Chapitre 6

Duel.

Gaëtano porta la main à son visage avec un geste de fureur terrible, et il demeura une minute ébloui, pétrifié de l’audace du page.

Souffleté par un enfant ! et sous les fenêtres de la reine, qui peut-être avait tout vu !

Gaëtano était pourtant un homme froid et railleur, calculant et pesant les moindres actes de sa vie ; peut-être qu’à une simple insulte de Bavolet il lui eût tourné le dos en riant ; – mais sa joue brûlait, il eut un accès de rage et mit l’épée au vent.

— Pas ici, monsieur, dit Bavolet avec calme ; pas sous les fenêtres de la reine de Navarre !

— Où vous voudrez ! dit sourdement Gaëtano.

Bavolet se dirigea vers l’extrémité opposée du parc et choisit un petit bouquet de coudriers à travers le feuillage desquels la lune tamisait assez de clarté pour que deux champions s’y pussent battre à l’aise, et qui, cependant, masquaient le château suffisamment pour qu’on ne pût des fenêtres soupçonner le combat.

Gaëtano l’avait suivi, et, la main sur son épée, attendait que son adversaire choisisse sa place.

— Monsieur, dit Bavolet, je suis gentilhomme, je puis donc croiser le fer avec vous.

— Peu m’importe que vous soyez ou non gentilhomme, répondit Gaëtano. Vous m’avez outragé, fussiez-vous un vilain…

— Je voulais dire qu’étant gentilhomme et parfaitement bien élevé, monsieur, je n’aurais pas eu, à la rigueur, absolument besoin de vous frapper au visage pour vous voir croiser le fer avec moi ; mais ma jeunesse eût pu vous paraître un obstacle ; peut-être vous seriez-vous contenté d’une égratignure, peut-être encore eussiez-vous joué la magnanimité, – et c’est un combat à mort, un duel sans merci que je veux.

— Comme vous voudrez ! murmura Gaëtano avec un calme farouche.

— Vous me trouverez précoce à coup sûr, monsieur, car j’ai seize ans à peine ; mais je vous hais si profondément que je voudrais que mon épée eût mille pointes au lieu d’une seule pour vous les planter toutes à la fois dans le cœur. En garde ! monsieur.

Gaëtano engagea le fer.

— Pourquoi me haïssez-vous ? demanda-t-il.

— Parce que vous aimez la reine.

— Qui vous l’a dit ?

— Qu’importe ! je le sais.

— Que peut vous faire mon amour… si cet amour existe ?

— Ah ! ah ! ricana Bavolet en portant une botte terrible à son ennemi, vous demandez ce que cela peut me faire ? je l’aime, moi aussi !

Gaëtano para le coup et ricana à son tour.

— Monsieur, continua Bavolet, après l’aveu que je viens de vous faire, vous seriez le plus stupide des fous si vous me ménagiez, si votre fer tremblait, si vous aviez pitié de moi ; – car vous devez comprendre qu’il faut que je vous tue, maintenant que vous avez mon secret et que vous êtes le seul être au monde à qui j’aie découvert la plaie saignante de mon cœur.

Et Bavolet ferraillait avec fureur en parlant ainsi.

Les deux champions étaient tous deux de bonne école, ils ne s’escrimaient point en bonds exagérés, ils ne rompaient point sans cesse pour déplacer le lieu du combat ; ils demeuraient, au contraire, calmes et immobiles, sans avancer ni reculer ; et leur poignet seul se mouvait avec une agilité merveilleuse.

Bavolet ne s’était nullement vanté, il y avait une heure, quand il prétendait qu’il boutonnait M. de Turenne neuf fois sur dix. Bavolet tirait aussi bien que madame Marguerite ; mais Gaëtano était un rude jouteur et chaque coup que lui portait le page était soigneusement paré.

L’ambassadeur avait commencé le combat avec fureur, Bavolet, au contraire, avec le calme de la haine calculée et sans trêve ; les rôles changèrent bientôt, Gaëtano reprit son sang-froid, Bavolet le perdit. Après dix minutes d’une lutte acharnée, les deux champions, sains et saufs mais hors d’haleine, s’accordèrent une trêve tacite et piquèrent leur épée en terre.

— Monsieur, dit alors Gaëtano, nous sommes d’égale force et nous pourrons continuer longtemps ainsi…

— La lune est belle, monsieur, et rien ne nous presse.

— Que gagnerez-vous à me tuer.

— Beaucoup. Je vous hais.

— Mais si je vous tue ?

— Vous me rendrez service, monsieur.

— Vous êtes un enfant. On m’accusera d’assassinat.

— Nullement ; car on me sait très fort.

— Tenez, dit Gaëtano avec calme, serrons-nous la main ; je vais vous donner ma parole que nul autre que moi ne possédera votre secret.

— Seriez-vous lâche, monsieur ?

— Vous voyez bien que non, puisque j’écoute vos insultes.

— Eh bien ! faudra-t-il vous insulter de nouveau ?

Gaëtano frémit d’impatience et releva son épée.

— Allons donc ! monsieur, fit Bavolet furieux. En garde ! ou je vous sangle de mon épée au travers du visage.

— Petit fou ! murmura Gaëtano.

Les épées s’engagèrent à mi-fer et le combat recommença plus acharné.

Mais Gaëtano attaquait mollement et se contentait de parer ; très souvent emporté par l’animosité, Bavolet commettait une faute impardonnable à un tireur de sa force, – Gaëtano n’en profitait jamais.

Complètement maître de lui, l’ambassadeur faisait les réflexions suivantes.

— Bavolet est le page favori du roi, et la reine a pour lui une affection toute maternelle ; si je le tue, le roi et la reine ne me le pardonneront pas, il me faudra quitter Coarasse, – et alors… – Alors, se dit-il, adieu nos projets, l’édifice croule par la base.

— Cordieu ! monsieur, lui cria Bavolet, vous n’attaquez plus, me feriez-vous l’insulte de m’épargner ?

— Je suis las, dit Gaëtano.

— Reposez-vous, alors. Il n’est point jour encore, et nous avons le temps.

Bavolet fit un saut en arrière, son adversaire l’imita.

Le page était sombre, son front pâle, ses lèvres crispées, le feu ardent de son regard attestaient éloquemment sa haine.

— Nous avons tout le temps, reprit-il avec fureur ; quand on se veut proprement tuer, il ne se faut point presser comme des clercs de la basoche qui dégainent au bout d’un mur et ferraillent à la hâte dans la crainte du guet. Vous tuer est le plus ardent de mes vœux, mais je ne le voudrais point faire par un coup déloyal, et je veux qu’on vous trouve occis au soleil levant selon les lois les plus rigoureuses de la science.

Bavolet, on le voit, était redevenu calme ; il raillait.

En ce moment l’horloge du château sonnait quatre heures.

— Corbleu ! pensa Gaëtano, que la peste soit du page de la reine, il est tout à l’heure trop tard pour aller rejoindre Paëz. Allons, finissons-en !

— Je suis à vos ordres, monsieur, dit-il tout haut.

— Très bien, répondit Bavolet, et tâchons de besogner comme il faut.

Ils se remirent en garde et le page poussa un vigoureux coup droit qui eût atteint Gaëtano eu pleine poitrine s’il ne se fût jeté de côté.

Le fer, cependant, lui effleura l’épaule et lui arracha un cri.

— Ah ! s’écria Bavolet, touché, enfin !

Gaëtano ne riposta point.

— Tenez, dit-il, je suis blessé, mon sang coule, ne m’exaspérez pas, bas le fer !

— Lâche ! répondit le page.

Et il attaqua de nouveau, portant toujours son terrible coup droit.

La patience n’était point la vertu dominante de M. l’ambassadeur d’Espagne.

— Ce page maudit, murmura-t-il enfin, commence à me lasser ; je ne veux pas le tuer, mais je veux m’en débarrasser ; – assommons-le !

Et Gaëtano se baissant soudain sous le fer de Bavolet qui glissa dans le vide, fit un bond jusqu’à lui, se redressa vivement et lui appliqua sur la tête un coup furieux du pommeau de son épée.

Bavolet lâcha aussitôt la sienne, étendit les bras et tomba à la renverse poussant un cri étouffé.

Gaëtano eut peur.

— Si je l’avais tué, pensa-t-il en frémissant.

Il se pencha sur lui, prit sa tête dans ses mains, et reconnut avec joie que le béret du page avait amorti le coup. À peine quelques gouttelettes de sang découlaient-elles du crâne meurtri sur les cheveux châtains de l’enfant. Bavolet n’était qu’étourdi et son état était sans gravité.

Gaëtano n’était pas blessé plus sérieusement lui-même ; il plaça son mouchoir entre son épaule déchirée et son pourpoint, remit l’épée au fourreau et s’en alla en se disant :

— La première soubrette qui passera par ici trouvera messire Bavolet et donnera l’alarme ; mais j’ai son secret, et il n’osera rien dire. Tout ceci n’est qu’un enfantillage ; allons chez le bûcheron. Paëz doit m’attendre.

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