Bavolet fit une toilette minutieuse. On eût dit le plus mauvais sujet de page qu’eût jamais eu le roi Henri III, se disposant à escalader le balcon d’une duchesse à tabouret, et prêt à enfoncer jusqu’à la garde la lame d’une jolie épée de cour, finement damasquinée, dans le pourpoint d’un mari trop curieux.
Quand il fut équipé, il se mira complaisamment, prit une pose cavalière, inclina sa toque, mit un poing sur la hanche, passa la main droite dans les dentelles en point de Venise qui sortaient de son pourpoint entrouvert, et descendit chez le seigneur Gaëtano, qui paraissait fort affairé à écrire une volumineuse correspondance.
— Monsieur, lui dit-il, vous savez que je vous hais.
— Vous m’avez fait l’honneur de me le dire et même de me le prouver, monsieur ; que puis-je faire pour votre service ?
— Oh ! presque rien… me donner la main.
— De grand cœur, je n’ai pas de rancune.
Bavolet éclata de rire.
— Je ne l’entends point ainsi, dit-il.
— Bah ! comment l’entendez-vous ?
— Voici : La reine a vent de notre querelle…
— Vous vous trompez ; elle la connaît dans tous ses détails.
— Soit. Il ne faut pas que la reine cherche à nous réconcilier… elle nous réconcilierait fort mal.
— Alors, que faut-il faire ?
— Paraître bons amis.
— Je vous ai offert mon amitié, vous êtes discret, mon cher monsieur Bavolet, vous ne m’en demandez que le fac simile.
— Ainsi, c’est convenu, l’apparence…
— Parfaitement.
— Et à la première occasion…
— Je suis à vos ordres, monsieur.
— Monsieur, dit Bavolet avec une courtoisie excessive, malgré la fantaisie que j’ai de vous passer ma rapière à travers corps, je suis forcé d’avouer que vous êtes un galant homme.
— Je vous remercie, monsieur.
— Et je serais bien désolé si je me voyais contraint de vous assassiner.
— Ah vraiment ! et pourquoi ?
— Si vous adressiez jamais un mot d’amour à la reine…
— N’ayez crainte, monsieur Bavolet, ce n’est point la reine que j’aime, c’est mademoiselle de Montmorency.
— C’est comme moi, dit Bavolet, j’aime la señorita et non la reine de Navarre.
— Il faut avouer que la reine est bien malheureuse, pensa Nancy, qui écoutait à la porte pour essuyer ses larmes, – ses amants sont d’une inconstance rare et d’une humeur bien capricieuse !
*
* *
Henry de Navarre n’était point un amoureux de roman. Il soupa merveilleusement bien et fut enchanté de la bonne humeur de Bavolet, qui s’occupait de séduire la señorita et avait dépouillé ce masque de mélancolie qui faisait dire au roi depuis quelque temps :
— Les pages s’en vont ! ils ont la lèvre pendante et l’œil morne comme les poètes de mon frère Charles IX.
Une seule chose irrita légèrement le Béarnais, ce fut le ton enjoué de Fosseuse, à qui Gaëtano débita les plus galants propos, et la complaisance qu’elle parut mettre à les écouter.
Heureusement le roi avait faim et pour justifier la moitié du proverbe, il n’entendit qu’à demi.
Le souper se prolongea jusqu’à dix heures. À dix heures le roi se leva et demanda sa canne. Bavolet s’empressa d’offrir sa main à la señorita qui le trouvait charmant, et Fosseuse prit celle de l’ambassadeur.
— Avez-vous la migraine ? lui demanda-t-elle.
— Je suppose que je vais l’avoir, répondit Gaëtano.
— Moi, dit Fosseuse, je ne l’aurai que dans une heure ; la mienne est apprivoisée.
Fosseuse quitta Gaëtano à la porte de son logis et s’enferma. Peu après on gratta à la porte et Nancy entra.
— Mademoiselle, dit-elle, voulez-vous que je vous fasse un conte ?
— Je le veux bien, c’est peu dangereux. Que veux-tu me dire, petite ?
— Le roi m’a parlé de vous ce matin.
Fosseuse tressaillit et rougit de plaisir.
— Je lui ai dit beaucoup de mal de vous…
— Par exemple !
— J’ai affirmé que vous composiez des histoires avec le seigneur Gaëtano.
— Ah ! et qu’a-t-il dit !
— Il a froncé le sourcil et a prétendu que l’ambassadeur de son cousin était un impertinent et vous une péronnelle.
— Il paraissait donc affligé ?
— Il est jaloux ! ! ! dit Nancy, avec un geste dramatique qui fit sourire Fosseuse.
— En vérité ! il m’aime donc toujours ?
— Heu ! heu ! ce n’est pas une raison…
— Après, que t’a-t-il dit ?
— Dame ! fit Nancy, j’ai de bien jolis yeux, dit-on, et si je les perdais…
Fosseuse tendit la main à Nancy.
— Dis toujours, petite.
— Eh bien ! il m’a dit que j’avais de jolis yeux…
— Présomptueuse ! et tu l’as cru, sans doute !
— Dame ! il faut toujours croire… la foi sauve.
— Celle-là damne, ma petite. – Et puis ?
— Et puis il m’a donné un rendez-vous…
— Oh ! oh ! fit la jalouse Fosseuse, ne serait-ce point toi, plutôt !
— Hum ! fit Nancy, peut-être bien… c’est possible…
— Et vous aurez l’audace d’y aller, mademoiselle ?
— C’est bien tentant un roi…
— Impertinente !
— Et ce serait bien mal à moi de le faire attendre en pure perte.
Fosseuse fronçait ses grands sourcils.
— Mais, réflexion faite, je n’irai pas ; j’y enverrai quelqu’un à ma place. La señorita, peut-être !
— Il le faudra bien, si vous n’y voulez aller vous-même.
Mademoiselle de Montmorency poussa un cri de joie et embrassa Nancy :
— Tu es charmante, petite, dit-elle, et je te récompenserai.
— Venez chez moi, dans ma chambre.
Fosseuse suivit Nancy qui la conduisit au second étage du château, où les camérières avaient leur retrait.
Le retrait de Nancy était charmant, coquet dans sa simplicité, arrangé avec art : il trahissait une Parisienne de l’école de la reine de Navarre.
— Tenez, dit Nancy, en posant un abat-jour sur sa lampe, mettez-vous dans ce coin sombre ; il faudrait que le roi ne vous reconnût point d’abord, ce serait plus amusant.
Fosseuse se plaça en riant dans un grand fauteuil et tourna le dos à la porte.
— Bon ! dit Nancy, maintenant je me sauve. Le roi va venir. Il frappera trois coups ; vous contreferez votre voix et direz bien doucement : Entrez !
Et Nancy s’en alla.
— Que je suis heureuse, se dit-elle, de n’être point toquée, moi aussi ; je m’amuserais moins. Ces amoureux ne font que pleurnicher. Une seule chose me fait saigner le cœur : l’État de ma pauvre reine… et c’est ma faute ! Aussi comment supposer que ce drôle de Bavolet aurait des idées si chevaleresques !
Nancy partie, Fosseuse attendit, le cœur palpitant. Tout à coup des pas légers résonnèrent dans le corridor ; Fosseuse reconnut le roi ; elle eut peur et trembla.
Puis une idée merveilleuse lui vint :
— Je veux, dit-elle, savoir s’il m’aime encore… et je veux le bien savoir. – Soufflons la bougie !…