Revenons maintenant à celle qui excitait tant de sympathies, stimulait tant de dévouements, et que la perfide Antonia poursuivait de sa haine secrète. On l’avait fait remonter dans la charrette. La charrette se mit en marche.
Étrange populace que cette foule qui venait chaque jour se repaître du sanglant spectacle de la guillotine.
Elle accueillait la charrette par ses huées lorsqu’elle arrivait chargée de condamnés.
Elle se prit à reconduire Aurore en battant des mains. Mais ces applaudissements étaient pour elle autant d’outrages. Le trajet dura plus d’une heure.
Aurore s’étonnait d’être encore vivante. Enfin, quand les lourdes portes de l’Abbaye s’ouvrirent devant elle, elle sentit son sein se soulever, un soupir se fit jour à travers sa gorge crispée et elle remercia Dieu qui retirait enfin de ses lèvres cette coupe d’amertume et d’infamie.
Le greffier l’avait précédée.
On fut obligé de la descendre de la charrette, car ses jambes refusaient de la porter. Le greffier donna l’ordre qu’on la reconduisit dans la cellule qu’elle avait occupée la nuit précédente. Comme ses jambes tremblaient et se refusaient de a soutenir, on la porta. Une fois dans la cellule, elle fut confiée aux soins d’un vieux guichetier d’aspect sec et farouche, et qui, cependant, lui dit d’une voix émue :
– Voulez-vous prendre un peu de nourriture, citoyenne ?
Elle refusa d’un signe de tête.
Cet homme abaissa sa voix et dit encore :
– Pauvre demoiselle ! vous n’avez fait que reculer pour mieux sauter.
Il y avait une émotion voilée, une sympathie mystérieuse dans cette voix qui fit tressaillir Aurore.
– Faut pas vous désoler, mademoiselle, ajouta le guichetier ; vous pensez bien que personne ne croit ce qu’on a dit sur vous. Mais il ne faut pas en vouloir à ce pauvre garçon qui l’a dit ; c’est peut-être des gens de votre famille qui l’ont payé pour vous sauver.
Et comme s’il eut craint d’en avoir trop dit, il s’en alla brusquement et ferma la porte de la cellule. Alors Aurore tomba à genoux.
– Ô mon Dieu ! dit-elle, il y a encore quelqu’un ici qui croit à mon innocence !
Et ses yeux si longtemps secs s’emplirent de larmes et elle pleura abondamment.