LX

La citoyenne Antonia avait vu Bibi une seule fois, le jour où il était venu, de la part du citoyen X…, prendre ses instructions. Mais elle le reconnut parfaitement.

Cet homme avait arrêté Aurore. Qu’avait-elle à craindre de lui, elle qui l’avait généreusement payé ? Et cependant, elle éprouva une vague inquiétude, laquelle s’augmentait encore de la présence de Polyte.

– Je vois que vous ne me reconnaissez pas, citoyenne, dit Bibi.

– Parfaitement, répondit-elle. C’est vous qui êtes l’homme de police.

Bibi s’inclina.

– Pourquoi venez-vous à pareille heure ? demanda Antonia toujours émue.

Elle s’était réfugiée derrière les rideaux de son alcôve et elle passait à la hâte une robe de chambre.

– Madame répondit Bibi, je pensais bien que vous ne dormiez pas.

– Et vous… venez… de la part du citoyen X…

– Oui et non.

– Que voulez-vous dire ?

Et Antonia écarta les rideaux et se montra debout et enveloppée dans les plis d’une robe de couleur écarlate.

– Cela vous va bien ! dit Bibi.

– Insolent ! murmura Antonia stupéfaite de cette familiarité.

– Quand je vous dis, poursuivit Bibi sans se déconcerter, que je vous apporte des nouvelles du citoyen X…, je ne mens pas. Je l’ai vu aujourd’hui.

– Ah !

– Il ne viendra pas. Il soupe avec Robespierre.

– Et il vous envoie me le dire ?

– Non, dit sèchement Bibi.

– Alors, que venez-vous faire ici ?

– Causer un brin avec vous.

– Et… cet homme ?

Et Antonia montra Polyte qui se tenait immobile et muet devant la porte.

– Je vois que vous ne me reconnaissez pas non plus, citoyenne, dit Polyte.

– Parfaitement, dit-elle.

– C’est moi qui ai sauvé la demoiselle hier matin en disant qu’elle était enceinte, poursuivit Polyte avec non moins de sang-froid que Bibi.

– Misérable !

– Pas de gros mots, citoyenne, dit Bibi.

– Mais que me voulez-vous donc ? s’écria Antonia dont l’inquiétude augmentait visiblement.

– Si vous voulez bien nous écouter, vous le saurez.

– Où est ma femme de chambre ?

Et Antonia allongea la main vers un cordon de sonnette.

– Oh ! ce n’est pas la peine, dit Bibi ; elle ne montera pas.

Nous avons là-bas un troisième compagnon, répéta-t-il, faisant allusion à Benoît, qui la tient en respect et lui planterait son couteau dans la poitrine si elle essayait de crier. Antonia frissonnante, voulut jeter un cri.

Bibi prit un pistolet à sa ceinture.

– Si vous appelez, dit-il, je vous tue !

Devant, cette menace de mort, Antonia demeura muette.

Alors Bibi s’approcha d’elle :

– Nous ne voulons pas faire de bruit, dit-il, et si vous êtes raisonnable, il ne vous arrivera aucun mal.

– Nous sommes de bonnes gens, ajouta Polyte d’un ton railleur.

Antonia savait Polyte capable de tout. En outre, elle ne se faisait pas d’illusions sur les gens de police, lesquels, avait-elle entendu dire, se recrutaient parmi les voleurs la plupart du temps.

– Ces gens-là, pensa-t-elle, viennent pour me dévaliser.

Aussi, regardant Bibi :

– C’est de l’argent que vous voulez ? dit-elle.

– Non, répondit Bibi.

– Alors que voulez-vous ?

– Vous prier d’écrire une lettre.

– À qui ?

– Au citoyen X…

Antonia le regardait avec stupeur.

– Une petite lettre que je vais vous dicter.

Et Bibi tira sa montre, ajoutant :

– Citoyenne, il est minuit et demi ; je vous donne cinq minutes de réflexion.

– Mais que voulez-vous donc que j’écrive ?

Et Antonia regardait, éperdue, ces deux hommes qui tenaient sa vie entre leurs mains.

Bibi lui désigna du doigt une table qui se trouvait dans un coin de la chambre à coucher.

Il y avait sur cette table du papier, des plumes et de l’encre.

– Asseyez-vous là, dit l’homme de police, et écrivez.

Antonia résistait encore.

– Vous n’avez plus que trois minutes, dit-il.

Et il jouait négligemment avec la batterie de son pistolet :

– Mais que voulez-vous donc que j’écrive ? répéta Antonia.

– Vous allez bien voir, dit Bibi.

Son sang-froid avait quelque chose de si menaçant, son regard exerçait une fascination si étrange, que la citoyenne Antonia se sentait dominée complètement.

Elle s’assit donc devant la table, prit la plume et attendit.

Alors Bibi vint s’appuyer sur le dossier de la chaise, prit une pose pleine d’insouciance, un ton léger et quelque peu railleur, et dit :

– Ce pauvre citoyen X… vous l’avez laissé dans un état d’exaspération très grande, madame.

Antonia le regarda d’un air qui signifiait :

– Qu’est-ce que cela peut donc vous faire, et de quoi vous mêlez-vous ?

Bibi poursuivit :

– Il est juste que vous lui écriviez quelques bonnes paroles.

La terreur d’Antonia se nuançait se surprise.

Pourquoi donc cet homme, qui la menaçait de mort, lui parlait-il du citoyen X… et voulait-il qu’elle lui écrivît des douceurs ?

– Car, peut-être, poursuivit Bibi, ne savez-vous pas tout, citoyenne.

Antonia le regardait toujours.

– Le citoyen X… a un besoin absolu de dix mille livres, et si vous ne l’aviez pas rudoyé…

Un sourire de mépris glissa sur les lèvres d’Antonia.

– Ah ! dit-elle, je comprends tout, maintenant.

– Vous croyez ?

– C’est lui qui vous envoie ?

– Soit, dit Bibi, admettez-le un moment et prenez la plume.

– J’attends, répondit Antonia, qui crut dès lors que c’était quelque reconnaissance d’argent, qu’on allait exiger d’elle.

Bibi dicta.

« Mon bien cher ami.

« J’ai été un peu vive avec vous ce matin ».

Antonia écrivit, puis elle leva la tête :

– Ah ! vous savez cela ? dit-elle.

– Dame, répondit Bibi, est-ce que les gens de mon métier ne savent pas tout ? Vous êtes excusable, du reste, citoyenne.

– En vérité !

– Vous aviez repris votre ancien costume de bohémienne, et cela vous allait, du reste, à ravir.

Antonia fit un brusque mouvement.

– Ah ! vous savez encore cela ? dit-elle.

– Et je sais même que ce pauvre capitaine Dagobert est fou.

Antonia regardait cet homme avec épouvante.

– Mais écrivez donc, citoyenne, dit-il.

Et il dicta :

« Cependant, mon ami, je n’ai pas cessé de vous aimer, et je ne demande qu’à vous pardonner ; j’ai même deviné que vous aviez besoin d’un petit service et que vingt mille livres ne vous déplairaient pas. »

– Ah ! fit Antonia en levant la tête, c’est vingt mille livres, à présent !

– Mais continuons donc, citoyenne !

Et Bibi poursuivit :

« Je vais vous donner un moyen de réparer vos torts, d’être aimable et de me voir arriver demain matin chez vous avec ce que vous ne m’avez pas demandé, mais ce que je vous offre. »

Antonia ne levait plus la tête. Elle écrivait de son écriture la plus nette.

Qu’était-ce pour elle que vingt mille livres ?

Et elle se disait à part elle :

– Ces gens-là pourraient m’assassiner, et je suis à leur merci. Vingt mille livres ; mais c’est pour rien.

– Après ? fit-elle dédaigneusement.

« Ce matin, poursuivit Bibi, je voulais la mort de la belle Aurore ; mais je suis capricieuse comme toutes les femmes, et ce soir, je change d’avis… »

À ces mots, Antonia se leva tout effarée.

– Que dites-vous ? s’écria-t-elle, que voulez-vous de moi ? Est-ce-le citoyen X… qui…

Bibi partit d’un éclat de rire.

– Ah çà ! dit-il, je vous croyais plus intelligente et plus perspicace, citoyenne. Vous n’avez donc pas compris ce que nous voulions, ce jeune homme et moi ?

Et il montrait Polyte toujours calme.

– Mais que voulez-vous donc ? s’écria-t-elle frémissante.

– Nous voulons sauver Aurore, répondit Bibi, ou si elle doit mourir, ce n’est pas vous qui vous en réjouirez, car vous serez morte avant elle.

Ce disant, il plaça son pistolet à la hauteur du front d’Antonia devenue livide !…

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