XLII

La maison dont le charron avait habité le rez-de-chaussée et qui avait déjà la citerne commune avec celle du passage, avait, en outre des jours de souffrance qui s’ouvraient sur la cour de Chapparot, trois ou quatre petites meurtrières grillées qui donnaient de la clarté dans l’escalier.

Chapparot, qui savait que cette maison était, comme la sienne, à peu près déserte pendant la journée, ne se méfiait nullement de ces petites lucarnes.

D’ailleurs, il ne savait pas qu’au dernier étage l’escalier finissait par une sorte d’échelle de meunier, conduisant à un grenier, et que la meurtrière la plus élevée servait de croisée à ce grenier.

Or, il y avait précisément dans ledit grenier un type assez curieux et dont Chapparot aurait dû se méfier.

C’était un jeune homme, un véritable gamin de Paris, nommé Polyte.

Polyte avait été singe d’imprimerie à huit ans, apprenti menuisier à douze, machiniste de théâtre à quinze, puis chanteur de café-concert, puis comédien de banlieue et, en dernier lieu, secrétaire du commissaire de police de Belleville.

Comme on va le voir, il avait fait tous les métiers et n’avait réussi à rien.

Le commissaire de police, son dernier patron, l’avait trouvé trop artiste, et le directeur du théâtre de Mont-rouge lui avait dit :

– Mon garçon, vous ne ferez jamais un comédien !

Au café-concert, où il avait chanté le Pied qui remue, on l’avait sifflé.

Le menuisier qui l’avait recueilli à sa sortie de l’imprimerie l’avait mis à la porte avec une correction autre que des taloches.

Enfin, dans l’imprimerie où il avait fait ses débuts, on l’envoyait chercher le feuilleton de l’auteur en vogue, et Polydore ne revenait pas et perdait le feuilleton en route.

Malgré tout cela, Polydore avait fait son chemin ; il cultivait le calembour, était lié avec tous les cabotins du boulevard Eugène, comme on dit au faubourg, tournait souvent la tête à une figurante, achetait ses habits au Temple et avait, pour nous servir de l’expression populaire, ses hauts et ses bas.

Pour le moment, Polyte était dans la débine et il était venu loger chez sa mère, qui était en ce moment portière de la maison jadis habitée par le charron.

Polyte avait entendu raconter l’histoire nébuleuse du charbonnier Chapparot, qu’on accusait d’avoir assassiné sa femme.

Et comme Polyte n’avait rien à faire, il s’était dit :

– Je vais faire de la police pour mon compte et travailler le charbonnier.

Fumant sa pipe, chantant le Pied qui remue, il s’était établi dans ce grenier, dont la fenêtre donnait sur la petite cour du charbonnier.

Celui-ci, de temps en temps, traversait cette cour.

Alors Polyte cessait de chanter, puis à l’aide d’un morceau de glace cassée, qu’il posait incliné au bord de sa fenêtre, il regardait tous à son aise l’Auvergnat, sans être vu de lui.

L’homme qui se croit seul laisse tomber le masque d’hypocrisie qu’il met ordinairement sur sa figure quand on le regarde.

Chapparot, persuadé que nul ne le voyait, laissait reprendre à sa physionomie son aspect farouche et sombre.

– Il marque mal, pensait l’ancien secrétaire du commissaire de police.

Et il continuait à l’épier.

Il avait découvert le cabaret où Chapparot s’en allait le soir manger un peu de pain et de fromage et boire une chopine pour son souper.

Polyte s’en fit l’habitué.

Chose bizarre ! le charbonnier ne le connaissait pas, et ne l’avait même jamais vu.

Aussi le coudoya-t-il plusieurs soirs de suite dans la salle basse du marchand de vin sans faire attention à lui.

Et le soir où sir James vint causer avec Chapparot, Polyte était dans le cabaret.

L’intimité du grossier Auvergnat et du gentleman lui parut louche.

Jusque-là Polyte s’était simplement amusé.

Maintenant, il flairait une affaire.

L’affaire, comme on va le voir, était bien simple.

Polyte s’était dit :

– Le commissaire m’a renvoyé parce que j’étais feignant. Je ne le blâme pas, car il avait raison ; mais si, un matin, j’allais le trouver et lui disais : J’ai découvert un joli petit crime, et je viens vous prier de faire valoir mes droits à une petite prime que la préfecture accorde volontiers en pareil cas, il serait enchanté de me rendre ce service, car au fond il m’aimait assez et me trouvait une jolie voix.

Chacun son faible, et un commissaire de police a bien le droit d’aimer la musique.

Or, pour Polyte, un homme aussi mal famé que Chapparot, causant avec un monsieur comme sir James, c’était l’indice d’un crime commis ou à commettre.

Et, à partir de ce moment, Polyte ne quitta plus le charbonnier des yeux.

Dans la nuit qui suivit l’entretien, il demeura tantôt collé à la grille de la meurtrière qui donnait sur la cour, tantôt hissé jusqu’à une autre fenêtre en tabatière du grenier, qui avait vue sur l’esplanade des anciens abattoirs.

La nuit s’écoula, puis la matinée.

Polyte s’en alla flâner dans le passage, où il y avait une boutique de blanchisseuses, et, tout en ayant l’air de lorgner ces demoiselles, il ne perdit pas de vue le charbonnier et crut remarquer que celui-ci éprouvait une sorte d’inquiétude vague et que ses regards se tournaient sans cesse vers l’entrée du passage.

Polyte remonta à son observatoire et se mit à la tabatière.

Vers trois heures, il vit un fiacre s’arrêter à l’angle de l’avenue Parmentier et de la rue du Chemin-Vert. Puis, trois personnes en descendirent.

Polyte reconnut le gentleman qui avait eu un mystérieux entretien avec Chapparot.

La femme et l’enfant lui étaient inconnus.

Comme tous trois entraient dans le passage, Polyte fit volte-face.

Il quitta la tabatière et revint à la fenêtre grillée qui donnait sur la petite cour.

Puis, les yeux fixés sur son morceau de glace cassée, il attendit.

La porte de la boutique du charbonnier qui s’ouvrait sur la cour s’ouvrit, et Polyte vit Chapparot la traverser, suivi du gentleman, de la femme et de l’enfant.

– Tout cela est bien drôle ! se dit-il.

Puis il eut un souvenir et une inspiration.

Ce souvenir était celui-ci.

Quand il était gamin, il jouait avec les enfants du charron, et il avait souvent remarqué la sonorité de la citerne, dont les parois formaient écho et renvoyaient distinctement au charron le bruit et la voix du tonnelier qui chantait, dans la cave, en cerclant ses tonneaux.

Et ce souvenir amena l’inspiration et conduisit Polyte à se dire :

– Ils sont dans la cave, je vais pouvoir écouter ce qu’ils disent.

Alors le gamin sortit de son grenier, et, à cheval sur la rampe, se laissa glisser jusqu’en bas.

Sa mère était sortie, et il n’y avait personne dans la loge.

La boutique était à louer, et elle avait une petite porte donnant sur l’allée de la maison, et dont la clef demeurait chez le concierge.

Polyte s’empara de cette clef.

C’était plus fort que lui, même en faisant de la police, Polyte chantait le Pied qui remue.

Mais cette fois ce fut à dessein.

– S’ils sont dans la cave, se dit-il, ils m’entendront chanter, et s’ils méditent un mauvais coup, ils n’oseront pas l’accomplir.

Seulement, Polyte n’avait pas calculé que le mauvais coup s’était fait tandis qu’il se rendait à son grenier, et lorsqu’il arriva dans la boutique, sir James et le charbonnier avaient déjà quitté le théâtre de leurs exploits sinistres.

Mais Polyte entendit les cris de Jenny qui se décidait à appeler au secours.

Et alors il se pencha sur les planches qui recouvraient la citerne, les souleva et plongea un regard investigateur dans les profondeurs ténébreuses de ce cloaque.

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