XCIX

Nous avons laissé le vicomte Andréa remonter en voiture avec ses témoins.

Du bois de Vincennes à la rue Culture-Sainte-Catherine le trajet était court et s’effectua en quelques minutes. Lorsque la voiture du comte entra dans la cour de l’hôtel, Jeanne était à sa fenêtre, l’œil attaché sur la porte cochère, l’oreille tendue vers les bruits de la rue, et le cœur palpitant chaque fois que le roulement d’une voiture se faisait entendre.

M. le vicomte Andréa ne s’était pas trompé. La pauvre femme avait passé la nuit en prière, suppliant Dieu de conserver la vie de l’homme qui allait se battre pour son mari.

Au moment où la voiture entrait dans la cour, Andréa montra sa tête à la portière. Jeanne le vit et poussa un cri de joie… Il était vivant !

Et puis elle se retira brusquement en arrière et retomba sans force et sans voix sur son siège. Elle venait de songer que si son cher Armand était témoin de sa joie et de son émotion, il devinerait peut-être le motif du duel. Mais les craintes de Jeanne ne furent point justifiées. Placé sur le devant de la calèche, et par conséquent tournant le dos à la façade de l’hôtel, M. de Kergaz n’avait point aperçu sa femme, il n’avait pas entendu son cri étouffé, occupé qu’il était à causer avec Fernand.

Celui-ci trouva son tilbury dans la cour, serra la main au comte et à Andréa et les quitta.

Alors, comme les deux frères gravissaient les marches du perron, Andréa dit tout bas à Armand :

– Rends-moi ma lettre, à présent.

– Tu le veux ? demanda le comte.

– Oui.

– Et je ne saurai pas…

– Si… plus tard… à Kerloven.

– Tu veux donc que nous allions à Kerloven ?

– Je vous le demande instamment.

– Soit… Quand veux-tu partir ?

– Ce soir, demain au plus vite.

– Mystère ! murmura le comte, qui, une heure après, entrait chez sa femme, la trouvait calme et souriante et lui disait :

– Ma chère Jeanne, si je vous demandais un service, me le feriez-vous ?

– Ingrat ! dit-elle, il le demande ?

– Je voudrais faire avec vous et notre cher Andréa un voyage.

– Partons, dit Jeanne.

– Nous irons en Bretagne, dans notre vieux manoir de Kerloven.

– Ah ! quelle joie ! s’écria la jeune femme, de passer un mois là-bas, au bord de la mer, seule avec vous, mon Armand bien-aimé. Quand voulez-vous partir ?

– Demain, si c’est possible.

– Certainement, je serai prête.

Et Jeanne, qui devinait qu’Andréa voulait l’éloigner du marquis… car elle avait appris déjà l’issue inoffensive du duel… ne fit aucune question à son mari et se hâta de préparer ce prochain départ.

Armand rejoignit Andréa.

– Jeanne consent à partir, dit-il.

– Ah ! fit Andréa, qui parut soulagé d’un poids énorme.

Le comte fronça le sourcil. Un soupçon venait de lui traverser l’esprit ; mais Andréa avait sa parole, il ne le questionna point. Seulement, il murmura à part lui :

– Mon Dieu ! je voudrais être déjà à Kerloven.

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