XLVIII

Aurore pleura longtemps. Puis la fatigue s’empara d’elle ; elle se jeta sur son lit toute vêtue, et s’endormit de ce sommeil lourd et profond qui suit les grandes catastrophes. Quand elle rouvrit les yeux, un rayon de soleil, passant à travers la sombre fenêtre grillée de sa cellule, venait s’ébattre jusque sur son lit.

Le guichetier revint. Le brave homme avait adouci son visage rébarbatif et il sembla à Aurore qu’il avait quelques larmes dans les yeux.

– Mademoiselle, dit-il, nous n’enfermons les prisonniers que la nuit ; le jour, ils sont libres d’aller dans le préau, dans les cours et dans les corridors. Vous ne pouvez pourtant pas vous laisser mourir de faim.

– Je vous remercie, dit Aurore avec douceur.

– Ma femme vous a fait du café au lait. Je vais vous l’apporter, dit le guichetier.

Et il sortit, laissant cette fois la porte ouverte.

Le désespoir d’Aurore s’était calmé. Elle ne refusa point les aliments que le guichetier lui apporta. Puis, sollicitée par ce beau soleil qui entrait dans sa cellule et qui, sans doute, inondait la cour, elle descendit.

L’heure du terrible appel était passée. Le guichetier et le greffier avaient appelé ceux qui figuraient sur la liste du jour, et la gaîté était revenue parmi les prisonniers.

On avait encore vingt-quatre heures devant soi : – pourquoi se fût-on désolé ?

Aurore entra dans le préau. Elle y fut accueillie comme la veille par un murmure de naïve admiration. Tout le monde connaissait déjà son étrange et miraculeuse aventure, racontée par les guichetiers. On se pressa autour d’elle, on lui fit fête, on la complimenta, chose bizarre !

Et chose plus bizarre encore, il ne se trouva personne qui supposât un moment qu’elle n’eût pas été calomniée.

– Ma chère, lui dit une vieille comtesse, il ne faut pas rougir et vous effaroucher ainsi. Qu’est-ce que cela prouve ? Que votre beauté tourne toutes les têtes, subjugue tous les cœurs, et qu’un homme du peuple, ne trouvant pas d’autre moyen de vous sauver que de tomber amoureux de vous, s’est servi de cette suprême insolence.

Et comme elle se voyait entourée de respects, Aurore commençait à se consoler, et les voix mystérieuses, qui lui parlaient de la vie quand elle appelait la mort, chantèrent de nouveau dans son cœur.

Il y avait parmi les prisonniers un personnage taciturne entre tous qui ne parlait jamais à personne et qui était à l’Abbaye depuis plus de deux mois. Lorsque, la veille, le comte Lucien des Mazures avait affirmé qu’il était le prisonnier le plus ancien, il s’était trompé. Le personnage dont nous parlons s’y trouvait avant lui.

C’était un homme entre deux âges, vêtu comme un petit bourgeois de Paris, portant ses cheveux gris sans poudre et un vieil habit couleur safran. Comme on ne savait pas son nom, que d’ailleurs personne ne le lui avait demandé, on le désignait par la couleur de son habit, et on l’appelait le bonhomme Safran.

Or, quand Aurore parut au préau, le bonhomme Safran, assis sur un banc, ne se dérangea point comme les autres pour aller à sa rencontre, il la regarda même avec une parfaite indifférence et continua à tracer, avec le bout de sa canne, des ronds sur le sable, ce qui était son occupation favorite.

Mais un quart d’heure après, un guichetier vint et l’appela. Ce bonhomme se leva sans émotion.

– Ah ! monsieur, dit un prisonnier, est-ce qu’on va l’envoyer à la guillotine ?

– Non, répondit le guichetier, c’est un de ses parents qui a obtenu la faveur de le voir au parloir.

On s’occupait trop d’Aurore pour s’occuper plus longtemps du bonhomme. Il s’en alla donc au parloir, y resta près d’une heure et finit par revenir. Mais au lieu de retourner s’asseoir sur son banc, il se mit à se promener.

Aurore s’aperçut alors qu’il passait souvent près d’elle et la regardait avec une curiosité qu’il ne lui avait point accordée tout d’abord.

L’heure du repas sonna pour les prisonniers. Ils étaient introduits dans une vaste salle oblongue au milieu de laquelle était une table où chacun s’asseyait où il lui plaisait et à côté de qui il voulait.

Le bonhomme Safran, que les aristocrates n’avaient pu bannir du réfectoire, se trouva assis à côté d’Aurore.

Et comme elle le regardait avec un naïf étonnement :

– Mademoiselle, dit-il tout bas, j’ai une bonne nouvelle à vous donner.

– À moi ? fit Aurore étonnée.

– Oui.

– Vous me connaissez donc ?

Le bonhomme cligna de l’œil.

– Et… cette nouvelle ?

– Chut ! dit-il, il y va de votre vie… Si vous répétiez ce que je vais vous dire, vous seriez perdue.

– Mais…

– Votre cousin, le comte des Mazures, vous fait ses compliments.

Aurore mordit sa cuillère pour ne pas jeter un cri.

– Et on travaille à vous sauver, ajouta le bonhomme Safran.

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