XXXI

Le chevalier continua :

– On m’a dit le nom de cet homme : il s’appelle le père Jacob. Tu le ramèneras le plus tôt possible, et tu lui assureras qu’il sera bien payé.

– Oui, monsieur, dit Benjamin.

Et il quitta la chambre du chevalier et regagna sur la pointe du pied celle d’Aurore. La jeune fille pleurait toujours.

– Ma bonne, ma chère maîtresse, dit le vieillard, essuyez vos larmes et prenez un peu de repos. Le prétexte que je devais chercher pour aller à la Cour-Dieu est inutile. Votre père m’envoie à Ingrannes.

– Vrai ! fit Aurore en se redressant et regardant Benjamin.

– Et je pars sur-le-champ.

En effet, quelques minutes après, Benjamin était à cheval.

Enfin, au bout de deux heures de marche pendant lesquelles il avait presque constamment trotté, il atteignit la route provinciale de Pithiviers, laquelle, comme l’on sait, passait devant la forge de Dagobert. Quand il fut là, il mit son cheval au galop.

Puis, au lieu de s’arrêter à la forge et de prendre le chemin d’Ingrannes, qui était perpendiculaire à celui de Pithiviers, il fit une centaine de pas sur cette dernière route.

De cette façon, il devenait tout naturel qu’il parût se tromper et revint demander s’il était bien sur la route d’Ingrannes.

Dagobert n’était pas dans sa forge ; il travaillait à l’intérieur du couvent.

Cependant la forge était ouverte.

Et, en passant, le vieux Benjamin aperçut Jeanne assise sur le seuil.

C’était précisément le lendemain de ce jour où le forgeron avait si rudement éconduit le comte Lucien des Mazures.

Benjamin passa comme l’éclair.

Mais il eut le temps de voir Jeanne, et il sentit tout son sang affluer à son cœur.

Avec ses cheveux blonds, son attitude rêveuse et triste, la jeune fille lui avait sur-le-champ rappelé la pauvre Gretchen.

Au bout de cent pas, il fit donc volte-face et revint précipitamment vers la forge. Là, il s’arrêta net et dit :

– Hé ! ma belle enfant… un mot, je vous prie.

Jeanne se leva et s’approcha en disant :

– Que désirez-vous, monsieur ?

Benjamin avait jugé d’un coup d’œil que Jeanne était seule.

– Ma belle enfant, dit-il d’une voix émue et en essayant d’apaiser les battements de son cœur, suis-je bien sur le chemin d’Ingrannes ?

Et en faisant cette question, il disait :

– C’est la vivante image de Gretchen ! Quelle autre que sa fille lui pourrait donc ressembler ainsi ?

– Non, monsieur, répondit Jeanne, vous vous trompiez tout à l’heure, et vous seriez allé droit à Pithiviers.

– Alors, le chemin d’Ingrannes, c’est celui-ci ?

– Oui, monsieur.

– Est-ce bien loin ?

– Non tout près.

C’est bien celle que nous cherchons, c’est bien la fille de Gretchen que je viens de retrouver, se dit Benjamin.

Et Benjamin éperonnait son cheval et galopait comme un jeune homme, tant il avait hâte d’être de retour à la Billardière et de revoir la comtesse Aurore.

Il arriva à Ingrannes et se fit indiquer la maison du rebouteux.

Le rebouteux lui promit de se rendre au château sur-le-champ.

Alors Benjamin repartit au galop en lui disant :

– Mon pauvre maître souffre si cruellement que lorsque je lui apprendrai que vous me suivez, il éprouvera un peu de soulagement.

Benjamin était parti au petit jour, et il n’était pas midi lorsqu’il fut de retour à la Billardière. Aurore était à sa fenêtre.

Quand elle vit Benjamin entrer dans la cour, elle courut à sa rencontre.

Benjamin ne prononça que deux mots, mais ces deux mots montèrent de son cœur à ses lèvres comme un ouragan de joie :

– « C’est elle ! »

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