Marmouset n’attendit pas longtemps.
Il n’était pas de retour à l’hôtel d’Espagne qu’un télégramme arriva à l’adresse de sir James Wood.
Le détective Edward le reçut.
Le révérend Patterson disait laconiquement : « C’est bien. Et miss Ellen ? »
Alors Marmouset regarda Milon.
– Tu sais bien, dit-il en lui montrant le télégramme, que Rocambole se moque d’eux.
– Je commence à le croire, en effet, dit Milon, mais…
– Mais quoi ?
– Il y a une chose que je ne comprends toujours pas.
– Laquelle ?
– Pourquoi donnez-vous votre signalement ?
– Afin qu’on puisse m’arrêter plus facilement.
– Vous voulez donc vous faire arrêter ?
– Oui, à Londres.
– Dans quel but ?
– Dans le but d’aller à Newgate.
– Pour voir Rocambole ?
– Naturellement, et prendre ses ordres, car si la note des journaux, comme il faut bien le croire, du reste, émane de lui, c’est qu’il a bien pensé que nous devinerions son idée et que nous ferions l’impossible pour arriver jusqu’à lui.
– Ah ! dit Milon, ce n’est pas d’entrer à Newgate qui est difficile.
– C’est d’en sortir.
– Justement.
– J’en sortirai cependant, et on me fera mille excuses, encore.
– Comment ferez-vous ?
– Je me ferai réclamer par l’ambassade de France.
Puis Marmouset ajouta avec un sourire :
– Mon premier passé est si loin que je n’ai pas peur d’en voir apparaître la moindre trace. Voici six ans, tout à l’heure que je vis au grand soleil de la vie parisienne.
– Ça, c’est vrai, dit Milon.
– Pour le monde, je ne m’appelle pas Marmouset, mais M. Félix Peytavin, un homme élégant qui est du Club, a de beaux chevaux, joue gros jeu, possède trois ou quatre cent mille livres de rentes et duquel répondrait au besoin toute la fashion.
– Cela est vrai encore, ajouta Milon.
– Or, poursuivit Marmouset, je suis personnellement lié avec le jeune marquis de C…, premier secrétaire de l’ambassade française à Londres.
– Bon ! dit le colosse.
– Tu me laisseras arrêter.
– Et puis ?
– Peut-être est-il nécessaire que je passe au moins deux jours à Newgate.
– Et après ces deux jours ?
– Après, tu iras à l’ambassade et tu porteras une lettre que je vais écrire, et une autre au marquis de C…
Ce colloque entre Marmouset et Milon avait lieu, non plus dans la salle commune de l’hôtel d’Espagne, mais dans la chambre où Marmouset avait passé la nuit.
Marmouset s’assit donc devant une table, prit la plume et écrivit la lettre suivante :
« Mon cher marquis,
« Il paraît que notre beau pays de France n’est pas le seul à avoir son criminel introuvable, son Jud fantastique.
« L’Angleterre a aussi le sien.
« De temps en temps, un agent de police idiot ou un gendarme stupide mettent la main sur un pauvre homme, s’obstinent à le prendre pour ce même Jud, qui n’a jamais existé probablement, et le fourrent en prison.
« Voilà mon histoire sur le sol de la libre Angleterre, mon cher marquis.
« Un policeman croit voir en moi un de ces fenians imaginaires qui troublent le sommeil des vénérables personnages qui siègent à la Chambre des lords.
« J’ai beau montrer mes papiers, mes titres, mes lettres, il ne veut rien entendre et m’appelle du singulier nom de Rocambole.
« À peine ai-je le temps de vous écrire ces lignes, que je confie à mon valet de chambre éploré, et je suis contraint d’aller coucher à Newgate.
« Le policeman en question fait même si bien les choses, qu’il m’assure que je serai pendu d’ici à trois semaines.
« Heureusement que vous êtes à Londres et que vous réclamerez le propriétaire de Miss Arabelle, la jument qui, vous le savez, a gagné le derby de Chantilly cette année.
« Votre
« FÉLIX PEYTAVIN. »
– Serre cette lettre, dit Marmouset, qui, avant de la fermer, en donna connaissance à Milon, et prends aussi cette autre.
– Fort bien.
– Deux jours après mon incarcération, on se présentera à l’ambassade.
– Mais il faut tout prévoir, dit Milon.
– Quoi donc ?
– Il faut prévoir le cas où le marquis ne serait pas à Londres.
– Il y est.
– Vous en êtes sûr ?
– Je lui ai serré la main il y a trois jours, au club, et il partait le soir même pour retourner à son poste.
– Alors c’est bien.
Le rôle de Milon ainsi tracé, Marmouset appela le détective Edward.
Il lui donna le modèle de deux dépêches.
L’une était signée par James Wood, et c’était celle que le révérend Patterson reçut datée de Boulogne, indiquant que miss Ellen était toujours gardée.
L’autre, au propre nom d’Edward, devait être expédiée de Douvres par lui.
– Je ne comprends pas bien celle-là, dit le détective.
– C’est bien simple pourtant, dit Marmouset. Après une dépêche de ce matin, le révérend a dû prévenir la police.
– Fort bien !
– Et il y a des policemen dans toutes les gares.
– Bon !
– Si je veux avoir quarante-huit heures de liberté à Londres, il faut donc qu’on m’attende à Douvres, tandis que j’arriverai par le train de Folkestone que je vais prendre dans une heure.
– À merveille ! je comprends.
– Maintenant, écoutez-moi.
– J’attends, dit sir Edward.
– Vous allez donc passer par Calais, descendre à Douvres, expédier de là ce deuxième télégramme ; puis vous partirez pour Londres aussitôt, et à peine arrivé vous vous présenterez chez le révérend Patterson.
– Que lui dirai-je ?
– Que vous m’avez laissé à Douvres, surveillé par deux policemen, et que vous venez prendre ses ordres.
– Et où vous retrouverai-je ?
– Demain soir à Evans Taverne, dans Covent Garden.
– J’y serai, dit sir Edward qui alla prendre le train de Calais.
Quant à Marmouset et à ses compagnons, ils s’embarquèrent sur le paquebot de midi, et, deux heures après, ils étaient en route pour Londres.
L’audace, le sang-froid de Marmouset avaient rempli de confiance le cœur de miss Ellen.
Elle aussi murmurait :
– Oh ! nous le sauverons !…