Chapitre 18

Où la nature espiègle de Nancy reprend le dessus.

— Ah ! c’est vous, dit le roi d’un ton piqué… où donc avez-vous laissé le seigneur Gaëtano ?

— Mais… balbutia Nancy interdite, je ne sais pas…

— Comment, vous ne savez pas ? serait-ce sous les coudriers où vous aviez si grande hâte de vous réfugier tantôt, alors que vous saviez que d’ici je voyais tout ?

— Moi, je me suis réfugiée sous les coudriers ? demanda Nancy qui ne comprenait plus du tout… avec le seigneur Gaëtano ?

— Parbleu ! dit le roi, me prenez-vous pour un niais ?

— Non pas, sire… mais je ne sais ce que vous voulez dire avec vos coudriers et votre Gaëtano.

— Corbleu ! dit le roi frappant du pied, ceci est trop fort, et vous êtes la plus perfide des femmes !

— Oh ! sire, quel vilain mot…

— Un monstre d’hypocrisie !

— De grâce… sire…

— Et moi qui vous aimais !

— Vraiment, vous m’aimiez ?

— Elle ose en douter ! ô perfidie !

— Dame ! écoutez donc, fit Nancy qui souriait dans l’ombre, on douterait à moins.

— Que voulez-vous dire, expliquez-vous ?

— Vous aimez la señorita.

— Je vous ai juré le contraire tout à l’heure.

— Alors c’est Fosseuse…

— Eh ! oui, dit le roi, c’est Fosseuse que j’aime… je te l’ai dit assez clairement.

— Bien vrai ? fit la méchante soubrette.

— Douteras-tu de moi ?

— Je vous crois, sire. En ce cas, que vous importe ma conduite ?

— Ma foi ! s’écria le Béarnais, ceci est le comble de l’imprudence. Elle sait que je l’aime, que je suis jaloux…

— Mais non, vous ne m’aimez pas, puisque vous aimez Fosseuse, sire.

Le roi poussa un cri :

— Tu n’es donc point Fosseuse ? demanda-t-il.

— Moi ? pas le moins du monde.

— Alors, pourquoi… viens-tu ?

— Je rentre chez moi.

— Nancy ! fit le Béarnais qui comprit enfin.

— Je croyais que vous m’aviez reconnue, murmura l’hypocrite camérière.

— Comment voulais-tu que je te reconnusse ; je ne t’attendais pas ?

— Par exemple ! dit Nancy d’un ton piqué.

— Serait-ce toi que j’ai aperçue dans le parc avec l’ambassadeur ?

— Nenni.

— Alors comment veux-tu…

— Mais dame ! fit Nancy, il me semble ce matin…

— Quoi ? ce matin… demanda naïvement Henri de Navarre.

— Eh bien ! ce matin, ne m’avez-vous pas dit… Diable ! vous avez pourtant de l’esprit, sire.

— C’est juste, mais je suis venu il y a une heure.

— Je suis désolée de vous avoir fait attendre, mais j’avais mon service auprès de la reine.

— Voilà qui s’embrouille de plus en plus, dit le roi.

— Au contraire, c’est fort clair.

— Comment donc Fosseuse était-elle ici ?

— Fosseuse ! ici, chez moi ? s’écria la soubrette jouant de stupéfaction.

— Dame ! murmura le roi, je l’y ai trouvée…

Et le roi raconta à Nancy la scène précédente. Nancy pouffait de rire.

— En sorte, dit-elle, que Votre Majesté attend Fosseuse.

— Sans doute.

— Fosseuse qui a disparu derrière les coudriers avec l’ambassadeur ?

— Eh oui, fit le roi, dont la jalousie renaissait peu à peu.

— Y a-t-il longtemps, déjà ?

— Un siècle !

— Hum ! murmura Nancy, les coudriers sont touffus…

— Peuh ! dit le roi.

— Le gazon est vert…

— Heu ! heu !

— La nuit est fort belle…

— Il fait froid.

— Pour les jaloux peut-être, mais pour ceux qui s’aiment.

Le roi frissonna.

— Tais-toi, petite, dit-il, tais-toi donc !

— Et le seigneur Gaëtano sait de bien beaux contes.

Le roi, qui avait abandonné la fenêtre, y retourna et plongea anxieusement ses regards dans le parc. Le parc était désert.

Le roi poussa un soupir. Nancy en laissa échapper un autre.

— Tu soupires ? demanda le roi.

— Oui, sire.

— Et pourquoi ?

— Je soupire en songeant que je suis une pauvre camérière qui sert de jouet à tout le monde.

L’accent de Nancy était si triste que le roi en tressaillit.

— De jouet ? fit-il, et à qui donc, par hasard ?

— À beaucoup de gens. Au roi de Navarre, par exemple… au roi qui donne un rendez-vous à mademoiselle de Montmorency.

Le roi était bon, l’accent ému de Nancy le toucha.

— Pardonne-moi, dit-il.

— Il le faut bien, puisque vous aimez Fosseuse…

— Corbleu ! s’écria le Béarnais, j’ai peut-être grand tort en cela…

— Ah ! sire… quelle idée !

— Et ces coudriers… ce Gaëtano…

— Vous êtes méchant, sire ?

— Et j’ai bonne envie… de me venger !

— Comment cela, sire ?

— Dame ! fit le roi, si je savais…

— Que voulez-vous savoir, sire ?

— Si je savais que tu… m’aimasses un peu.

Nancy étouffa à demi un gros soupir :

— Je ne vous aime pas, sire, dit-elle… et j’en suis bien heureuse…

— Impertinente !

— Car vous ne m’aimeriez pas…

— Peut-être…

— Vous aimez Fosseuse.

— Morbleu ! je finirai par ne plus l’aimer…

— Vous aurez tort, car elle vous aime…

— Je crois plutôt qu’elle me trompe.

— On trompe en aimant, murmura la perfide camérière.

Le roi eut le vertige et il prit Nancy par la taille :

— Si je me vengeais, dit-il.

Nancy lui glissa doucement des mains.

— Sire, dit-elle, c’est parfaitement inutile, voici mademoiselle de Montmorency.

Le roi poussa un cri de joie :

— Tu crois ? dit-il.

Nancy éclata de rire :

— Vous voyez dit-elle que je suis sage en refusant de vous venger.

Le roi, pris au piège, se tut.

— Mais moi, je me suis vengée ! Voici une demi-heure que je me divertis aux dépens du roi de Navarre. Pourquoi diable me donnez-vous des rendez-vous pour me dire que vous aimez Fosseuse ?

Et Nancy, laissant échapper un second éclat de rire, s’enfuit, tandis que le roi demeurait tout soucieux à la fenêtre.

— Allons ! murmura la camérière, j’ai le cœur plus sage que la tête et mes caprices n’ont pas de suite. Décidément je suis la véritable reine du château, car je n’aime personne et fais le bonheur de tout le monde. Je vais chercher Fosseuse et l’envoyer au roi qui me paraît être au supplice !

Nancy n’eut point le souci de chercher longtemps Fosseuse, elle la rencontra dans le grand escalier :

— Allez ! lui dit-elle, le roi est sur les épines.

— Pourquoi cela ?

— Il est jaloux. Courez vite. Cependant, comme il se fait tard, tâchez de le mettre hors de chez moi, je veux me coucher.

Fosseuse fit un signe de tête et rejoignit le roi en riant :

— Mon pauvre Henri, dit-elle, vous êtes donc toujours jaloux ?

— Mais, fit le roi qui respira bruyamment, il y a de quoi, ce me semble ?

— Taisez-vous, ce n’est point l’heure et nous n’avons pas le loisir de nous faire une querelle. Nous conspirons.

— Ah oui ! reprit Henri, quel est le mot de l’énigme ?

— Je le sais point encore.

— Vous avez cependant causé… bien longtemps.

— Peu importe ! Voici ce qu’il vous faut faire.

— Pour conspirer ?

— Sans doute ! il vous faut feindre d’aimer la señorita…

— Comme vous l’ambassadeur ?

— Certainement.

— Et lui obéir en tout…

— Très bien.

— Satisfaire tous ses caprices…

— Diable !

— Je m’entends, et paraître me dédaigner plus que jamais…

— Le pourrai-je ?

— Ingrat ! murmura Fosseuse, vous l’avez tenté déjà, ce me semble.

— Chut ! dit le roi, je vous aime, oublions le passé.

— Soit ; – et maintenant voici minuit qui sonne, rentrez, sire, il est tard.

— Cruelle ! murmura le roi.

— Tout beau ! dit Fosseuse, avant d’être absous, il se faut repentir.

Fosseuse, s’esquiva et laissa le roi qui ne tarda point à rentrer chez lui.

— La señorita, pensa-t-il, est bien belle et Fosseuse veut que je l’aime… en apparence, beaucoup ; – si je l’aimais un peu… en réalité ?

*
* *

Mademoiselle de Montmorency regagna son appartement et fut fort étonné d’apercevoir un filet de lumière qui passait au travers de sa porte demeurée entrouverte.

Elle entra et reconnut Nancy et Bavolet qui causaient paisiblement au coin du feu.

Bavolet était dans son charmant costume de la soirée, et il souriait à Nancy comme le plus gai des pages sourirait à la plus sémillante des camérières.

Fosseuse les regarda tous deux et parut chercher la signification de leur présence chez elle, à une pareille heure.

Nancy la comprit sans doute, car elle lui dit aussitôt :

— Vous me chassez de chez moi, il faut bien que je me réfugie quelque part.

— Bien, dit légèrement Fosseuse en regardant ensuite Bavolet.

Bavolet souriait, mais son œil était fiévreux, et son front pâle disait éloquemment sa souffrance.

— Me trouvez-vous beau ? demanda-t-il en s’efforçant d’être fat et de bonne humeur.

— Ravissant, répondit Fosseuse.

— Tant mieux ! car d’autres sont de votre avis.

— Nancy peut-être ?

— Nancy, d’abord.

— Chut ! monsieur Bavolet, dit Nancy, qui essaya de rougir.

— Ensuite la señorita, reprit le page.

— Vraiment ! fit Fosseuse.

— En vérité, murmura Bavolet qui essayait de masquer la tristesse de son cœur avec le sourire de ses lèvres, elle serait, morbleu ! bien difficile.

— Voyons, dit Fosseuse, ne plaisantons point, Bavolet, la señorita t’aime-t-elle ?

— Elle ne me l’a point dit, mais…

— Tu as lieu de le croire, n’est-ce pas ?

— Il n’est rien de tel pour être fort et clairvoyant en amour, reprit Bavolet, que de ne pas aimer ceux qui vous aiment.

— C’est assez philosophique, cela.

— Et la señorita m’aimant, n’aimera point le roi… alors vous comprenez, ma petite Fosseuse ?

— Je comprends, dit gravement mademoiselle de Montmorency, que tout cela est inutile.

— Inutile !…

— Sans doute, le roi m’aime toujours.

— Alors, murmura tristement Bavolet, rien ne m’oblige plus à jouer mon rôle. Ce que j’en faisais n’était que pour vous.

— Au contraire, il faut continuer.

— Que voulez-vous dire ?

— Je veux dire que le roi sera plus que jamais empressé auprès de la señorita.

— Alors il vous délaisse ?

— Il m’aime plus que jamais.

— Ceci devient une énigme.

— En voici le mot : la señorita conspire.

— Ah bah !

— Elle conspire avec l’ambassadeur contre le roi.

— Et quel est le but du complot ?

— C’est ce qu’il faut savoir. La reine cherche, je cherche aussi, cherche à ton tour. Le roi est prévenu.

— Bon, dit le page, je vais avoir une passion d’ogre pour l’Andalouse. Il faut bien que je tue le temps !

— La reine, murmura Nancy à l’oreille de Fosseuse, nous sera maintenant d’un pauvre secours.

— Tu la remplaceras, dit Fosseuse. Maintenant, allez-vous-en ; je meurs de sommeil.

— Il paraît que les amoureux dorment, murmura Nancy.

— Oui… quand ils sont heureux ! répondit Bavolet avec un soupir. Bonne nuit, petite.

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