Il y eut entre cet homme qui venait de narrer cette histoire et celui qui l’avait écouté un moment de terrible silence.
Le marquis, d’un tempérament sanguin et apoplectique, était comme foudroyé.
Rocambole le regardait et avait peur. Il avait peur que le marquis n’eût un coup de sang et ne mourût… Et la mort du marquis, c’était la ruine des plus chères espérances des Valets-de-Cœur, c’était la perte des cinq millions promis par Daï-Natha à sir Williams.
Mais, semblable à ce taureau que la lance du toréador a renversé sans l’anéantir à jamais, et qui se relève tout à coup plus fort et plus furieux, le marquis fit un violent effort, secoua son étourdissement, et se redressa calme et énergique comme le sont les hommes du Nord.
– Monsieur, dit-il à Rocambole, Daï-Natha, ma cousine, vous a-t-elle nommé le poison qu’elle avait pris ?
– Oui, monsieur.
– Quel est-il ?
– C’est du fruit du mancenillier réduit à l’état d’extrait et mélangé de feuilles d’upah.
– C’est bien cela ! dit le marquis. Et, ajouta-t-il pensif, Daï-Natha avait raison, il n’y a au monde qu’un seul et unique remède contre ce poison, – un remède qu’on ne trouve qu’aux Indes…
Alors le marquis, cet homme tout à l’heure foudroyé, frappé de stupeur, pour lequel Rocambole avait craint un moment un coup de sang, à qui il était venu dire : « Il y a dans Paris une femme qui vient de s’empoisonner pour vous » cet homme se rassit tranquillement dans son fauteuil et poursuivit avec ce flegme tout hollandais :
– Ce contre-poison, monsieur, est une pierre bleue excessivement rare et qu’on ne trouve que dans le corps d’un reptile appelé le serpent noir. Ce serpent a la tête triangulaire comme la vipère, le dos noir, le ventre d’un jaune d’or éclatant. On ne le rencontre que fort rarement, et encore n’est-ce pas dans les environs de Lahore et de Visapour. Tous les serpents noirs, du reste, ne possèdent point dans leurs entrailles la précieuse pierre bleue ; un sur dix peut-être la renferme dans ses flancs. Une pierre de serpent noir, ajouta M. Van-Hop dont le calme ne se démentait point, se paye aux Indes jusqu’à deux mille livres sterling, et vous comprenez qu’il n’est pas à la portée de tout le monde de pouvoir se la procurer.
À son tour, Rocambole regardait le marquis, et paraissait stupéfait de ce sang-froid qu’il n’avait certainement pas prévu.
Le marquis continua, après avoir pris les pincettes pour arranger le feu, ce qu’il fit avec une habileté merveilleuse :
– Lorsque, soit volontairement, soit par mégarde, une personne est empoisonnée avec le fruit, la feuille ou le jus du mancenillier, il n’est pas d’autre remède que la pierre bleue. On la met dans un verre d’eau, où elle se dissout lentement, lui donnant sa couleur, et on fait avaler ce breuvage à la personne empoisonnée. C’est un moyen sûr, infaillible de paralyser l’action du poison ; mais il faut pour cela que le poison ait eu le temps de s’infiltrer dans toutes les veines et de se mêler à la masse du sang. Il faut donc attendre le sixième ou le septième jour.
– Monsieur, interrompit Rocambole avec une certaine vivacité, permettez-moi de vous manifester tout mon étonnement.
– Pourquoi ? demanda flegmatiquement le marquis.
– Mais, dit Rocambole, parce que je viens vous apprendre que miss Daï-Natha Van-Hop vient de s’empoisonner ; que vous êtes la cause, innocente il est vrai, de ce suicide ; que vous savez aussi bien que moi qu’il n’est qu’un seul remède à son mal, que ce remède est introuvable en Europe, et qu’au lieu de vous désoler et de perdre la tête, vous me racontez fort tranquillement comment on se procure ce remède et comment on l’emploie.
Un sourire vint aux lèvres du marquis.
– Monsieur, répondit-il, un mot fera cesser votre étonnement.
– J’attends ce mot, dit Rocambole.
– Daï-Natha s’est trompée, reprit le marquis, en vous disant que la pierre bleue était introuvable à Paris.
Et le marquis étendit sa main gauche et la montra complaisamment à son interlocuteur. La main du marquis portait au petit doigt une grosse bague, ornée d’une pierre qui ressemblait à s’y méprendre à une turquoise.
– Voilà, dit-il, une pierre bleue, une pierre de serpent noir. Je l’ai rapportée des Indes, il y a douze ans, et je ne m’attendais pas, cependant, à ce que, un jour, elle me servirait à rendre la vie à ma chère Daï-Natha.
Alors le marquis se leva.
– Monsieur, acheva-t-il, voulez-vous me conduire chez ma cousine ?
Rocambole s’inclina.
Le marquis prit un manteau, son chapeau et sa canne, et il descendit suivi de Rocambole, dans la cour, où attendait le tilbury du fringant vicomte.
– Monsieur, reprit alors le marquis, toujours calme, toujours froid, comme un véritable Hollandais, je suis forcé de vous donner quelques explications, car vous pourriez me croire odieux et ingrat, alors que je ne suis que simplement malheureux.
Rocambole se tut et parut attendre les explications du marquis.
Celui-ci continua :
– Il y a environ treize ans, je m’embarquai à la Haye pour faire le tour du monde. Je touchai d’abord à la Havane espagnole, et j’y fus admis dans une famille de planteurs parmi laquelle je vécus plusieurs mois. Cette famille était celle de Pepa Alvarez, une femme que vous connaissez, et qui est devenue la marquise Van-Hop. Je partis de la Havane pour les Indes, aimant Pepa Alvarez et me croyant aimé d’elle, et je lui promis de l’épouser. J’arrivai aux Indes chez mon oncle, le père de Daï-Natha. Daï-Natha s’éprit d’une folle passion pour moi, et elle voulut m’épouser. Hélas ! mon cœur ne m’appartenait plus, ma parole était engagée, et je retournai à la Havane, où j’épousai Pepa. Maintenant, monsieur, foi d’honnête homme, j’ai vécu douze années heureux de l’amour de ma femme, heureux par celui que j’avais pour elle, et persuadé que Daï-Natha m’avait oublié. Jugez de ma stupeur en vous écoutant tout à l’heure.
– Monsieur, répondit Rocambole, vous êtes en effet plus malheureux que coupable, et je vous plains du fond de mon cœur.
Le marquis tressaillit, car les paroles du vicomte avaient l’accent mystérieux d’une lugubre prophétie.
– Je vous plains, reprit Rocambole, car vous êtes la cause innocente de la mort de cette pauvre Daï-Natha.
– Oh ! dit le marquis, elle ne mourra point, je vous le jure.
– Elle mourra.
– Vous oubliez la pierre bleue.
Rocambole hocha la tête.
– Non, dit-il, mais elle ne voudra point en faire usage.
– Je saurai l’y forcer.
– Je ne vois, pour obtenir un pareil résultat, qu’un seul moyen, monsieur.
– Voyons, dit le marquis.
– C’est que vous veniez à l’aimer.
Le marquis eut un sourire triste.
– On n’aime pas deux femmes à la fois dit-il, et…
– Et ?… demanda Rocambole.
– J’aime ma femme, dit gravement le marquis, je l’aime comme au premier jour de notre union… ardemment et saintement, comme elle mérite d’être aimée. Mais je sauverai Daï-Natha… je l’aimerai comme une sœur, ajouta le marquis avec un accent naïf et profondément affectueux qui révélait un noble cœur ayant conservé toute la généreuse chaleur de la jeunesse, en dépit de ce masque de froideur répandu sur ses traits.
Comme il achevait, le tilbury du vicomte entra dans l’avenue Gabrielle et s’arrêta bientôt à la grille du petit hôtel.
L’hôtel de miss Van-Hop avait deux entrées et non point un seul perron au milieu de la façade. Deux pavillons en saillie renfermaient chacun la cage d’un escalier.
Rocambole était entré par celui de gauche deux heures plus tôt ; il avait traversé un vestibule, gravi un escalier, suivi un long couloir et pénétré dans une pièce où tout rappelait l’Extrême-Orient et la religion des ancêtres maternels de Daï-Natha, qui n’avait jamais été chrétienne que de nom, tandis qu’elle croyait fermement aux mystères du culte de Bouddha.
Le valet cuivré qui avait introduit le vicomte par le pavillon de gauche le conduisit, au contraire, le voyant avec le marquis, vers le pavillon de droite.
Là, l’Inde superstitieuse et ses peintures bizarres disparaissaient. Ce n’était plus l’entrée d’une pagode, c’était celle d’un hôtel, d’un ravissant hôtel comme on en voit aux Champs-Élysées et dans les rues neuves du Faubourg Saint-Honoré ; avec un bel escalier jonché de peaux de tigre fixées à chaque marche par une baguette en cuivre doré ; orné de blanches statues à chaque repos, et garni de distance en distance de caisses de fleurs et d’arbustes rares.
Le valet introduisit les visiteurs dans un grand et beau salon dont l’ameublement était une réunion de merveilles, et leur indiquant une des causeuses placées aux deux côtés de la cheminée, il leur dit en anglais fort pur :
– Je vais prévenir miss.
Et il sortit, emportant la carte du marquis.
Quelques minutes après, pendant lesquelles M. Van-Hop, malgré sa douloureuse préoccupation, ne put s’empêcher d’admirer un superbe Murillo appendu au-dessus d’un coffre d’ébène ; quelques minutes après, disons-nous, un froufrou de robe de soie se fit entendre, un pas léger glissa sur le tapis, une portière s’écarta…
Une femme parut. Cette femme, ce n’était plus, et c’était cependant encore Daï-Natha… C’est-à-dire que l’Indienne, la petite-fille des vieux nababs, la superstitieuse enfant de l’Orient, qui avait ses ancêtres maternels dans les bassins de son vestibule sous la forme de petits poissons rouges, avait tout à fait disparu. Elle ne portait plus sa robe orientale aux dessins fantastiques, toute garnie d’amulettes, et ses bracelets d’or, et ses babouches d’un rouge éclatant. Elle était vêtue d’une robe à demi montante, d’une étoffe de soie de couleur mauve ; ses belles mains étaient gantées ; son bras, d’un galbe très pur, dépouillé de tout ornement, sortait à demi nu d’un flot de dentelles. Ses noirs cheveux étaient aplatis sur ses tempes en deux larges bandeaux, et n’avaient pour toute parure qu’une touffe de camélias rouges, coquettement disposés par un habile coiffeur.
La fille de l’Inde s’était métamorphosée en une éblouissante lady, qui n’avait conservé de son affinité avec la race jaune que son teint d’un brun doré, qui pouvait, à la rigueur, la faire prendre pour une Italienne ou une Espagnole. Ainsi vêtue, ainsi parée, la fille des nababs pouvait rivaliser de beauté et d’éclat, de décence et de noble simplicité avec la marquise Van-Hop, sa rivale.
Le marquis demeura un peu ébloui.
Il avait cru retrouver une petite fille à demi sauvage, au visage d’une prêtresse par la passion, à l’expression sinistre d’une prêtresse qui vient de vouer sa vie aux superstitions de sa religion nébuleuse ; et il se trouvait face à face avec une femme pleine de distinction et qui baissait modestement les yeux.
Elle salua ses visiteurs de la main, puis elle s’approcha du marquis :
– Mon cousin, lui dit-elle en anglais, car elle ne parlait que cette langue, je vous remercie de votre empressement.
Elle lui donna sa main à baiser avec l’aisance d’une duchesse du faubourg Saint-Germain, et ajouta :
– Me ferez-vous la grâce de quelques minutes d’entretien et de tête-à-tête ?
Le marquis s’inclina.
– Vous permettez, mon ami, n’est-ce pas ? fit-elle en se tournant vers Rocambole.
Rocambole répondit par un muet salut.
Alors l’Indienne prit le marquis par la main.
– Venez ! lui dit-elle.
Elle lui fit quitter le salon et l’emmena au fond d’un petit boudoir voluptueux et coquet, véritable nid de Parisienne.
Une portière qui retomba derrière eux les sépara pour un moment du reste du monde.
– Mon cousin, dit l’Indienne en le faisant asseoir auprès d’elle, sur un étroit tête-à-tête, je vous remercie ; je vous ai appelé… vous êtes venu.
– Ma cousine…
– Chut ! fit-elle en posant son joli doigt sur ses lèvres, ne m’interrompez pas…
– Je vous écoute, murmura-t-il, commençant à croire, tant elle était souriante et calme, que le vicomte l’avait mystifié, et que rien n’était moins sérieux que l’histoire du poison.
– Mon cher cousin, mon pauvre Hercule, fit-elle avec un peu de tristesse, – le marquis, comme beaucoup de Hollandais, se nommait Hercule, – mon pauvre Hercule, reprit-elle, lorsque vous arrivâtes aux Indes, chez mon père, il y a douze ans, j’étais une enfant, une enfant superstitieuse, ignorante, ne sachant rien de la vie et des orageuses passions du cœur… Vous étiez jeune, vous étiez beau ; mon père m’avait dit souvent que vous deviez être mon mari… je vous aimais…
– Ma cousine…
– Ah ! dit-elle en le menaçant du doigt, vous m’avez promis de ne pas m’interrompre…
Et elle continua :
– Je vous aimai, mon cousin, ne sachant pas que votre cœur était déjà donné, que vous aviez engagé votre parole. Quand vous partîtes, j’espérai votre retour prochain. Je comptai les mois, les jours, les heures… Les heures, les jours, les mois, puis les années passèrent. Vous ne revîntes pas. Puis j’appris la vérité… Oh ! ce jour-là, j’étais encore la sauvage fille des vieux bouddhistes ; alors, ce jour-là, si la mer n’eût été entre nous, je crois que je serais venue poignarder cette femme que vous aimiez !
Un éclair jaillit des yeux de Daï-Natha et fit frémir le marquis.
Mais à cet éclair succéda un sourire.
– Ne craignez rien pour elle, dit-elle, je suis une femme du monde civilisé. Ce qui reste encore en moi de ce sang indien, bouillant comme la lave des volcans, je l’ai tourné contre moi seule… et moi seule en ai été victime… Mais j’ai voulu vous voir, mon cousin, vous voir une dernière fois, pour vous dire que, de ces douze années qui viennent de s’écouler, pas une heure, pas une minute, ni les événements les plus terribles n’ont pu détacher de vous ma pensée. Je vous ai aimé pendant douze ans, vous suivant de ce regard du souvenir, le plus perçant des regards, à travers les mers, au-delà des océans, au milieu de votre vie…
Daï-Natha parlait le langage vrai, sans éclats, sans colère, de la passion profonde et que rien ne saurait éteindre.
Le marquis l’écoutait le cœur serré, et la contemplait avec un douloureux étonnement.
Elle reprit avec plus de calme :
– L’amour que j’avais au cœur, mon ami, ressemble à une de ces maladies qui désespèrent la science et accomplissent lentement leur œuvre de destruction. Il est venu un moment où le vase rempli a débordé, où je me suis inclinée, brisée sous le fardeau… où j’ai eu horreur de la vie… Ce jour-là, mon ami, c’était hier… Ce matin j’ai renoncé à traîner plus longtemps une existence misérable et sans repos…
Elle tira un petit flacon de son sein et le tendit au marquis.
Le marquis, pâlissant, reconnut alors que le flacon contenant une liqueur rougeâtre, ainsi que l’avait dit Rocambole, était à moitié vide.
Elle se prit à sourire :
– J’ai bu, dit-elle, je serai morte dans huit jours.
– Non, s’écria le marquis avec une subite explosion de tendresse, non, tu ne mourras pas, Daï-Natha, mon amie, ma sœur !… Tu ne mourras pas, car, vois…
Et il lui montra sa main.
– Vois cette bague, dit-il. C’est la pierre bleue du serpent noir… le remède infaillible…
Et il prit dans ses mains les mains de Daï-Natha, et poursuivit :
– Nos pères étaient frères, chère Daï-Natha, nos pères s’aimaient… Pourquoi ne nous aimerions-nous pas ?
Elle poussa un cri de joie étrange.
– Pourquoi ne serais-tu pas ma sœur ? acheva le marquis.
Daï-Natha pâlit. Puis elle redevint froide, calme, immobile ; l’éclair de ses yeux s’éteignit.
– Vous êtes fou, dit-elle. Vous venez parler d’affection fraternelle à la femme qui meurt d’amour pour vous !
Ces mots atterrèrent M. Van-Hop.
Alors elle poursuivit, retrouvant sa voix douce et triste :
– Jetez cette pierre, mon ami ; elle ne sauvera point Daï-Natha, parce que Daï-Natha ne veut pas être sauvée…
Le marquis se mit à genoux.
– Au nom du ciel, murmura-t-il, au nom de votre père, et du mien… au nom des liens du sang !…
– Les liens du sang ont parlé en moi, reprit-elle, car je viens de vous instituer, par testament, mon légataire universel, et je vous laisse vingt millions…
– Non, non ! s’écria le marquis, je ne veux point de vos millions… Je veux que vous viviez, chère Daï-Natha.
Daï-Natha se leva, croisa les bras sur sa poitrine et lui dit :
– Me trouvez-vous belle ?
– Comme les anges, répondit-il.
– Aussi belle… qu’elle ?
Et sa voix tremblait, tandis qu’elle prononçait ces mots.
– Oui, dit le marquis.
– Si elle n’existait pas, m’aimeriez-vous ?
– Oh ! passionnément…
L’Indienne eut un sourd rugissement, pareil à celui des tigresses qui peuplent les vastes forêts vierges de sa brûlante patrie.
– Et… si elle mourait ?
À cette question, sa voix trembla plus fort encore.
Mais le marquis secoua la tête :
– On aime quelquefois les morts… murmura-t-il. Je l’aimerais morte…
Daï-Natha laissa jaillir de ses fauves prunelles un regard étincelant.
– Tenez, dit-elle, si je vous demandais un serment, moi qui vais mourir… moi qui meurs pour vous… moi qui vous aime depuis douze ans…
– Un serment ?… s’exclama le marquis.
– Oui, dit-elle, un serment terrible, un serment au prix duquel, peut-être, je consentirais à vivre…
– Ah ! dit-il avec joie, parlez… parlez !… quel que soit ce serment, je le tiendrai.
– Eh bien ! reprit-elle, je vais vous confier un secret qui bouleversera peut-être votre cœur et votre esprit ; me jurez-vous de m’obéir aveuglément jusqu’à l’heure où je vous aurai donné la preuve irrécusable, authentique de ce que j’avance ?
– Sur la cendre de nos pères, je vous le jure, Daï-Natha.
– Eh bien ! reprit-elle, à présent je puis vous faire une question ?
– Faites… dit le marquis.
– Si votre femme n’existait pas, vous m’aimeriez, avez-vous dit.
– Je le répète.
– Si elle était… infidèle ?…
Le marquis poussa un cri :
– Ah ! dit-il, tandis que ses yeux flamboyaient subitement comme les yeux d’un tigre, ne prononcez point un pareil blasphème, Daï-Natha !
– Je ne blasphème point… reprit-elle.
Et elle ajouta avec un calme atroce :
– Vous m’aimerez un jour, Hercule, mon bien-aimé, car Pepa Alvarez, votre femme, a cessé d’être la plus chaste et la plus vertueuse des épouses.
Le marquis ne poussa pas un cri ; mais il se dirigea vers la cheminée, sur laquelle il avait vu un petit poignard malais, à lame tortueuse et empoisonnée. Il prit ce poignard et revint à Daï-Natha, qui l’attendait les bras croisés et le sourire sur les lèvres.
– Tu as eu tort, lui dit-il lentement et avec un calme terrible, tu as eu tort de boire du poison, Daï-Natha, car ce n’est point par le poison que tu vas mourir !