Qu’était-il donc arrivé ? Quel était ce cri qui venait de retentir ?
Polyte avait donné tête baissée dans un piège.
Ce piège était à la fois tout ce qu’il y avait de plus ingénieux et de plus simple.
L’escalier qui tournait en colimaçon, passait au-dessus d’une sorte d’oubliette percée jusqu’à la cave. L’oubliette s’ouvrait par une trappe qui, étant fixe ou mobile, offrait une résistance ou basculait comme le plancher d’une potence, selon qu’on tirait un verrou qui lui servait de clavette et qui était dissimulé sous la dernière marche de l’escalier. La citoyenne avait échangé, on s’en souvient, un regard d’intelligence avec son mari et avait tiré la clavette.
Coclès avait dit à sa femme ces mots significatifs :
– Prends garde de te cogner dans l’escalier.
À quoi Mme Coclès avait répondu :
– J’ai fait réparer la marche qui ne tenait pas.
Et avant de s’enfermer dans sa chambre, elle avait tiré la clavette. On sait ce qui était arrivé.
* *
*
Coclès entra dans l’écurie.
Les deux Verduron ronflaient comme des orgues de cathédrale. Le canon ne les eût pas réveillés, comme avait dit Polyte.
Coclès donna une poignée d’avoine à son âne, le harnacha pendant qu’il la mangeait, puis il l’emmena sous le hangar, où il l’attacha à une de ces petites carrioles que les maraîchers des environs de Paris ont appelées des tapissières.
Pendant ce temps, Mme Coclès disait aux deux jeunes filles :
– Vous sentez bien, mes chères demoiselles, que je sais que vous allez vous cacher à Paris. Mais il faut noircir vos mains. Et puis vous avez encore trop l’air de ce que vous êtes. Connaissez-vous quelqu’un, au moins ?
– Non, dit Benoît.
Mme Coclès parut réfléchir.
– Écoutez, dit-elle, j’ai une sœur qui est une brave femme, et qui, pas plus que moi, n’aime la Révolution, quoique son mari fasse comme nous et crie à tue-tête : « Vive la République ! » Voulez-vous aller chez elle ?
Aurore et Jeanne se consultèrent du regard.
– Oui, dit enfin Aurore, j’ai confiance en vous.
– Et moi aussi, dit Benoît.
On entendit un coup de sifflet.
– C’est mon mari qui dit que la carriole est prête, dit Mme Coclès, venez.
Tous les quatre descendirent.
– Jean, dit Mme Coclès à son mari, tu mèneras ces demoiselles rue du Petit-Carreau.
– Chez ta sœur ?
– Oui.
– Ça va, dit Coclès.
Et il fit monter les deux jeunes filles dans la tapissière.
– Allons, mon garçon, dit-il à Benoît, il y a de la place pour toi.
– Oh ! non, répondit Benoît, j’aime mieux marcher, et j’irai toujours aussi vite que votre âne.
Coclès s’assit sur le brancard, prit les rênes, fit claquer son fouet, et la tapissière partit au trot du petit âne, qui était une robuste bête pleine de cœur.
– Pauvres enfants ! répéta la bonne citoyenne Coclès en rentrant, les larmes aux yeux, dans sa maison.