Cependant la dame aux diamants était entrée dans le pavillon. Ce pavillon, qu’on appellerait aujourd’hui une villa, avait été bâti par un fermier général qui, des premiers, avait payé son tribut à la nation en portant sa tête sur l’échafaud.
Le vestibule spacieux était encombré d’arbustes rares et de plantes exotiques.
Après le vestibule, on trouvait un grand salon luxueusement meublé et décoré, et à la suite un boudoir dans lequel régnait un demi-jour voluptueux.
– Tu vas m’habiller, dit-elle, car il est près de minuit, et mes amis ne peuvent tarder. Mais, auparavant, jette donc un coup d’œil aux fourneaux du chef. Vois si la table est correctement dressée et si rien ne manque.
– Oui, madame, dit l’officieuse, qui, dans le tête-à-tête, se dispensait de donner à sa maîtresse le titre brutal de citoyenne.
Et la jeune fille, qui était belle d’une beauté hardie et cynique, sortit.
Alors la dame se posa devant une grande glace de Venise et se jeta un regard complaisant.
– Allons, murmura-t-elle, on a bien raison de dire que la fortune embellit. Quoique un peu bossue, un peu noire, et ayant passé la quarantaine, je ne suis pas trop mal encore ; le citoyen Brin-d’Amour me l’affirme du moins, et il a de bonnes raisons pour le croire.
Elle ôta son chapeau, et d’un coup de main déroula une épaisse chevelure noire, qui tomba en boucles nombreuses sur ses brunes épaules, qui étaient décolletées.
Il est vrai de dire que cette insolente personne revenait de l’Opéra, où elle avait assisté à une représentation du « Berger-Paris ».
Mais avant de faire connaître les personnages qu’elle attendait à souper, disons un mot de cette grande créature.
Tandis qu’elle attendait ses hôtes et que sa femme de chambre donnait quelques ordres relatifs au souper, elle avait tiré de son sein le médaillon acheté à Polyte et qui représentait la pauvre et malheureuse Gretchen, et elle murmurait avec un hideux sourire :
– Il y a des ressemblances qui sont bonnes à quelque chose. Le portrait aidant, Jeanne et la belle comtesse Aurore éternueront dans le son d’ici peu. Après, nous trouverons le comte Raoul…
Car, tant qu’il en restera un, ajouta-t-elle, je ne serai pas tranquille. On a beau dire, la République ne durera pas, et les aristocrates reviendront tôt ou tard.
Elle glissa de nouveau le médaillon dans son corsage ; mais son sourire cynique prit des proportions plus larges.
– Cette pauvre comtesse des Mazures, dit-elle, si elle sortait de la tombe… comme elle serait étonnée de voir la citoyenne Antonia se mêler quelque peu de gouverner la France !…
Et comme elle faisait cette réflexion, on entendit un bruit de voiture dans la cour, et peu après le citoyen Brin-d’Amour pénétra dans le boudoir avec le sans-façon d’un homme qui a ses petites entrées.
– Mon ami, dit la citoyenne Antonia, les affaires avant le plaisir si tu veux.
– Au diable les affaires ! dit le citoyen X… ; je suis resté quatre heures à la tribune aujourd’hui.
– Ceci est très important. Deux jeunes filles sont entrées ce soir dans Paris, venant de Vienne. Elles sont chargées d’une mission importante auprès du comité royaliste.
– Ah ! ah ! dit le citoyen X…
– Et voilà le portrait de l’une d’elles, acheva Toinon, car on l’a deviné sans doute, la citoyenne Antonia n’était autre que Toinon la bohémienne, la servante de la comtesse des Mazures, riche de la fortune qu’elle avait trouvée dans la cassette qu’elle vola cette nuit-là même où le chevalier, son complice et sa dupe, assassinait sa belle-sœur.