XIII

Il y eut une minute d’angoisse suprême.

Puis la porte s’ouvrit, et un homme parut.

Mais cet homme n’était point Rocambole, et il y eut un cri unanime de désappointement et de déception.

Cet homme, c’était le contre-maître de Milon, celui qui l’avait accompagné une heure auparavant jusqu’à la rue de Morny, et à qui l’entrepreneur avait dit :

– Tu ne viendras me déranger sous aucun prétexte, à moins toutefois que tu ne voies revenir l’Anglais.

Aussi Milon s’écria-t-il :

– Tu as vu l’Anglais ?

– Non, patron, répondit cet homme, qui se nommait Polydore.

– Alors, pourquoi viens-tu ?

– Parce qu’il est arrivé un grand malheur !

– Un malheur ?

– Oui.

– Tonnerre ! fit Milon, qu’est-ce qu’il y a donc ?

– Vous savez qu’un de nos Limousins couche dans le chantier de la rue Louis-le-Grand ?

– Non, je ne le savais pas… Mais… continue.

Et Milon, regardant Marmouset :

– Je vous demande pardon, dit-il, cet imbécile vient me parler ici de mes affaires particulières.

– Allez, dit Marmouset.

– Le Limousin est tombé d’un échafaudage… L’a-t-on jeté en bas ?… Je ne sais pas… Tout ce que je puis vous dire, c’est qu’il est mourant et qu’on a eu de la peine à le transporter au poste de la rue Port-Mahon.

C’est là que je l’ai trouvé.

Allez chercher le patron, m’a-t-il dit, avant que je meure, car je crois bien que j’ai mon compte. Dites-lui que, s’il est le Milon qui connaît Rocambole, j’ai un grand secret à lui confier avant de m’en aller dans l’autre monde.

– Ah ! dit Milon, qui fit un bond vers la porte, il a dit cela ?

– Oui, patron.

– Alors, j’y vais.

– J’ai une voiture dans la rue, à l’entrée du terrain, continua le contremaître Polydore, et une voiture qui marche bien.

Milon allait franchir le seuil de la porte en disant : Nous allons peut-être avoir des nouvelles du maître, lorsque Marmouset le suivit :

– Je vais avec toi, dit-il.

Et, se tournant vers les autres compagnons de Rocambole :

– Attendez-nous ici, ajouta-t-il. Milon ou moi nous reviendrons avant une heure.

Et Milon et Marmouset partirent à la suite du contremaître Polydore.

En moins d’un quart d’heure, la voiture de place amenée par ce dernier eut franchi la distance qui sépare le haut des Champs-Élysées de la rue du Port-Mahon.

Il y avait là un poste de police, et c’était dans ce poste qu’on avait transporté le Limousin, grâce à l’invalide, qui, témoin de sa chute, avait couru y demander du secours.

Le Limousin était dans un état déplorable.

Il avait une épaule démise et trois côtes enfoncées.

Un tas de sable sur lequel il était tombé avait amorti sa chute, et c’était par miracle qu’il ne s’était pas tué sur le coup.

Un médecin du quartier appelé en toute hâte ne répondit pas de sa vie.

Il pouvait s’être produit des lésions internes dont on n’avait pas encore connaissance et qui détermineraient peut-être la mort.

– Je sais bien que je n’en reviendrai pas ; mais j’ai deux frères qui prendront soin de notre vieille mère au pays.

Tout ce que je demande, c’est que le patron soit bien celui que miss Ellen cherchait.

L’invalide essuyait de temps en temps une larme qui roulait sur sa joue martiale et il regardait le médecin qui ne voulait toujours pas se prononcer.

Enfin, Milon et Marmouset arrivèrent.

Le Limousin rayonna en voyant l’entrepreneur ; son visage s’éclaira d’une joie céleste :

– Ah ! dit-il, je savais bien que c’était vous qu’elle cherchait.

– Qui donc ? demanda le bon Milon, ému jusqu’aux larmes du piteux état de son ouvrier.

– L’Anglaise.

– Quelle Anglaise ?

– Celle qui est prisonnière là-haut, dans une maison de la rue Louis-le-Grand et que j’ai voulu sauver.

Et comme Milon le regardait avec avidité, le Limousin poursuivit :

– Écoutez-moi vite, patron, car je pourrais bien mourir tout d’un coup.

Mais l’invalide l’arrêta.

– Je sais la chose comme toi, dit-il. Laisse-moi la dire ; si je me trompe, tu me corrigeras. Mais il ne faut pas parler.

Alors, Marmouset, Milon et l’invalide demeurèrent seuls au chevet du moribond, car le médecin eut la discrétion de se retirer dans la première pièce du poste.

L’invalide prit alors la parole.

Il avait eu les confidences du Limousin, il l’avait aidé dans sa funeste expédition, et ce fut avec la plus grande clarté qu’il raconta à l’entrepreneur tout ce qui s’était passé.

Milon ne comprenait pas beaucoup ce que cette Anglaise lui voulait.

Mais Marmouset ne perdait pas un mot du récit de l’invalide, et, quand celui-ci eut fini et que le Limousin eut murmuré : Tout cela est vrai, – il fit appeler le médecin et lui dit :

– Pensez-vous, monsieur, que ce jeune homme puisse être transporté hors d’ici ?

– Pas avant demain, répondit le médecin.

– C’est bien, dit Marmouset qui recommanda le Limousin au chef du poste.

Puis il fit un signe à l’invalide :

– Venez avec nous, dit-il.

Au chantier où cela s’est passé. Je veux me faire montrer la fenêtre.

Et Marmouset, précédé par l’invalide, prit le chemin du chantier.

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