, Benoît comprit que la trappe avait une échancrure, une « chatière », comme l’on dit.

Et, se servant de sa tête comme d’un levier, il essaya de soulever la trappe.

La trappe ne fermait la cave que par son propre poids.

La trappe était lourde, mais l’amour de la liberté décuplait les forces de Benoît qui s’arcboutait sur ses jambes et montait à mesure qu’il la soulevait.

La trappe, en se soulevant toujours, se rejeta en arrière.

Alors Benoît mit le pied sur le dernier échelon et du dernier échelon dans le vestibule. Mais il ne suffisait pas pour lui d’être hors de la cave, il fallait sortir du vestibule. Et comme Benoît avait toujours les mains liées derrière le dos, il ne pouvait en faire usage.

Il aperçut d’abord quelque chose noir sous la porte, et, l’ayant touché du pied, il reconnut que c’était la clé.

S’étant éloigné de la trappe et ayant appuyé à gauche, il se heurta à une autre porte qui était entrebâillée et qui céda.

Alors, un flot de clarté blanche frappa Benoît au visage.

Il était au seuil de la cuisine que la lune éclairait en plein, car la fenêtre n’avait pas de volets, mais simplement un treillis de barreaux de fer.

Le bossu put, grâce à cette lumière, voir distinctement les objets qui l’environnaient. Il aperçut la cheminée, et une nouvelle idée lui vint.

On était en hiver, et certainement la cuisinière avait dû, avant de se coucher, enterrer le feu sous les cendres.

Benoît s’en approcha, et, avec son pied, il eut bientôt mis à découvert un tison encore rouge.

Auprès de la cheminée, il y avait un amas de broussailles et deux javelles destinées sans doute à chauffer le lendemain la soupe matinale du jardinier.

Benoît poussa avec le pied la broussaille et les javelles sur le tison.

Puis, se mettant à genoux, il fit un soufflet de sa bouche.

Il arracha au tison une gerbe d’étincelles. Bientôt la broussaille prit feu, et une flamme élevée s’en dégagea.

Alors Benoît se redressa, et avec un courage digne d’un fils de Lacédémone, il tourna le dos au feu, de manière à exposer à l’action de la flamme la corde qui serrait ses poignets.

Il se brûla les mains, les manches de sa blouse prirent feu, mais la corde aussi, et quelques instants elle fut assez brûlée pour craquer et se briser sous l’effort suprême que fit Benoît.

Il était libre !

Alors il courut à l’évier et plongea ses mains brûlées dans un baquet d’eau froide.

Ce bain calma la douleur qu’il ressentait.

Il y avait un placard dans la cuisine. Benoît l’ouvrit, y prit une burette d’huile et la versa sur ses mains. C’était encore un moyen d’adoucir les brûlures.

Alors Benoît ne songea plus qu’à fuir.

Il retourna dans le vestibule, referma la cave en laissant retomber la trappe, puis il s’empara de la clé et ouvrit la porte.

Benoît referma la porte, glissa la clé dessous et prit sa course vers la forêt.

Si le chevalier connaissait les raccourcis, Benoît les connaissait mieux encore.

Il se jeta à travers bois, et bondissant avec rapidité, il prit le chemin du carrefour où le collet était tendu.

Seulement il devait arriver trop tard.

Il avait pris le chemin le plus court ; mais pendant qu’il travaillait à sa délivrance, les vieux serviteurs du chevalier s’étaient emparés de Dagobert, comme on a pu le voir.

Or, pour revenir au château, ils avaient été obligés de suivre des sentiers plus frayés que ceux que Benoît suivait en sens inverse.

Ce qui fit que Benoît et les geôliers de Dagobert ne se rencontrèrent pas.

Benoît arriva à l’endroit où le collet avait été tendu.

À l’inspection de la branche d’arbre qui s’était relevée, il comprit que Dagobert s’était pris dans le collet ; mais comme le collet était brisé, il en conclut que le forgeron, avec sa force herculéenne, était parvenu à se dégager, et qu’il avait continué son chemin.

Alors Benoît n’hésita pas, et il reprit en courant le chemin de la Cour-Dieu.

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