Aurore était entrée dans la prison, et son apparition avait excité l’admiration universelle. Comme elle était de province, personne ne la connaissait parmi les illustres prisonniers, mais il suffisait que le comte des Mazures l’eût appelée sa cousine pour qu’on lui fît fête.
– Mon cher Lucien, lui dit-elle, nous n’avons pas d’illusions à nous faire sur le sort qui nous attend…
– Aurore ! Aurore ! disait Lucien, vous si belle, si jeune…
– Moi comme les autres, mon ami. Mais il ne s’agit pas de nous, il s’agit de… Jeanne…
À ce nom, Lucien sentit tout son sang affluer à son cœur et il devint d’une pâleur mortelle.
– Vous l’aimez toujours, je le vois, reprit Aurore, et elle aussi, elle vous aime… Le malheur, mon ami, nous a rapprochés… Nos pères avaient creusé un abîme entre nous, mais nos pères sont morts… Lucien, si vous sortez d’ici, si, par miracle, vous êtes rendu à la liberté, cherchez Jeanne, vous la trouverez chez une blanchisseuse du nom de Bargevin, dans la rue du Petit-Carreau.
– Elle est à Paris ?
– Oui, mon ami.
– Et libre ?
– Elle l’était encore hier.
– Ô mon Dieu ! fit Lucien défaillant.
– Lucien, dit gravement Aurore, au nom de Gretchen, ma mère et la sienne, je pardonne à votre mère morte et je vous permets d’épouser Jeanne.
Lucien prit la main d’Aurore et la porta fiévreusement à ses lèvres.
Mais, en ce moment, la porte du préau s’ouvrit encore. Alors, rires moqueurs, dialogues animés, gestes expressifs, tout s’éteignit et fit place à un lugubre silence.
Le greffier et le geôlier venaient d’entrer. Le greffier avait à la main sa terrible liste, et chacun se demandait si l’heure fatale n’avait point sonné. Le greffier fit alors l’appel.
– Charlotte-Anaïs Lecouteulx, ci-devant duchesse de L… ! dit-il.
– Ah ! dit la pauvre jeune femme en pâlissant, je commençais à croire qu’on m’avait oubliée…
Mais sa faiblesse eut à peine la durée d’un éclair.
– Bah ! dit-elle, cela m’apprendra à ne pas m’« assurer » comme le pauvre comte des Mazures.
Et elle passa de l’autre côté du préau.
– Charles Limozan, ci-devant marquis, continua le greffier.
– Oh ! oh ! dit le vieux gentilhomme avec calme, je ne saurai jamais si les masques rouges sont une vérité.
Et il suivit la duchesse.
– Jean-Victor de Rouville, dit encore le greffier.
Le financier suivit le marquis et la duchesse.
Puis on appela d’autres noms encore. Mais tout à coup un frisson parcourut tous les assistants. En même temps on entendit un cri de douleur poussé par Lucien. Le greffier venait de prononcer le nom d’Aurore.
– Pauvre enfant ! dit la duchesse émue.
– Elle n’aura pas eu le temps de s’ennuyer ici, dit le marquis.
Lucien s’était mis à fondre en larmes.
– Et moi ? s’écria-t-il, et moi ?
– Vous n’y êtes pas, dit le greffier.
– Mais cela est donc vrai ! s’écria la duchesse, cela est donc vrai, tout ce que vous nous avez raconté, comte ?
Lucien s’était précipité sur Aurore et lui baisait les mains avec transport.
– Je veux mourir avec vous ! disait-il, je veux mourir.
La porte du préau s’ouvrit alors une fois encore, et le directeur de la prison entra. Déjà les autres prisonniers respiraient ; déjà ceux qui n’étaient point sur la liste se réjouissaient d’avoir encore une journée à vivre, lorsqu’on vit le directeur tendre silencieusement un papier au greffier. Un frisson parcourut les prisonniers. Il y avait une liste supplémentaire.
Une liste de quatre noms que lut le greffier. Au quatrième, ce fut un coup de théâtre pour tous ceux qui avaient entendu la singulière histoire des masques rouges, car le quatrième nom c’était celui du comte Lucien des Mazures.
– Ah ! comte, s’écria la duchesse qui avait retrouvé toute sa gaieté, j’en suis fâchée pour vous, mais ces gens-là sont des filous, ils vous ont volé six mille livres.
– Pauvre Jeanne ! murmura Lucien, qui se jeta dans les bras d’Aurore.
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