XXVIII

Jusqu’à minuit, on avait pris patience chez la blanchisseuse. Après tout, il pouvait se faire que le capitaine eût un peu retenu ses amis et qu’il se fût attardé à causer avec eux, oubliant la pauvre Jeanne.

Le jour vint. Simon et sa femme ne savaient plus que faire de Jeanne, qui poussait des cris affreux et demandait qu’on lui rendît sa sœur.

Ni l’un ni l’autre n’osait ouvrir la boutique, de peur que les sanglots de la pauvre fille ne fussent entendus par les gens du quartier, et que, la curiosité s’en mêlant, la vérité ne se découvrît.

Alors, Jeanne aussi était perdue…

Il était plus de huit heures du matin que la boutique était fermée encore.

Simon prit enfin une résolution héroïque : il enlaça Jeanne dans ses bras et la porta dans l’arrière-boutique en lui disant :

– Mamzelle, ce n’est pas le moyen de sauver votre sœur que de vous perdre vous-même. Si vous criez ainsi, les voisins entreront, et alors ce n’est pas vous seulement, mais nous aussi qu’on arrêtera.

Ces paroles calmèrent Jeanne ; il lui importait peu de mourir, maintenant qu’on lui avait pris sa sœur ; mais pouvait-elle entraîner avec elle dans l’abîme les deux pauvres gens qui lui avaient donné un abri ? Elle cessa donc de crier. Un moment ses nerfs crispés se détendirent, ses yeux demeurèrent secs et son visage exprima une sorte d’hébétement voisin de la folie. Puis des larmes se firent jour de nouveau, mais silencieuses cette fois, et elle tomba dans un profond anéantissement.

La mère Simon Bargevin ferma la porte qui séparait l’arrière-boutique de la boutique proprement dite et enleva les volets de la devanture. Heureusement que le brouillard était très épais et qu’elle n’était pas la seule à se lever tard aux yeux du voisinage.

Tout à coup, un homme entra dans la boutique en courant. La mère Simon jeta un cri. Un cri qui fut entendu par son mari et par Jeanne, qui se précipitèrent.

Cet homme, c’était Benoît. Benoît tout seul !…

Benoît éperdu, l’œil hagard, les vêtements déchirés, Benoît qui se laissa tomber sur une chaise en s’écriant :

– Je crois bien que tout ça n’est pas vrai et que j’ai fait un rêve épouvantable… Mlle Aurore est ici, n’est-ce pas ? Elle y est… dites-moi qu’elle y est… Car je crois bien que je suis devenu fou.

Et en effet le pauvre garçon donnait toutes les marques de la folie, et il riait et pleurait, et s’arrachait les cheveux tout à la fois. On l’entraîna dans le fond du pauvre logis ; on le questionna, il ne répondit point tout d’abord.

– Mais je vous dis que Mlle Aurore doit être ici ! disait-il avec un accent de suprême exaltation. Pourquoi me la cachez-vous ?

Et il riait et il pleurait. Et Jeanne épouvantée répétait comme Simon Bargevin :

– Ômon Dieu ! il est fou !

* *

*

Un peu avant que le jour parût, Zoé, qui ne savait plus ce que tout ce qu’elle voyait et entendait voulait dire, Zoé avait fait cette réflexion :

– Hier soir, j’avais peur que l’aristocrate n’eût été protégée par le capitaine, et maintenant voici qu’elle ne revient pas et que tout le monde pleure, sans que je sache de quoi il retourne.

Elle avait quitté un moment le chenil qui donnait sur la boutique pour s’approcher de la fenêtre qui donnait sur la cour.

En levant les yeux, elle vit de la lumière au troisième étage.

– Tiens, pensa-t-elle, M. Bibi est déjà levé !

Alors elle n’hésita plus. Elle atteignit la porte de Bibi et frappa doucement. Mais Bibi était levé, et il vint ouvrir aussitôt.

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