Aurore eut un moment d’émotion, bien vite comprimé, du reste. Aucun des prisonniers n’avait entendu les paroles du bonhomme Safran. Aucun, même, ne prit garde qu’il causait tout bas avec Aurore.
Le bonhomme continua donc :
– Il est des choses, mademoiselle, que je ne puis pas vous expliquer ici ; mais quand nous nous retrouverons dans le préau, nous causerons.
– Comme vous voudrez, dit Aurore, qui regardait ce personnage singulier avec un mélange de curiosité et de défiance.
Le repas des prisonniers s’acheva sans incidents et ils retournèrent au préau.
Aurore se tint à l’écart. Elle alla s’asseoir sur un banc, au fond du préau et attendit. Le petit homme se glissa auprès d’Aurore et s’assit en lui disant :
– Maintenant, mademoiselle, nous pouvons causer tout à notre aise.
– Soit, dit Aurore.
– Et vous pouvez être sûre qu’on ne nous dérangera pas.
Aurore attendit.
– Car, dit-il encore, il ne faudrait pas qu’on entendît ce que je vais vous dire, sans cela tout serait perdu.
– Mais de quoi s’agit-il donc ? fit la jeune fille avec une certaine impatience.
– Il s’agit de vous sauver.
– Est-ce possible ?
– C’est impossible à première vue.
– Ah !
– Je vais donc droit au but. Après avoir sauvé votre cousin, les masques rouges ont résolu de vous sauver aussi.
– Moi ?
– Oui, vous, mademoiselle.
– Mais quel titre ai-je à cela ?
– Vous êtes de l’association.
– Oh ! par exemple !
– Votre cousin a versé en votre nom une somme de six mille livres.
Aurore commençait à comprendre.
– Mais, monsieur, dit Aurore, vous êtes prisonnier ici, vous ?
– Oui, mademoiselle.
– Comment donc savez-vous tout cela ?
– Vous n’avez donc pas deviné ?
– Quoi donc ?
– Que j’étais l’agent des masques rouges ici ?
– Vous ?
– Sans doute. Comment pourrais-je savoir tout ce que je sais et vous dire tout cela s’il en était autrement ?
– Bon.
– À partir de ce moment ne vous inquiétez plus de rien ; on vous sauvera.
– Mais comment ?
– À la condition que vous ferez de point en point ce que je vous dirai.
– Je vous le promets.
– N’avez-vous pas vu un guichetier qui paraissait s’intéresser à vous ?
– Oui, dit Aurore.
– Le guichetier vous demandera ce soir si vous vous trouvez bien dans la cellule qu’il vous a donnée.
– Fort bien. Que répondrai-je ?
– Que vous aimeriez mieux un autre logis.
– Ah ! Et il m’en donnera un autre ?
– Il vous conduira dans la cellule que le pauvre diable qui ne payait pas occupait la nuit dernière encore.
– Pourquoi ?
– Mais parce que tout y était préparé pour son évasion.
– Ah ! je comprends.
– Chut ! dit le bonhomme Safran. Séparons-nous : il ne faut pas qu’on nous voie ensemble.
Et il se leva, salua Aurore d’un signe de main et alla se promener mélancoliquement à l’autre bout du préau.
– Suis-je bien éveillée ? se demanda alors Aurore, à qui tout cela paraissait être un rêve.