XLIV

La chandelle allumée, Polyte s’orienta avec ce sang-froid qui caractérise le vrai Parisien.

Tout nu, ruisselant d’eau, grelottant, il était aussi à l’aise, malgré cela, que s’il eût été sur le boulevard du Prince-Eugène, à la porte d’un petit théâtre, les mains dans ses poches et lorgnant les femmes.

– Quand on veut bien voir, pensait-il, il ne faut pas se presser. Et, en effet, avant de pousser plus loin ses investigations, il se mit à examiner le mécanisme ingénieux de la trappe dont Jenny avait été la victime.

C’était fort simple, du reste.

La planche avait été sciée de manière à ne plus reposer sur les solives du plancher.

Puis, avec deux clous, on avait fait une sorte d’essieu sur lequel la planche avait tourné quand l’Irlandaise avait mis le pied dessus.

Tout à l’entour, Polyte chercha vainement les traces d’une lutte.

Alors il devint évident pour lui que la mère seule avait été la victime d’un guet-apens.

Qu’était devenu l’enfant ?

Polyte se pencha néanmoins sur la citerne, le bras étendu et armé de la chandelle.

L’eau était calme et aucun corps ne flottait à sa surface.

De deux choses l’une :

Ou le gentleman avait emmené l’enfant.

Ou bien le charbonnier s’était constitué son gardien et son geôlier.

Dans cette dernière hypothèse, Polyte se mit à chercher ; derrière un amas de bois et de charbons, il trouva l’entrée de la cave souterraine.

Polyte descendit.

Au bout de vingt marches il se trouva dans un couloir, s’arrêta et prêta l’oreille.

Il croyait avoir entendu des gémissements étouffés.

Le couloir aboutissait à la porte d’un caveau.

Polyte s’approcha.

Les gémissements devinrent plus distincts.

Il n’y avait plus de doute pour lui. L’enfant était enfermé dans ce caveau.

Notre héros examina la porte, les gonds, la serrure. Tout cela était d’une solidité à toute épreuve, et il ne fallait pas songer à délivrer le prisonnier séance tenante.

Mais Polyte savait ce qu’il devait savoir.

Les gémissements attestaient que l’enfant était vivant.

– Bon ! se dit-il, je reviendrai ce soir, quand le charbonnier ira souper, et j’aurai ce qu’il faut pour desceller les gonds de la porte.

Et Polyte remonta.

Mais, comme il arrivait au haut de l’escalier, il entendit du bruit.

Soudain il souffla sa chandelle et demeura dans les ténèbres.

Le bruit qu’il avait entendu n’était pas une illusion, du reste.

C’était le charbonnier qui entrait dans la première cave.

Chapparot entrait à tâtons, mais il s’était approché du trou pratiqué dans le mur, et il cherchait la chandelle.

Polyte ne perdit pas la tête.

Il se glissa derrière un amas de bois et demeura immobile.

Peu après, le charbonnier qui cherchait toujours, lâcha un gros juron et murmura :

– Je crois que je perds la tête depuis tout à l’heure.

Et il sortit de la cave, rebroussa chemin vers la cour en ajoutant :

– J’aurai laissé la chandelle dans la boutique.

Alors Polyte courut vers le trou et y remit la palette en fer.

Un autre que lui se serait sauvé à toutes jambes ; mais Polyte resta et il attendit.

Du moment où le charbonnier croyait avoir laissé sa chandelle dans la boutique, c’est qu’il allait revenir.

Polyte se blottit de nouveau derrière le tas de bois.

La planche qui recouvrait la citerne, après avoir livré passage au jeune homme, avait repris sa position naturelle, et il était probable que le charbonnier ne se douterait de rien, pourvu qu’il ne vît pas Polyte.

Quelques minutes s’écoulèrent.

Puis les pas de Chapparot se firent entendre de nouveau dans la cour et la porte de la cave se rouvrit.

Le charbonnier pestait et jurait.

– Qu’est-ce que j’ai donc fait de ma chandelle ? disait-il.

Et il avait d’une main, cette fois, une de ces bougies grosses comme une ficelle, arrangées en pelote et qu’on a surnommées des rats de cave.

De l’autre main, il portait un panier.

Polyte retenait son haleine et il s’était si bien caché derrière le tas de bois, dont les rondins, symétriquement rangés les uns sur les autres, lui formaient des meurtrières à travers lesquelles il pouvait voir, – il s’était si bien caché, disons-nous, que le charbonnier aurait cherché longtemps avant de le trouver.

Mais Chapparot se croyait seul, et machinalement, il se tourna vers le trou.

La chandelle y était.

– Tonnerre ! dit-il, je crois que je deviens fou ! Tout à l’heure je l’ai cherchée sans pouvoir la trouver, et la voilà ! Cet Anglais m’a jeté un sort, pas possible !

Et il se mit à rire d’un gros rire ; puis, parlant tout haut comme un homme qui a besoin de s’étourdir avec le bruit de sa voix :

– Pourvu que son argent ne soit pas ensorcelé aussi !

Ce disant, il posa son panier à terre, s’assit sur un vieux tonneau renversé, mit sa chandelle auprès de lui et tira de sa poche une grosse bourse de cuir.

La bourse était pleine de pièces d’or.

L’Auvergnat se plut un moment à les faire sauter dans sa main, afin d’entendre le cliquetis des pièces d’or.

Puis, non content encore, il la vida sur la futaille.

Après quoi il se mit à compter son trésor pièce à pièce, et le remit enfin dans la bourse.

– Voilà toujours mille balles, dit-il ; mais c’est les mille autres que je voudrais voir. Enfin, il a dit qu’il reviendrait demain chercher l’enfant ; je vais, en attendant, lui donner à manger, à ce môme, car s’il mourait de faim, l’Anglais serait capable de ne pas payer.

Polyte ne perdait pas un mot de ce monologue.

Chapparot se dirigea vers l’escalier qui descendait au caveau converti en prison.

Alors Polyte le vit passer la main sous une poutre et y prendre une clef.

C’était la clef du caveau sans doute.

– Bon ! pensa Polyte, nous n’aurons pas besoin d’apporter des outils, et je pourrai délivrer le petit tout de suite.

Le charbonnier descendit.

Polyte entendit distinctement le bruit de ses pas dans le corridor souterrain, puis celui de la clef tournant dans la serrure et son pêne rouillé grinçant dans la gâche, et alors les gémissements redoublèrent un moment.

Puis ils furent suivis d’un cri de douleur.

Le brutal Auvergnat avait sans doute donné un coup de pied à l’enfant pour le faire taire.

Ensuite Polyte entendit refermer la porte, et peu après, le pas lourd du fils du Cantal retentit dans l’escalier.

– Ouf ! pensait Polyte, j’ai hâte qu’il soit parti.

Mais le charbonnier, au lieu de traverser la cave et de gagner la cour, s’arrêta auprès de la planche qui recouvrait l’orifice de la citerne.

– Elle doit flotter sur l’eau, se disait le charbonnier, faisant sans doute allusion à l’Irlandaise, qu’il croyait morte. Voyons voir…

Et il se pencha pour lever la planche.

Alors Polyte sentit quelques gouttes de sueur perler à ses tempes.

Le charbonnier n’allait-il pas apercevoir l’échelle et comprendre que quelqu’un était venu par ce singulier chemin ?

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