Tandis que s’accomplissaient les événements que nous venons de raconter, une autre scène non moins dramatique et poignante se déroulait à l’hôtel Artoff, rue de la Pépinière.
Le comte, on s’en souvient, était sorti à cheval de chez lui, vers midi, après son déjeuner.
Depuis deux jours qu’il était arrivé, le comte, Français de mœurs, d’habitudes et presque de cœur, ne pouvait se rassasier de son Paris. La veille, il était resté hors de chez lui, depuis le matin jusqu’à l’heure du dîner.
Ce jour-là, donc, en le voyant partir, Baccarat lui dit en souriant :
– Va, mon ami, je te donne congé jusqu’à l’heure du dîner.
Et Baccarat était sortie elle-même pour faire divers achats.
Elle rentra vers trois heures. Alors seulement elle apprit que le comte avait renvoyé son cheval et pris un coupé de remise. Cette circonstance lui parut singulière ; mais enfin elle n’y attacha qu’une médiocre importance.
Une heure après, une lettre arriva.
Cette lettre n’était point celle que le comte Artoff avait écrite chez M. d’Asmolles : c’était un billet de M. Roland de Clayet.
Roland était demeuré chez lui jusqu’à cinq heures, et puis, ne voyant rien venir, il avait écrit à Baccarat l’ébouriffante lettre que voici :
« Mon cher ange,
« Celui qui vous aime est sur des charbons ardents depuis une heure. La peur de vous trouver morte m’empêche seule de courir chez vous.
« Pourvu qu’il ne se soit point porté à d’infâmes violences ! Il sort d’ici. Nous nous battrons demain. Ah ! mourir pour vous serait pour moi la plus glorieuse des morts, si je ne craignais pour vous, après mon trépas.
« J’aurai le courage de vaincre pour vous protéger…
« Un mot, un seul, au nom du Ciel !
« ROLAND DE CLAYET. »
Cette lettre avait été apportée par le valet de chambre de M. de Clayet.
L’émissaire de Rocambole était entré d’un air cauteleux dans la cour de l’hôtel ; puis, avisant un jeune groom qui brossait des harnais, il était allé à lui et lui avait mis deux louis dans la main.
– Madame la comtesse est-elle seule ? avait-il demandé d’un ton de mystère.
– Elle vient de rentrer, répondit le groom.
– Peux-tu lui remettre cette lettre sur-le-champ ?
– Donnez…
– À elle… seule ?…
– Mais oui… donnez… De quelle part ?
– De la part de sa sœur, répondit le valet, qui avait sa leçon faite.
Le groom monta la lettre.
– De la part de madame Rolland, avec ordre de ne la remettre qu’à madame la comtesse, dit-il.
Baccarat jeta les yeux sur la suscription et fut très étonnée de ne pas reconnaître l’écriture de sa sœur. Elle allait en briser le cachet lorsque le roulement d’une voiture se fit entendre dans la cour. La comtesse crut que c’était son mari, et, au lieu d’ouvrir la lettre, elle courut à la croisée, regarda, et fut fort étonnée de voir le coupé de sa sœur s’arrêter devant le perron et Cerise en descendre.
– Comment ! se dit-elle, elle m’écrit et elle vient me voir en même temps… mais elle est folle !
Et, négligeant toujours d’ouvrir la lettre, elle courut à la rencontre de madame Rolland.
Les deux sœurs s’embrassèrent.
– Viens donc, chère étourdie, fit Baccarat, entraînant Cerise dans son boudoir, viens m’expliquer pourquoi tu m’arrives en même temps qu’une lettre de toi.
– Une lettre !… exclama Cerise étonnée.
– Et pourquoi tu me fais écrire au lieu de prendre la plume toi-même.
– Mais je ne t’ai pas fait écrire !
Baccarat prit la lettre sur le marbre blanc de la cheminée :
– Vois plutôt, dit-elle ; on m’apporte cela, à l’instant même, de ta part.
– De… ma part ?
Et Cerise parut si étonnée, que Baccarat brisa le cachet de la lettre en s’écriant :
– C’est réellement trop fort.
Elle ouvrit le billet, courut à la signature et lut :
« ROLAND DE CLAYET. »
De plus en plus étonnée, elle revint à la première page, lut, jeta un cri de stupeur et pâlit.
– Ô mon Dieu ! dit-elle, est-ce que je rêve ?…
La lettre lui échappa des mains.
Cerise la ramassa, lut à son tour et murmura :
– Mais c’est incompréhensible !
Et les deux femmes se regardèrent, et Baccarat, un moment étourdie, s’écria avec véhémence :
– Mais je connais à peine cet homme !… il ne m’a jamais baisé la main !…
– Ah ! murmura Cerise, je te crois, je te crois, ma sœur ; mais cet homme est fou, ou bien… que veut-il dire ? Quel est celui dont il parle… qui l’a provoqué, avec qui il se bat…
– Je deviens folle ! exclama la comtesse éperdue.
En ce moment, la porte s’ouvrit et le valet de chambre apporta une lettre qu’un commissionnaire de coin de rue venait de lui remettre.
– De la part de M. le comte, dit le valet, qui avait reconnu l’écriture de son maître.
Baccarat la prit en tremblant, la lut et tomba à la renverse en jetant un grand cri.
On eût dit que cette lettre venait de la foudroyer.
Un quart d’heure après, revenue à elle, mais toujours folle de douleur, Baccarat disait à sa sœur d’une voix pleine de sanglots :
– Viens, viens chez cet homme… viens… il faut que je le voie, il le faut !… Ô mon Stanislas bien-aimé !… ô mon époux !… oh ! le misérable !… Ah… cette écriture… mon écriture contrefaite… Mon Dieu !… mon Dieu !…
Et la comtesse, éperdue, affolée, chancelante et soutenue par sa sœur, se jeta dans la voiture de Cerise, et cria au cocher :
– Rue de Provence, au galop, vous n’irez jamais assez vite…
Cerise était montée auprès de sa sœur et elle lui tenait les mains, la regardant avec épouvante, car Baccarat semblait être devenue tout à fait folle.
Le cocher fouetta son cheval, une noble bête qui bondit et s’élança dans la direction de la rue de Provence. Pendant le trajet, la comtesse eut les dents serrées, l’œil fixe et égaré ; elle ne prononça que des mots inarticulés et sans suite.
– Attends-moi, reste dans la voiture, lui dit Cerise, je ne veux pas que tu montes. Je veux voir cet homme toute seule… je veux l’amener à tes genoux, là, dans la rue.
Baccarat ne répondit pas ; elle fondit en larmes, se contenta de faire un signe d’assentiment, et demeura anéantie au fond du coupé.
Cerise s’élança dans l’escalier, quand on lui eut indiqué l’étage ; elle arriva à la porte de Roland et sonna avec agitation.
Le valet n’était point rentré, et ce fut Roland lui-même qui vint ouvrir.
À la vue d’une inconnue il recula stupéfait.
– M. de Clayet ? dit Cerise.
– C’est moi, madame.
Cerise entra et ferma la porte.
– Monsieur, lui dit-elle rapidement et comme si son agitation eût doublé la vitesse de sa parole, je me nomme madame Léon Rolland.
Roland fit un geste de surprise.
– La sœur de la comtesse !… ah !… entrez, madame, entrez…
– Ma sœur, continua Cerise, est en bas… dans ma voiture…
– Vivante ! saine et sauve ! s’écria Roland avec l’accent de la joie !… Ah ! merci, merci, madame.
– Elle est en bas… poursuivit Cerise stupéfaite, elle est mourante… folle… elle ne sait pas ce que veut dire votre lettre.
– Oh ! mon Dieu, murmura Roland, qui crut devoir lever les yeux au ciel… le comte n’était pas rentré… et elle… ne… savait pas…
– Elle ne comprend ni votre lettre, continua Cerise, dont la stupeur allait croissant, ni celle de son mari.
Et Cerise tendit la lettre du comte à Roland, qui la lut.
– Hélas ! mon Dieu ! soupira-t-il avec un calme qui lui parut très convenable, je comprends l’émotion de la pauvre femme… sa terreur… Mais je suis là, madame… je la protégerai… je l’aime !
– Monsieur ! s’écria Cerise, qui sentait le vertige la gagner, ou il y a dans tout cela un infâme quiproquo, ou vous êtes le plus infâme, le plus lâche des hommes… Ma sœur vous connaît à peine… ma sœur ne vous a jamais aimé… elle n’a jamais été…
– Ah ! pardon, dit Roland avec sang-froid et interrompant Cerise, il paraît que Louise ne vous a pas fait ses confidences, et je vois que j’ai fait, moi, une bévue… J’aurais dû comprendre… ou plutôt avoir l’air de ne pas comprendre… Mais enfin, madame, je ne puis pas me laisser ainsi traiter de lâche, d’infâme, et vous me forcez à vous dire que votre sœur a été bonne pour moi, que depuis huit jours elle me reçoit à Passy, dans une petite maison mystérieuse… elle est venue ici trois fois… elle…
Cerise jeta un cri, s’imagina qu’elle avait affaire à un fou, et elle s’enfuit, descendit l’escalier en courant, ouvrit la portière du coupé et saisit sa sœur à demi morte par le bras.
– Mais viens donc, lui dit-elle, viens !… il dit que tu l’as reçu à Passy, dans une maison mystérieuse… que tu es venue ici… chez lui… Cet homme est fou !…
Ces mots galvanisèrent Baccarat et lui rendirent une incroyable énergie. Elle s’élança hors du coupé, et, suivant sa sœur, elle monta, en courant, l’escalier.
Roland était encore sur la porte.
Il vit la comtesse, jeta un cri de joie, et courut à elle et voulut la serrer dans ses bras.
– Ah ! Louise !… chère Louise ! murmura-t-il.
Baccarat le repoussa, indignée, hors d’elle-même.
– Vous êtes lâche ou vous êtes fou ! lui dit-elle. Jamais vous n’avez eu le droit de m’appeler Louise.
– Ma chère amie, répondit Roland d’un ton affectueux et dégagé, je ne suis ni fou, ni lâche… je suis maladroit, j’ai cru que votre sœur savait tout.
– Tout !… exclama Baccarat. Mais que peut-elle savoir ?… que voulez-vous dire ?… A-t-il jamais rien existé entre nous ?
Roland baissa la tête.
– À mon tour, dit-il, je pourrais vous demander si vous êtes folle… ou bien si vous voulez jouer la scène bien connue de Richelieu avec mademoiselle de Belle-Isle, dans la pièce de ce nom…
Baccarat se laissa tomber sur un siège.
– Oh ! cet homme est infâme ! murmura-t-elle en cachant sa tête dans ses mains.
– Voyons, chère amie, poursuivit Roland avec l’accent de la conviction, car le visage bouleversé de Baccarat lui enlevait la seule différence que l’œil le plus clairvoyant eût pu établir entre elle et la fausse comtesse Artoff, c’est-à-dire un peu plus de jeunesse ; voyons, chère amie, songez que Richelieu était dans l’obscurité, tandis que… moi… à Passy… chez vous… chez moi… Tenez… reconnaissez-vous ce coussin ?… Avant-hier, quand vous êtes venue, je me suis agenouillé dessus devant vous.
À ces derniers mots, Baccarat se redressa, écumante, échevelée, l’œil en feu. Elle leva sa main gantée, et elle allait frapper Roland au visage, lorsque Cerise arrêta son bras.
Un éclair venait d’illuminer la pensée de Cerise.
– Ah !… je comprends tout, dit-elle, je comprends tout… cette femme… qui te ressemble…
À son tour, Baccarat jeta un cri.
– Oh ! mon Dieu ! dit-elle, si c’était vrai !… si…
Et l’altière comtesse, qui venait de lever la main pour souffleter l’homme qui l’insultait, devint tout à coup humble, suppliante…
Elle prit Roland par la main, elle l’entraîna vers la croisée, exposa son visage au jour et lui dit :
– Mais regardez-moi bien, monsieur, regardez-moi et dites-moi qu’il y a une femme qui me ressemble… une femme que vous avez prise pour moi… qui m’a volé mon nom… qui a imité mon écriture… Regardez-moi… je vous en supplie, je vous le demande à genoux !…
Ces mots avaient une telle empreinte de vérité, un tel accent de conviction qu’ils émurent Roland et le firent tressaillir.
– Oh ! mais non, dit-il enfin, non, c’est impossible… c’est vous… c’est bien vous… c’est votre voix… votre visage… vos yeux… vos cheveux… Et puis, tenez, vos lettres… celles que la femme de chambre écrivait… celle-là… celle d’hier matin…
Et il tendit à la comtesse cette lettre écrite par Rebecca, dictée par Rocambole, et dans laquelle elle lui racontait tout ce qui s’était passé entre elle et son mari, à son retour du cercle.
Cette lettre acheva de faire perdre la tête à Baccarat. Pour la seconde fois, elle jeta un cri de suprême angoisse, et tomba évanouie sur le parquet. Roland et Cerise la prirent dans leurs bras, la jeune femme criant et appelant, Roland ému et vivement ébranlé dans sa conviction.
Au bruit, aux cris, les domestiques de l’appartement voisin accoururent et offrirent leurs soins.
– Dans ma voiture ! s’écria Cerise ; emportez-là ! aidez-moi, je ne veux pas la laisser ici !
Et, aidée de Roland, aidée de ces gens qui ne savaient trop quelle était la cause première de cette étrange scène, Cerise fit descendre sa sœur dans le coupé et l’emporta évanouie, criant au cocher :
– Chez moi.
Cerise voulait garder sa sœur, Cerise voulait la soustraire à la première fureur du comte.
Mais avant de quitter Roland, elle lui avait dit :
– Monsieur, vous viendrez chez moi, n’est-ce pas ?… dans une heure… il le faut !… je vous en supplie… Il y a là un horrible mystère qu’il faut éclaircir à tout prix.
– J’irai, avait répondu Roland, qui commençait à se demander si, lui aussi, n’était pas fou…
Or, tandis que le coupé de madame Léon Rolland quittait la rue de Provence, un homme sortit d’un fiacre qui stationnait depuis quelque temps à cinquante pas de distance, paya le cocher et entra dans la maison d’où sortaient Baccarat et Cerise…
Cet homme n’était autre que Rocambole.
– Hé ! hé ! se dit-il en gravissant l’escalier de Roland, l’entrevue a dû être drôle…
Il trouva Roland anéanti.
– Mon cher ami, dit le marquis de Chamery, paraissant attribuer à une tout autre cause l’espèce de prostration qui s’était emparée de Roland depuis que le doute avait pénétré dans son esprit, mon cher ami, je sais tout ce qui est arrivé. Le comte Artoff sait tout, il est venu ici et il vous a provoqué ?
– Oui, dit Roland.
– Vous vous battez demain ?
– Oui.
– Vous trouverez donc tout naturel que je vienne vous voir. Le comte Artoff est venu voir Fabien, il l’a contraint à lui tout avouer ; mais c’est votre ami Octave qui a fait tout le mal…
– Mon cher, répondit Roland, sans paraître attacher aucune importance à ce que lui disait Rocambole, la comtesse Artoff sort d’ici…
– Ciel ! s’écria Rocambole, elle a osé…
– Et tenez, j’ai cru que j’allais devenir fou…
Et Roland raconta à son visiteur tout ce qui venait de se passer et termina ainsi :
– C’est à n’y pas croire… et il est impossible qu’une ressemblance pareille puisse exister… et cependant, la comtesse pleurait… se tordait les mains… elle s’est mise à mes genoux… Oh ! acheva Roland, pris d’un mouvement de remords et se repentant de ses indiscrétions passées, j’ai été bien léger, coupable même ; mais si j’avais été dupe d’une comédie, si une femme ressemblait aussi parfaitement à la comtesse… Tenez, je me brûlerais la cervelle de désespoir.
Rocambole avait écouté froidement et jusqu’au bout sans interrompre Roland.
Quand il eut fini, il le regarda en souriant et lui dit :
– Quel âge avez-vous, Roland ?
– Vingt-quatre ans. Pourquoi ?
– Vous êtes jeune, mon ami, et je vois que vous manquez de pénétration et d’expérience. Vous ne connaissez pas les femmes.
– Mais, balbutia Roland, que voulez-vous dire ?
– Je veux dire que la comtesse et sa sœur sont des femmes très fortes, et qu’elles vous ont roulé.
– Roulé ! moi ?
– Je maintiens le mot. Il n’y a pas de fausse comtesse Artoff, il n’y en a qu’une vraie, une seule qui vous a aimé huit jours, et que vous avez eu le tort de compromettre, et dont vous vous êtes fait une mortelle ennemie en deux heures.
– Oh ! s’écria Roland, ce que vous dites là…
– A besoin d’une explication un peu longue et je vais vous la donner. Écoutez-moi bien.
– Parlez, dit Roland.
– Le comte a tout appris. Au lieu de rentrer chez lui, il a écrit à sa femme. Alors sa femme est accourue ici accompagnée de sa sœur, et elles ont médité pendant le trajet la scène qu’elles viennent de vous jouer. Vous voyez qu’elles ont réussi, puisque, à l’heure qu’il est, vous êtes persuadé qu’il y a une femme qui ressemble trait pour trait à la comtesse. Or, si je n’étais venu, voici ce qui fût arrivé : votre conviction s’enracinant de plus en plus, vous seriez arrivé demain sur le terrain et vous auriez dit au comte :
« – Monsieur, je vous fais mes excuses. Je n’ai jamais connu la comtesse, et je suis dupe comme vous d’une épouvantable comédie. Tuez-moi, si vous voulez ; mais, en homme d’honneur, en homme qui va mourir, je vous jure que la comtesse est innocente.
« Alors, vous comprenez, le comte aurait jeté son épée, le duel n’aurait pas eu lieu, et vous vous seriez mis tous les deux à la recherche de ce sosie imaginaire. Trois ou quatre jours se seraient écoulés en vaines recherches, car on ne trouve pas ce qui n’existe pas…
– Et la maison de Passy ?
– Bah ! la connaissez-vous, savez-vous où elle est ? On vous y a toujours conduit dans une voiture à glaces dépolies. Qui vous dit que cette maison est à Passy plutôt qu’à Auteuil ?
– C’est juste, murmura Roland.
– Or, acheva Rocambole, pendant ces trois ou quatre jours, la fureur du comte se serait atténuée, et comme un mari a toujours intérêt à croire sa femme innocente, ces trois jours auraient suffi à la comtesse pour se faire blanche comme neige.
– Mais enfin, on n’aurait pas retrouvé la femme, et alors…
– Alors, mon cher, dit Rocambole, la comtesse aurait démontré à son mari, clair comme le jour, que si elle était innocente, vous étiez peut-être le seul coupable, et que vous aviez intérêt à ne point retrouver la fausse comtesse afin de laisser planer un doute éternel sur cette affaire dans l’esprit de beaucoup de gens qui demeuraient persuadés que c’était bien réellement elle que vous aviez aimée et que vous aviez ainsi sauvée par un pieux mensonge.
– Mais c’est infâme, cela ! s’écria Roland.
– Mais non, dit Rocambole, c’est de la diplomatie féminine. Une fois que le comte aurait été bien convaincu de cette idée, il vous aurait provoqué de nouveau et vous aurait tué au grand contentement de la comtesse, qui ne vous pardonnera jamais vos indiscrétions.
– Mais c’est vrai, ce que vous dites, murmura Roland, et vous aviez raison, j’ai été roulé.
« Aussi, la comtesse et sa sœur peuvent attendre, je les hais et les méprise, et demain je me battrai avec le comte.
– Et défendez bien votre peau, dit le marquis.
– Soyez tranquille.
Lorsque Rocambole eut quitté Roland, celui-ci écrivit à Cerise :
« Madame,
« Veuillez m’excuser si je ne vais pas chez vous, ce soir, comme c’était convenu ; mais je viens de pénétrer les motifs de la petite comédie que cette bonne et spirituelle Louise avait imaginée et jouée tout à l’heure.
« Vous comprendrez donc, madame, l’inutilité d’une nouvelle entrevue.
« Je vous baise les mains et je l’aime toujours.
« ROLAND. »
Roland donna la lettre à porter, s’habilla et sortit.
– Ma foi ! se dit-il, après tout, je pourrais être tué demain, je mourrais désolé de n’avoir pas serré une dernière fois la main à mes amis.
Et Roland prit le chemin de son cercle.