Chapitre 14

— Tournons bride, avait dit le roi en voyant débucher la bête de chasse que la meute buvait de très près.

La señorita ne demandait pas mieux et ne se fit point prier ; si bien que dix minutes plus tard il y avait une lieue de distance entre la chasse et les deux amants qui avaient pris une direction toute opposée et étaient rentrés sous cette bienheureuse futaie, où, au dire du Béarnais, on contait si bien fleurette au milieu du jour, alors que la fraîcheur, bannie du reste de la terre, se réfugie sur l’aile des brises, loin du soleil et de l’air embrasé, sous les verts panaches des forêts.

Et, en effet, tandis qu’ils avaient ainsi discouru, chevauchant au petit pas et permettant à leurs montures de tondre le gazon du chemin et de brouter les jeunes pousses des taillis, l’heure de midi était venue et avec elle cette atmosphère étouffante qui se concentre dans les vallées voisines des hautes montagnes, comme dans un entonnoir.

Alors, après un temps de galop sous le couvert, le roi chercha une belle touffe de hêtres bien ombreuse, bien fraîche, d’où de nombreux courants d’air exilaient les mouches, ces tyrans ailés de la campagne ; une touffe de hêtres sous laquelle le gazon était d’un vert sombre très beau et d’une moelleuse épaisseur ; puis il dit à la señorita, dont le front pensif et enflammé était toujours incliné :

— Si nous nous reposions quelque peu, ma mie ?

Et pour ne pas être refusé, le roi sauta lestement à terre, délia la gourmette de son cheval et le mit en liberté ; ensuite il s’approcha de la señorita, la prit galamment par la taille et l’enleva de sa selle comme s’il se fût agi d’une plume.

La señorita s’assit toute rêveuse à côté du roi, redevenu pensif, et un silence assez long s’ensuivit, pendant lequel les deux amants causèrent avec eux-mêmes.

— J’ai été imprudente, pensait la señorita, mais mon audace a parfaitement réussi ; il m’a crue sur parole… et il s’est souvenu. Pauvre roi ! va. – Gaëtano sera content ce soir.

— Vrai Dieu ! murmurait à son tour le roi, cette petite mouche se prend à mon miel ; elle donne dans le panneau à plein collier ; et, à cette heure, je lui parais plus naïf que jamais. Continuons… c’est une partie d’échecs où j’ai l’air d’être mon propre fou. Patience ! elle sera échec et mat !

Après ce court monologue, le Béarnais arrondit amoureusement son bras autour de la taille svelte de l’Andalouse :

— Quittez ce front nuageux, ma mie, lui dit-il ; le bonheur a-t-il donc la mine assombrie et morose, et le sourire n’est-il point la fleur toujours fraîche qu’il caresse avec ses lèvres ?

La journée fut charmante ; elle coula bien vite entre ces deux amants qui ne s’aimaient pas et qui eurent l’un pour l’autre de suaves transports ; si les brises qui secouaient dans le feuillage leurs ailes lassées, s’y reposaient un instant et reparlaient ensuite pour la cime des monts, eussent été indiscrètes en passant au-dessus des tours de Coarasse, madame Marguerite en eût appris de belles ; mais les brises étaient de bonne compagnie, elles se contentaient de murmurer, et un simple murmure est chose si vague que les plus fins s’y trompent.

Le soir vint : – un beau soir de printemps, tiède, parfumé, mélancolique, avec un panorama splendide de coteaux ombrés déjà, de nuages pourpre et opale, mobile trait d’union entre la terre et le ciel, à l’horizon, de cimes neigeuses étincelantes comme des gerbes d’or aux reflets du soleil couchant.

Et alors ils quittèrent la touffe de hêtres et de grenadiers sauvages qui les avait abrités des rayons embrasés du midi ; ils regagnèrent les champs, que léchait déjà cette brume grise et flottante, paresseuse estafette de la nuit prochaine, et tournant les yeux vers Coarasse, dont les tourelles et les vitraux gothiques flamboyaient comme braise suivant l’expression de Victor Hugo, ce chantre splendide de la mer et du soleil, et le roi dit à la señorita toujours rêveuse :

— Rentrons maintenant ; car je puis dire : ma journée n’est point perdue aujourd’hui.

— Vous avez fait un heureux ? demanda l’Andalouse avec un sourire moqueur.

— J’en ai fait deux, madame.

— Vraiment ! comment donc ?

— C’est bien simple ; le premier c’est moi, votre plus fidèle serviteur ; – le second c’est M. de Goguelas qui aura eu aujourd’hui les honneurs de la curée et de l’hallali. Il en sera vain et bouffi pendant un mois. Titus était plus modeste, car il se contentait d’un seul.

On le voit, le roi s’était prodigieusement vanté quand il avait prétendu ne savoir ni latin ni grec, le roi avait lu Tacite.

— Eh bien ! murmura la señorita avec un sourire charmant, vous vous trompez, sire ; vous avez fait trois heureux.

Il porta à ses lèvres la petite main de l’Andalouse, tandis qu’il lui présentait son genou en guise d’étrier :

— Vous êtes adorable, lui dit-il, et si vous étiez quelque peu bergère, je me trouverais satisfait d’être roi.

— Bah ! les rois ne les épousent plus, il vaut mieux que je sois marquise.

— Vous serez duchesse, ma toute belle. Le royaume de Navarre est petit, mais nous trouverons bien le moyen de vous y tailler un duché.

— Fi ! dit l’Andalouse, je ne fais point de l’amour une sébile, je ne mendie point, sire.

— Mais quand, à deux genoux, on vous demande la grâce d’accepter une aumône ?

— Je fais la charité à celui qui me l’offre, j’accepte.

Devisant ainsi, ils arrivèrent au château ; la nuit les avait surpris en route, et quand ils franchirent le pont-levis, on sonna sur-le-champ pour avertir les hôtes de Coarasse que le souper du roi était servi.

Le roi avait trouvé le moyen d’expliquer à la reine de la façon du monde la plus naturelle comment il avait perdu la chasse avec la señorita ; – mais il n’en eut nul besoin, la reine ne parut point au souper ; elle était souffrante, lui dit-on.

Bavolet que nous avons laissé, le matin, en proie au délire et dans un dangereux état de surexcitation, était complètement ressuscité le soir, et il vint prendre sa place accoutumée de page et d’enfant gâté au bas bout de la table, en compagnie du seigneur Gaëtano, avec lequel il paraissait être au mieux.

Le roi fut frappé de cette intimité :

— Oh ! oh ! se dit-il, mon page et l’ambassadeur ont l’air d’être bons amis, se seraient-ils battus ce matin ?

Cette réflexion judicieuse, si elle eut été faite à haute voix, eût certainement fait frémir le seigneur Gaëtano, qui avait moins confiance en la bonhomie du roi que la crédule señorita.

Maintenant comment Bavolet et Gaëtano paraissent-ils si intimes et quel remède aussi prompt avait guéri le page ? C’est ce que nous allons vous dire.

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