LX

Deux minutes s’écoulèrent.

Deux siècles d’angoisse pour sir James.

Enfin Marmouset revint.

Il avait toujours son flambeau d’une main, et de l’autre il portait un de ces petits buvards qui renferment tout ce qu’il faut pour écrire.

– Cher monsieur, dit-il alors en posant sa lampe au bord du puisard de façon à éclairer la tête de sir James de haut en bas et à ne perdre aucune impression sur son visage, nous allons peut-être pouvoir nous entendre.

Alors il prit une chaise et la lui tendit en se baissant.

– Asseyez-vous d’abord, dit-il.

– Bon ! fit sir James de plus en plus anxieux.

– Et maintenant, laissez-moi vous passer cette table.

Et il lui descendit en effet un guéridon par le même procédé.

– À présent, dit-il, il ne vous manque plus que ceci et une lampe.

Et il jeta pareillement le buvard.

– Mais donnez-moi donc à boire ! supplia sir James.

– Tout à l’heure, si nous nous entendons.

L’industrie moderne a inventé une lampe à gaz qui brûle dans toutes les positions et peut se porter renversée au besoin.

Il est vrai qu’elle donne une clarté qui fait mal aux yeux et qu’elle sent horriblement mauvais.

Mais, dame ! les inventeurs font ce qu’ils peuvent.

Ce fut une lampe comme cela que Marmouset envoya rejoindre, tout allumée, au bout d’une ficelle, la chaise, la table et le buvard.

– À boire, monsieur ? à boire ! répétait sir James, qui semblait avoir du feu dans la gorge.

– Vous allez boire dans cinq minutes si nous parvenons à nous entendre.

– Mais que voulez-vous donc de moi ?

– Dix lignes de votre écriture.

– Adressées à qui ?

– Au chef de la Sûreté.

Malgré la soif et la faim qui le torturaient, sir James eut un reste d’héroïsme.

– Ah ! oui, dit-il, je sais ce que vous me demandez.

– Vous êtes trop intelligent pour ne point le deviner.

– Vous voulez que j’écrive au chef de la sûreté pour qu’il fasse mettre miss Ellen en liberté ?

– Justement.

– Eh bien ! non, dit sir James, j’aime mieux mourir de faim.

– Comme il vous plaira, dit Marmouset.

Sir James entendit un éclat de rire, puis le bruit sec d’un ressort et l’ascenseur redescendit au fond du puits.

Seulement sir James n’était plus plongé dans les ténèbres : il y voyait, grâce à la lampe que lui avait descendue Marmouset, et il pouvait s’asseoir au lieu de s’accroupir sur le sol.

Ce fut alors une lutte suprême chez cet homme à qui la mort apparaissait sous la plus épouvantable des formes, entre l’instinct de la conservation et l’instinct de son devoir.

Sir James était un coquin, un traître ; mais comme tous les misérables, il avait un point d’honneur bizarre et qui reposait sur un immense orgueil.

Sir James était flatté de servir l’aristocratie anglaise contre ces mendiants à qui il avait donné le nom de frères et pour qui, jadis, il avait combattu.

Mais cette lutte ne pouvait être ni longue, ni douteuse.

Sir James sentait ses boyaux se tordre et sa gorge aride brûler.

– Ah ! s’écria-t-il enfin, je ne veux pas mourir !

Et il appela :

– Monsieur, monsieur, au nom du ciel !

Mais sa voix se perdit sans écho au fond du puits et nul ne lui répondit.

Il cria plus fort, il prit la chaise et se mit à frapper avec ses pieds sur la table.

Ce tapage demeura sans résultat.

Mais, tout à coup, il remarqua que la ficelle au bout de laquelle Marmouset lui avait descendu la lampe y était toujours adhérente et quelle remontait vers l’orifice du puisard.

La ficelle s’était allongée à mesure que la lampe descendait.

Alors sir James saisit cette ficelle et la secoua violemment. Sans doute qu’elle correspondait à quelque timbre placé dans le haut de la maison, car soudain, l’ascenseur s’ébranla et se remit à monter.

Puis il s’arrêta juste au même endroit, et Marmouset reparut à l’orifice du puisard.

– Puisque vous remontez, dit-il, c’est que vous devenez raisonnable.

– À boire ! répéta sir James. Je ferai tout ce que vous voudrez.

– Faites d’abord ce que je veux, et je vous promets qu’on vous servira tout à l’heure à souper aussi confortablement que chez Brébant ou au café Anglais.

Sir James était vaincu. Il s’assit devant la table et prit la plume.

– Permettez, dit Marmouset, je vais dicter :

« Mon cher directeur du service de sûreté, je reçois une dépêche de Londres qui me force à partir à l’instant même. Je vous envoie mon collègue le détective Edward, à qui vous pouvez confier miss Ellen Palmure. »

Sir James, malgré ses tortures, ne put réprimer un geste de surprise.

– Ah ! dame dit Marmouset qui devina le geste, vous pensez bien que votre collègue Edward n’a pas les scrupules aussi tenaces que vous ; il sert qui le paie et, croyez-moi, nous payons bien !

Sir James écrivit, puis il signa.

Alors Marmouset pressa de nouveau le ressort et l’ascenseur monta jusqu’au niveau du sol de la chambre.

En même temps, Milon parut, apportant une manne pleine de victuailles, qu’il posa sur la table.

Sir James se précipita sur une carafe et la porta à ses lèvres.

Puis, quand il eut bu à longs traits, il s’empara d’un morceau de pain.

– Ne vous pressez pas, vous vous étrangleriez, dit Marmouset avec un sourire. Je vous souhaite un bon appétit.

Et il poussa le ressort une fois de plus, et l’ascenseur redescendit, emportant les vivres dont sir James avait si grand besoin, et sir James ne protesta seulement pas d’un signe ou d’une exclamation.

Il mangeait…

*

* *

Milon et Marmouset se trouvaient seuls alors.

Marmouset avait saisi la lettre écrite par sir James au chef de la sûreté.

– Maintenant, dit-il en la montrant à Milon, nous pourrons partir demain.

– Et nous emmènerons miss Ellen !

– Naturellement. Tu penses qu’avec ce papier, on va nous la rendre.

– Mais…, sir James ?

– Nous l’emmènerons aussi.

– Pour qu’il nous trahisse là-bas ?

Marmouset se prit à sourire :

– Une fois à Londres, je ne le crains plus.

– Ah ! fit Milon, qui avait toujours la compréhension lente.

– Signalé aux fénians comme un traître, il serait assuré de périr d’une façon épouvantable. Pour que nous lui gardions le secret, il nous servira non pas fidèlement, mais avec passion.

– Je le veux bien, dit Milon ; mais avant que nous soyons en Angleterre il peut nous échapper.

– Pas avant demain, toujours.

– Il est certain qu’il ne sortira pas tout seul du puits.

– Et il en sortira non pas comme un homme, mais comme un colis.

– Hein ? fit Milon.

– Mais, cher imbécile, répondit Marmouset en riant, si tu comprenais, on ne pourrait pas te faire de temps en temps des surprises.

Et il alla ouvrir une fenêtre et ajouta :

– Voici le jour. Appelle Edward le détective. Il faut qu’il porte cette lettre à la préfecture et que miss Ellen soit sortie de Saint-Lazare aujourd’hui même avant midi.

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