Vanda arrivait de Londres, en effet.
Elle n’avait pas même passé avenue Marignan, où elle habitait toujours son petit hôtel ; elle était venue directement en voiture de la gare du chemin de fer à l’entrée de la rue de Morny.
Là, elle avait renvoyé le véhicule et continué son chemin à pied.
Le silence s’était fait autour d’elle.
On attendait avec anxiété les révélations qu’elle venait de promettre.
– Rocambole, dit-elle, emprisonné lors de notre départ, se fit relâcher le lendemain sous caution.
Puis il disparut de Londres pendant quelques jours, et il fut impossible à la police anglaise de retrouver ses traces.
– Et ces traces, vous les avez retrouvées, vous ? demanda Milon.
– Oui.
– À Londres ?
– À Londres, dit Vanda. J’avais successivement, en huit jours, habité tous les hôtels français, depuis Sablonière jusqu’à Sauton hôtel.
– Non, me dis-je un jour, ce n’est pas là que je le retrouverai.
Et je m’en allai dans le quartier des docks, vers Saint George street.
Au lieu de me loger dans un hôtel, je louai un boarding, au coin de Old Gravel-Lane.
Je parle anglais comme une Anglaise, et je me déguisai en femme du peuple.
Le jour, je courais les rues ; le soir j’entrais dans les publics-houses et les tavernes.
J’habitais au deuxième étage.
Au-dessus de moi il y avait une famille composée du père et de sa fille.
Le père était un homme silencieux et sombre ; la fille, une belle créature qui relevait d’une longue et douloureuse maladie.
Je la voyais passer souvent devant ma porte, que je laissais ouverte à cause de la chaleur, et j’avais fini par lui sourire.
Nous fîmes connaissance.
– Vous ayez donc été bien malade ? lui dis-je un jour.
– J’ai cru mourir, me répondit-elle ; c’est un envoyé de Dieu qui m’a sauvée.
– Un médecin ?
– Oui.
– Anglais ?
– On ne sait pas. Il y en a qui disent que c’est un Anglais ; tout ce que je sais, c’est qu’on l’appelle l’homme gris.
– Ah !
Elle me raconta alors que le médecin mystérieux l’avait conduite dans une maison de Hampsteadt, où il l’avait soumise à un traitement par les émanations du goudron.
Puis elle ajouta :
– Nous avons son portrait, mon père et moi.
– Où est-il ?
– Là-haut, dans notre logis.
– Voulez-vous me le montrer ?
– Oh ! de grand cœur.
Je la suivis, elle me fit pénétrer dans sa chambre. Je jetai les yeux sur un portrait, une petite photographie assez mauvaise, et je poussai un cri de joie.
J’avais reconnu Rocambole.
À partir de ce moment, et grâce aux indications que m’ont fournies le père et la fille, je l’ai suivi, pour ainsi dire, pas à pas. J’ai retrouvé presque tous les hommes qui l’ont servi et dont il s’était fait une petite armée. J’ai vu quel était son but, la lutte qu’il avait engagée, les victoires qu’il avait remportées.
Il y a trois semaines, il a embarqué pour la France un enfant irlandais en qui les fenians voient leur chef futur. Avec cet enfant est parti un autre homme appelé Shoking, lequel doit être à Paris et qui certainement possède tous les secrets de l’homme gris.
– C’est peut-être mon Anglais, dit Milon.
– Cet homme et l’enfant partis, poursuivit Vanda, Rocambole est demeuré à Londres.
Un soir, il s’est embarqué dans un canot, au bas du pont de Westminster.
À partir de ce moment on ne l’a plus revu.
Il avait annoncé, du reste, que peut-être il ne reviendrait pas.
Dès lors, tous mes efforts pour retrouver sa trace ont été inutiles.
– Il est mort ! murmura Milon.
Marmouset haussa les épaules.
– Rocambole ne meurt pas, dit-il.
– J’ai aussi cette conviction ! dit Vanda. Seulement, où est-il ?
– Peut-être est-il revenu à Paris ? hasarda la Camarde.
– C’est ce que je me dis quelquefois, fit Jean le Bourreau.
– S’il était à Paris, nous l’aurions vu, dit Marmouset.
L’espoir revenait au cœur de Milon.
– Ah ! dit-il, je me souviens que lorsque nous nous désespérions, il y a quatre ans, un homme me frappa sur l’épaule dans la rue et me dit :
– Imbécile ; il n’y a que les hommes dont la tâche est remplie qui meurent.
Je me retournai. C’était lui.
– Eh bien ! dit Marmouset, pareille chose vous arrivera au premier jour.
– Je le crois, dit Vanda.
– Je l’espère, murmura Milon.
– Car, reprit Marmouset, la dernière tâche que s’est imposée Rocambole n’est point accomplie encore.
La loyale Angleterre continue à opprimer l’Irlande, à persécuter les prêtres catholiques et à refuser aux enfants de la pauvre Erin des pommes de terre et du pain.
– C’est vrai, dit Vanda.
– Donc, Rocambole n’est pas mort.
– Qui sait même s’il n’a pas besoin de nous ? reprit Milon. Oh ! si je pouvais retrouver l’Anglais !
Comme Milon parlait ainsi, on entendit un bruit dans l’éloignement.
Des pas retentissaient dans les couloirs sombres des caves.
– Qui donc attendons-nous encore ? demanda Marmouset.
– Personne, répondit Jean le Bourreau, nous sommes au complet.
– Mon Dieu ! s’écria Vanda, si c’était lui ! si c’était Rocambole !
Et tous les cœurs battirent, et tous les regards se dirigèrent anxieux vers la porte…