XVI

Bibi descendit vers les halles.

Là, il était sûr de trouver une voiture.

Par cette terrible année 1793, le fiacre était l’unique voiture qui osât circuler dans les rues de Paris.

Depuis le carrosse dans lequel on avait conduit à l’échafaud le roi Louis XVI vêtu de blanc, on n’avait pas revu d’autre carrosse. Mais le fiacre, voiture populaire, avait survécu. Le citoyen X… allait en fiacre et Robespierre aussi, quand il pleuvait et qu’il ne voulait pas salir ses escarpins ni maculer ses bas de soie.

À l’angle de l’ex-église dédiée à l’ex-saint Eustache, Bibi trouva un de ces véhicules. Il y monta et dit au cocher :

– Barrière d’Enfer !

– Tu sais qu’on ne sort pas, citoyen, dit l’automédon.

– Va toujours, tu verras bien, répondit Bibi.

Le fiacre roula. Vingt minutes après, il arrivait à la barrière. La barrière était fermée.

Un municipal vint ouvrir la portière et dit à Bibi :

– As-tu un passeport, citoyen ?

– Voilà, répondit Bibi.

Et il exhiba une petite carte jaune, sur laquelle on lisait : « Police de la République ». Le municipal, qui était un bourgeois timide, se confondit en excuses et ouvrit lui-même la grille de fer de la barrière. Et l’automédon fouetta ses rosses et prit la route d’Étampes. Seulement il ôta son bonnet, et, se penchant vers la portière :

– Excusez-moi, citoyen, dit-il, mais où allons-nous ?

– À Palaiseau, répondit Bibi.

Ce n’était pas la première fois que le cocher faisait la course, car il ajouta :

– Serait-ce chez la citoyenne Antonia ?

– Justement.

– Alors, c’est bon.

– Tu sais où c’est ?

– Pardine !

– Trois livres de pourboire si tu marches bien.

Le cocher, enthousiasmé, fouetta ses chevaux.

Une heure après, Bibi arrivait à Palaiseau.

Le citoyen X… l’avait devancé, et la citoyenne Antonia était prévenue.

Bibi fut introduit dans le boudoir de la citoyenne et trouva le citoyen X…

– Citoyen, lui dit Antonia, c’est vous qui m’avez arrêtée ; mais je ne vous en veux pas ; je vous tiens même pour un homme habile, et c’est ce qui m’engage à avoir recours à vos services.

Bibi, que le citoyen X… avait eu quelque peine à reconnaître sous son déguisement, s’inclina avec courtoisie.

Antonia continua :

– Il s’agit de retrouver dans Paris deux femmes, deux jeunes filles, qui sont des émissaires de l’émigration.

– Bien, dit Bibi avec flegme.

– Elles ont été vues, il y a trois jours, près d’ici, à Antony, dans un cabaret qui a pour enseigne : « Au rendez-vous des bons patriotes ».

– Fort bien, dit Bibi.

– L’une est brune, l’autre blonde.

– Ah !

– Elles ont quitté le cabaret pendant la nuit, en compagnie d’un paysan qui est bossu.

– Très bien !

Et Bibi tira un crayon de sa poche et prit une note.

– Enfin, je vais vous donner le signalement de l’une et vous montrer le portrait de l’autre.

– J’écoute, dit l’agent de police.

– L’une est brune, grande, svelte, avec des yeux bleus. Elle a l’air hautain. La petitesse de ses mains est remarquable. Elle a environ vingt-sept ans.

– Bon ! fit Bibi.

– Quant à l’autre, poursuivit Antonia, voici son portrait ; on me l’a envoyé de Vienne.

Et Antonia tira de son sein le médaillon trouvé sur la route par Polyte.

Ce médaillon représentait Gretchen, la mère d’Aurore et de Jeanne ; mais comme celle-ci était la vivante image de sa mère, il pouvait servir à la retrouver.

À peine eut-il jeté les yeux sur ce médaillon, que Bibi reconnut la jeune fille qu’il avait vue dans la boutique de la blanchisseuse, la mère Simon Bargevin.

Un homme plus naïf que lui n’aurait pu réprimer un cri de surprise ou tout au moins un geste d’étonnement.

Mais Bibi ne sourcilla pas et demeura impassible.

– Pensez-vous que vous pourrez les retrouver ? demanda la citoyenne Antonia.

– Sans doute, répondit Bibi.

– Dans combien de temps ?

– Deux jours au moins, quatre au plus.

– Il y a six mille livres pour vous, si vous les retrouvez dans les deux jours.

– On tâchera, dit Bibi.

Et il mit le médaillon dans sa poche.

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