XVIII

Après le départ du marquis de Morfontaine et de son neveu, la baronne Rupert écrivit au malheureux comte Hector de Main-Hardye la lettre suivante :

« Cher époux du ciel,

« Confiance ! mon père est parti. Il va courir nuit et jour ; il verra le roi. Tu seras gracié.

« Le général qui commande la place, bien qu’il soit ami de mon père, bien qu’il s’estime le plus malheureux des hommes d’être ainsi ton geôlier, le général est inflexible sur les règlements.

« J’ai prié, j’ai supplié vainement. Il ne me sera point permis de te voir.

« – Madame, m’a dit le général, le comte de Main-Hardye est un homme résolu, il est capable de tout mettre en œuvre pour s’échapper, et l’amour que vous avez pour lui m’est d’avance une preuve que vous seriez sa complice dans un projet d’évasion.

« J’ai protesté, on ne m’a pas crue.

« Cependant il m’est permis de t’écrire, de t’écrire chaque jour.

« J’attends mon cousin le baron de Passe-Croix ; mon père lui a écrit ; il arrivera probablement demain.

« Mon Dieu ! mon Dieu ! comme c’est loin, Paris !

« Heureusement, nous avons encore huit jours devant nous. Mon Dieu !

*

* *

« De ma fenêtre, je vois le noir donjon où tu es enfermé, mon Hector. Mes yeux sont toujours fixés sur cet horrible édifice et cherchent à en sonder la profondeur.

« Que fais-tu ? As-tu du courage et de l’espoir ?

« Oh ! je sais bien que, si tu ne m’aimais, le sourire n’aurait point abandonné tes lèvres, car tu ne crains pas la mort, car tu es noble et brave comme les lions du désert.

« Mais tu songes à ta pauvre Diane, n’est-ce pas ? et alors le cœur te manque et tu te dis sans doute que ta mort serait la mienne.

« Mais rassure-toi, ami, le roi est meilleur que tu ne crois ; et puis il aime beaucoup mon père. Il pardonnera. »

La lettre de Diane ne s’arrêtait pas là ; mais la suite ne renfermait plus qu’une longue série de ces mots du cœur, de ces phrases charmantes en leur désordre, qui composent le langage de l’amour et n’ont de sens que pour ceux qui aiment.

Cette lettre fut remise au comte de Main-Hardye sans avoir été ouverte.

Le lendemain Diane reçut de son cher Hector les lignes que voici :

« Ah ! Diane ! ma bien-aimée, ne te fais-tu pas illusion ? Ne t’exagères-tu point le cœur et la bonté de cet homme qui a spolié son roi ?

« Ton père peut beaucoup, je le sais ; mais le vent de la fatalité a soufflé sur nous, et contre la fatalité les hommes ne peuvent rien.

« Pourtant ne te désole pas trop vite, mon ange bien-aimé. Si je ne veux pas que tu t’abandonnes trop vite à l’espérance, je ne veux pas non plus que le désespoir emplisse ton âme.

« Dieu est bon, il a vu, il a protégé notre amour, il a permis que cet amour ne fût point stérile. Espérons !… On me traite ici avec les plus grands égards ; le général est venu me voir. Il est franc et un peu brutal ; il ne m’a point dissimulé qu’il ne partageait point les illusions de ton père et les tiennes.

« – Je sais pertinemment, m’a-t-il dit, que le roi est fort irrité de la résistance opiniâtre que vous avez faite ; et les gens qui l’entourent et le conseillent sont encore plus irrités que lui.

« Ne te figure point, ma Diane chérie, que je suis au cachot. Non, loin de là, on m’a donné une chambre fort claire, convenablement meublée ; j’ai des livres, du papier, des journaux. On me traite en ami, mais je suis prisonnier, je suis condamné à mort.

« Écoute, Diane, ma bien-aimée, je vais te faire une confidence. On m’a fouillé assez négligemment lorsque je suis entré ici, et on m’a laissé un joli petit poignard dont la lame a deux pouces de longueur.

« Ne frémis pas, ma Diane adorée, je ne me tuerai que si ma grâce est refusée. Mais, vois-tu, je ne veux pas leur laisser cette satisfaction dernière de me fusiller en plein soleil, comme un déserteur, comme un soldat qui a manqué à ses devoirs. Je sais que tu es forte au besoin, n’es-tu pas une noble fille de Vendée ?

« Eh bien ! ton époux te le demande à genoux : si ton père revient désespéré, si le roi a refusé, si je dois mourir, tu me l’écriras, n’est-ce pas ? Tu me l’écriras assez tôt pour que j’aie le temps de me tuer.

« Je veux que tu me fasses cette promesse, ma Diane bien-aimée… Je le veux.

« Ton Hector »

Madame la baronne Rupert répondit un seul mot :

« Je te le jure ! »

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