XXXVIII

Le voyageur prodigue de nouvelles continua :

– On ne parle que de cela dans Paris, j’en suis bien sûr.

– Vraiment ! dit une autre personne assise à la table d’hôte. Elle était belle, cette jeune fille ?

– Une beauté de reine.

– Blonde ? demanda Bibi.

– Non, brune.

– Sait-on son nom ?

– J’ai entendu les deux, mais je ne me rappelle que le petit : Aurore.

Bibi eut un tel battement de cœur en ce moment, que ses voisins eussent pu entendre résonner sa poitrine, si leur attention n’eût appartenu tout entière au narrateur.

– Et de qui était-elle enceinte ?

– Mais, dit le voyageur, je crois bien que c’était pour la sauver qu’on a dit cela.

– Ah !

– Elle s’en est défendue… elle demandait la mort… mais le peuple n’a pas voulu.

– Ce n’est pas la première fois que ces choses-là arrivent.

Bibi, d’abord très pâle, était maintenant rouge comme un coq. Ah ! comme il se repentait d’avoir quitté Paris et d’avoir abandonné son ami le citoyen Paul !

Pontoise n’est qu’à sept lieues de Paris ; mais les routes étaient mauvaises, et il fallait attendre maintenant que la diligence d’Arras vint à passer.

Mais Bibi était bien décidé à ne pas aller plus loin et à rentrer à Paris dans la nuit. L’Artésienne passait à huit heures du soir. Il en était sept. Bibi n’avait donc plus qu’une heure à attendre. Il s’alla promener par la ville pour tuer le temps ; et tout en se promenant, il songeait aux moyens de délivrer Aurore.

La chose, facile à première vue, si on songeait que le citoyen Paul avait rendu de grands services à la République, présentait cependant de sérieuses difficultés.

En effet pour obtenir la grâce et l’élargissement de sa fille, il faudrait déclarer son vrai nom. Ensuite la citoyenne Antonia, toute puissante pour le moment contrebalancerait certainement, et peut-être avec un certain avantage, l’influence du citoyen Paul.

Tout à coup Bibi fit cette réflexion :

– Je suis un idiot : c’est Aurore et non pas l’autre qui aimait le capitaine Dagobert. J’aurais dû m’en douter, et la preuve en est que c’est elle qui est allée au rendez-vous donné par le faux Dagobert. Mais le vrai Dagobert sera plus puissant que le citoyen Paul et que la citoyenne Antonia, car il vient de se couvrir de gloire au service de la République, et les représentants ne refuseront rien à un homme comme lui. Le tout est de mettre la main sur le capitaine Dagobert.

Il vit apparaître dans le lointain, car il était alors dans la Grande-Rue de Pontoise, il vit apparaître, disons-nous, le fanal de l’Artésienne descendante.

– Conducteur, dit-il, au moment où la voiture s’arrêtait, avez-vous une place pour Paris ?

– Oui, citoyen.

– Je la prends.

Et Bibi courut chercher ses valises.

– Oh ! lui cria le conducteur, vous avez le temps, citoyen ; nous arrêtons ici trois quarts d’heure.

Les voyageurs étaient descendus et entraient à leur tour dans la grande salle de l’auberge, où l’on avait dressé de nouveau la table. Ils étaient peu nombreux, du reste, mais Bibi tressailit en voyant parmi eux un officier qui portait l’uniforme de l’artillerie.

C’était un grand et beau garçon, au teint bistré, aux cheveux noirs et un peu crépus, à la stature herculéenne.

Il avait l’œil bleu et la physionomie calme et douce d’un lion au repos. Bibi le regardait avec une persistante attention. Et, bien qu’il eût soupé, il se remit à table, à seule fin d’être à côté de l’officier.

– Pardon, citoyen, lui dit-il, vous venez d’Arras ?

– Non, de plus loin, citoyen.

– De l’armée de Sambre-et-Meuse, peut-être ?

– Oui, citoyen.

– Nos armées ont livré une grande bataille, il paraît, continua Bibi.

– Oui, il y a cinq jours.

– Et, comme toujours, nous avons été victorieux ?

– Oui, citoyen.

Bibi avait repris sa physionomie de bourgeois débonnaire, et il poursuivit :

– Excusez-moi, citoyen, mais je suis patriote dans le bon sens du mot, et curieux comme un enfant de Paris. Connaîtriez-vous un homme dont toutes les gazettes parlent depuis trois jours ?

– Quel homme ? demanda l’officier.

– Un capitaine qui a défendu un pont et qui a assuré ainsi le gain de la bataille.

– Oh ! dit l’officier en souriant, on eût gagné la bataille sans cela.

– N’importe, dit Bibi, c’est un héros ! Le connaîtriez-vous ?

– Qui cela ? dit l’officier toujours souriant.

– Le brave capitaine Dagobert.

– C’est moi, dit simplement l’officier.

Share on Twitter Share on Facebook